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Ligue du LOL : les employeurs inquiets pour leur réputation

Au cours du week-end du 9-10 février 2019, le grand public a découvert la « ligue du LOL », un groupe né sur Facebook en 2009 qui a pratiqué le cyber-harcèlement. Messages misogynes, homophobes, racistes, grossophobes allaient bon train, sans parler des photomontages scabreux et autres canulars douteux visant des journalistes féminines et homosexuel·le·s, des influenceurs/influenceuses et blogueuses.

Les noms de plusieurs membres de cette « Ligue » ont été révélés et leurs employeurs n’ont pas tardé à réagir : lundi 11 février 2019, Libération a mis à pied à titre conservatoire deux de ces journalistes mis en cause (dont le fondateur de la « Ligue », avec lequel le magazine Brain a également annoncé interrompre sa collaboration), même mesure pour un rédacteur en chef web des Inrocks ; un journaliste de la société de production de podcasts Nouvelles Ecoutes a été suspendu de ses fonctions tout comme un « strategist » de l’agence Publicis…  Un sixième membre de la « Ligue du Lol », fondateur d’un média en ligne dédié à la culture pornographique, a pris de lui-même l’initiative de se retirer.

Pour Marie Donzel, notre experte en innovation sociale, spécialiste des questions d’égalité professionnelle, le fait marque une étape : des marques ont refusé de voir leur réputation entachée en raison de propos et d’agissements sexistes et homophobes de leurs collaborateurs.

 

Quelle est ta lecture de ce fait d’actualité ?

Il y a trois éléments importants à retenir dans cette affaire :

1/ Le fait que les auteurs des agissements exercent des professions « intellectuelles » et/ou créatives. C’est contre-intuitif pour la plupart des gens qui assimilent volontiers le sexisme, l’homophobie, le racisme et tout ce qui procède des stéréotypes hostiles à de la « beauferie » imbécile et inculte. Quand ce sont des médecins (comme cela avait été le cas avec la fresque de la salle de garde du CHU de Clermont-Ferrand) ou des étudiants de grande école (comme dans l’affaire de l’IEP de Bordeaux) qui s’y livrent, on va rehausser le jugement en parlant de « potacherie », en invoquant le besoin de « décharger » de la tension et bien sûr le bon droit de rigoler un grand coup quand on a l’obligation d’être si sérieux le reste du temps.

Mais on voit bien que la violence et le harcèlement envers les femmes, les homosexuel·le·s, les personnes en surpoids ou en situation de handicap (entre autres) ne connaissent pas de classe sociale ni de « niveau intellectuel » des individus. C’est le niveau général de tolérance de la société à cette violence discriminatoire qui le permet… Ou ne le permet pas. Le contenu des messages d’excuses de plusieurs des membres de la « Ligue du LOL » témoigne d’ailleurs que ce niveau de tolérance s’est abaissé : ils ont pris conscience de la gravité de leurs actes et disent en avoir honte aujourd’hui. On peut prendre le pari que ces excuses sont sincères, même si plusieurs victimes regrettent qu’il ait fallu le scandale pour les motiver.

2/ La prise de parole des femmes qui s’est amorcée il y a quelques années avec l’affaire DSK, puis l’affaire Baupin et a connu une ampleur historique fin 2017 avec #MeToo n’est pas qu’un moment. Les femmes ne veulent plus se taire, elles n’ont plus peur de parler, elles ne se laissent pas impressionner par celles et ceux qui voulaient leur rabattre le caquet en les faisant passer pour victimaires, puritaines, dénuées de sens de l’humour ou en leur enjoignant d’aller au commissariat plutôt que de s’emparer des réseaux sociaux pour s’exprimer. Il faut sans doute s’attendre à ce que d’autres mouvements de prise de parole de ce type surviennent encore. D’ailleurs, dans la foulée de l’affaire de la « ligue du LOL », on apprend que des salarié·e·s de Vice et du HuffPost ont été victimes d’agissements similaires par des groupes officieux de même type.
3/ l’affaire de la « Ligue du LOL » nous renseigne encore, si c’était nécessaire, sur la porosité entre vie « virtuelle » et vie « réelle ». Capucine Piot, une des victimes de la « Ligue » déclare avoir renoncé à faire carrière dans le journalisme après avoir été harcelée par ce groupe. Plusieurs influenceuses ont quitté les réseaux sociaux après avoir fait l’objet de cyber-harcèlement sexiste, parmi lesquelles Nadia Daam dont les agresseurs identifiés ont été condamnés, ce qui a valu à la journaliste un nouveau déferlement d’insultes et menaces. Il y a bien des conséquences réelles du harcèlement en ligne sur la santé psychique et physique, et sur le parcours de vie, personnelle et professionnelle, de celles et ceux qui en sont victimes. Le cyber-harcèlement est une pratique d’autant plus esquintante qu’elle déréalise et distancie l’individu ciblé du point de vue l’agresseur (beaucoup n’oseraient évidemment pas dire en face ce qu’ils écrivent planqués derrière leur écran), en même temps qu’elle pénètre directement l’intimité de la victime qui reçoit les adresses haineuses nuit et jour, jusque contre son corps, dans sa poche où elle range son smartphone.

Mais l’arroseur est aujourd’hui arrosé : ce sont les agresseurs qui se confrontent aux conséquences de leurs agissements sur leur carrière puisqu’il n’a pas fallu plus d’un jour ouvré pour que les employeurs de plusieurs d’entre eux prennent des sanctions.

Quelles problématiques cela soulève-t-il ?

Toutes les affaires de dénonciation de faits de harcèlement sexiste et plus généralement de violences liées au genre, à l’orientation sexuelle, à l’apparence et/ou à l’identité soulèvent une même problématique : le sentiment de toute puissance que confère l’appartenance à un entre-soi normé. Cet effet de grégarisme est encore plus critique quand le marqueur flagrant de cet entre-soi est l’apparente « réussite » sociale. La force du groupe se transforme en domination, légitimée et renforcée par une démonstration toute sophiste : puisque nous sommes respectés même par ceux qui n’appartiennent pas à notre groupe, c’est que nous sommes fondamentalement respectables, le reste n’étant que dérisoire littérature et méprisable « politiquement correct ».

Et de s’arroger le pouvoir d’écrire ou légitimer des règles du jeu qui sont favorables aux membres de l’entre-soi, supposant inconsciemment qu’elles ne sont que les règles du jeu qui permettent objectivement de « réussir » ou à tout le moins d’évoluer avec une certaine aisance dans l’existence : les réseaux sociaux sont des espaces de « trolling », alors qui n’a pas le cuir suffisamment épais pour le supporter n’a qu’à les quitter ; les arènes du pouvoir sont des terrains agressifs, alors qui n’a pas assez de c***s pour s’y défendre ferait aussi bien de s’en tenir à l’écart ; la créativité passe par la désinhibition la plus totale (des études ont démontré l’inverse), alors qui craint les excès langagiers et les vulgarités de tous ordres peut quitter la pièce.

Les dominants vont jusqu’à écrire le code de l’humour : c’est leur grille de jugement qui définit ce qui est drôle et ne l’est pas, ce qui est « second degré » et ce qui est terre-à-terre, qui sait rire de soi et qui est pisse-froid, qui est héritier de Desproges et qui a l’âme bisounours.

L’affaire de la « ligue du LOL » semble signaler que ce pouvoir de définir les règles du jeu s’effrite. Et c’est là tout l’enjeu de l’inclusion : permettre non pas seulement à chacun·e de représenter sa « communauté » en se pliant à des règles pré-définies par la norme du dominant, mais à tou·te·s de contribuer au collectif, en co-définissant les règles de fonctionnement formelles et surtout informelles, la tonalité et l’ambiance des échanges.

En quoi cela interpelle le monde de l’entreprise ?

En prenant des sanctions immédiates, ce qui est inédit (en tout cas publiquement) dans une affaire de cyber-harcèlement sexiste, les marques pour lesquelles les membres de « la ligue du LOL » travaillent refusent de toute évidence d’être associées à leurs méfaits. Il y a manifestement un enjeu de réputation. C’est bon signe : longtemps, on ne risquait rien en termes d’image de marque à avoir des leaders et des têtes d’affiche sexistes ou homophobes. A l’heure actuelle, on sait qu’on peut perdre des client·e·s, des annonceurs, des partenaires et durablement entamer sa crédibilité en se montrant laxiste là-dessus. L’affaire Guerlain qui a vu l’image de la prestigieuse marque de parfumerie abimée par les propos racistes de son héritier, alors même que la maison avait été vendue à un groupe plusieurs années auparavant, est un exemple de ce qu’il peut en coûter de voir son image associée à des propos contraires à l’humanisme le plus basique.

On peut aussi supposer qu’en tant qu’employeur, les entreprises qui ont pris des sanctions à l’encontre des « ligueurs » dévoilés s’inquiètent de ce que des harceleurs puissent sévir aussi auprès de leurs collaborateurs et collaboratrices, ce qui mettrait l’entreprise face à sa responsabilité civile : l’entreprise est en effet en devoir d’assurer l’intégrité physique et psychique de tou·te·s ses salarié·e·s.

Enfin, il y a matière à optimisme si on prend le pari que les médias et industries culturelles se saisissent de l’occasion pour sortir le débat sur la liberté d’expression de la dialectique binaire qui renvoie dos à dos le « zéro surmoi » au « politiquement correct ». Il semble que notre époque ait vraiment besoin d’être éclairée avec intelligence sur ce point.

Marie Donzel

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