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« Que le meilleur gagne ! » : Une analyse de la performance professionnelle dans les télé-réalités

Le cadre est déjà connu : un grand open space où se trouvent les participants d’une compétition qui doivent réussir différentes épreuves pour prouver qu’ils sont les meilleurs. Les télé-réalités compétitives, où les compétences professionnelles deviennent des « challenges » à remporter pour obtenir un prix à la fin, sont de plus en plus nombreuses. Sommes-nous au sommet du culte de la performance ?

Elles sont dans beaucoup de chaînes et ont des adaptations dans chaque pays : les télé-réalités compétitives sont une recette qui marche. Avec leurs bons scores d’audience et des « saisons » qui répliquent le concept d’une année sur l’autre, ces émissions se prouvent être elles-mêmes performantes. Top Chef, Le meilleur pâtissier, The Voice, Glow Up, C’est du gâteau !, Next in Fashion, America’s Next Top Model, RuPaul’s Drag Race… La liste est longue.

Que les individus utilisent leur temps libre pour regarder une émission qui les plonge à nouveau dans un univers de compétition, ce n’est pas anodin. Il y a donc un effet « divertissant » qui permet un éloignement du cadre purement professionnel : les participants ne sont pas vraiment en train de travailler, ils rigolent, ils s’amusent… D’ailleurs, souvent, les compétiteurs prennent des congés pour pouvoir faire partie du casting ! Mais en termes de représentation sociale et de symbolique, que peut-on apprendre en observant les codes et l’esthétique de ces spectacles de la performance et de la compétition ?

tyra banks top GIF

À l’origine de la performance…

Le dictionnaire de l’Académie française retrace ainsi l’étymologie du mot « performance » :

Emprunté, par l’intermédiaire de l’anglais performance, « résultat d’un cheval de course », de l’ancien français performance, « accomplissement, exécution », lui-même dérivé du latin performare, « former entièrement ».

Concernant l’usage actuel, surtout en milieu professionnel, voici la définition proposée par l’institution :

Qui est capable de performances élevées. Machine performante. Ordinateur performant. Entreprise performante.

Avec une petite remarque :

L’emploi de ce mot dans le langage courant, notamment en parlant de personnes, est déconseillé ; on utilisera de préférence Efficace.

Nous trouvons, dès ses débuts, quelque chose liant l’idée de « performance » à un accomplissement et à une activité sportive. La transition vers l’usage contemporain n’est donc pas si étrange — encore moins concernant les télé-réalités compétitives. Performer, ce serait donc… gagner ?

Sag 2020 GIF by SAG Awards

Une reproduction de l’open space et tout ce qui va avec

La plupart de ces télé-réalités confinent les participants dans un open space où ils et elles doivent travailler devant les autres, en écoutant les commentaires (et les critiques) de leurs voisins et surtout en gardant une interaction non-stop. Cette organisation de l’espace est profitable parce que les scènes montrant le rapport entre ces « collègues » rempliront la plupart des épisodes. De fait, ce contact permanent génère non seulement des liens et de l’entraide mais aussi des conflits. On retrouve donc une tension coopération / compétition,  recette parfaite pour le divertissement dont il s’agit.

Le fait d’observer le travail de l’autre est souvent source de convoitise, ce qui déclenche une pression de réussite basée sur une comparaison certes nécessaire mais parfois déplacée. Ces deux éléments — la jalousie et le stress qui en découle — doivent néanmoins être gérés si les participants veulent se concentrer sur leurs propres travaux pour réussir : la performance se joue également dans leur maîtrise de l’espace de bureau partagé.

top chef jp miron GIF by Food Network Canada

L’esthétique de ces émissions néanmoins a changé avec le temps. Next in Fashion, nouvelle production Netflix avec Tan France (l’un des 5 coaches de Queer Eye), essaye de proposer des relations plus saines entre les participants, d’abord en les faisant travailler en duo, ensuite en créant un environnement de bienveillance et d’apprentissage avec l’autre. Lorsque Marco Morante (de la marque de lingerie Marco Marco) se blesse, il y a toute une solidarité autour de l’accident — là où l’inaptitude de l’adversaire pourrait être mise à profit dans d’autres émissions.

La diversité en tant que facteur de performance

Une chose dont les télé-réalités ont toujours eu conscience, c’est la valeur de performance de la diversité. Le rassemblement d’individus ayant différents profils, personnalités et backgrounds aide à créer du dynamisme pour que l’histoire soit racontée d’une façon qui puisse intéresser les téléspectateurs.

Cela permet également de s’identifier plus facilement aux participants. En invitant tout type de personnes, on augmente les chances que chaque téléspectateur puisse apprécier et soutenir au moins 2 ou 3 compétiteurs. Parfois le plus audacieux contribue au challenge de celui qui n’ose pas assez. Et parfois celui qui est le plus modéré contrôle la surconfiance des autres.

Dans certains shows, comme RuPaul’s Drag Race (une compétition entre drag queens), la diversité est elle-même la raison d’être de l’émission. Des hommes gays, efféminés, noirs, latinos, asiatiques, trans, gros, minces, jeunes et moins jeunes, en situation de handicap… se mettant en scène dans une garde-robe féminine : voilà une belle célébration de l’intersectionnalité !

sashay away drag race GIF by RuPaul's Drag Race

Le show a cependant reçu beaucoup de critiques récemment sur l’épuisement de la valeur politique de l’art drag en l’associant à une démarche purement capitaliste et compétitive. En gros, les artistes doivent atteindre le sommet de leur performance pour gagner un prix (« ONE HUNDRED THOUSAND DOLLARS » répète inlassablement Ru, le grand juge de l’émission). Ce qui nous amène au nerf de cet article :

Le droit à l’erreur, oui… Mais sous peine d’élimination

Dans une compétition, il y a toujours des gagnants et des perdants : the winner takes it all, the loser has to fall, selon les paroles d’ABBA. Et, pour gagner, il faut de la performance — ou plutôt de l’efficacité, nous dira l’Académie française. On a compris.

L’exigence extrême de la réussite basée sur la gestion de capacités professionnelles et personnelles est au cœur du problème de ces télé-réalités. Le droit à l’erreur existe seulement pour celles et ceux qui, de toute manière, ne veulent pas — ou qui ne pourraient pas arriver jusqu’à la victoire. Ce qui établit un podium avec les « vrais talents » et les « incompétents ». Dans ce contexte, l’élimination est souvent contestée ou au moins débattue par certains spectateurs, d’autant plus que parfois les décisions sont prises sans trop d’explications.

baking dont look GIF by NailedIt

Next in Fashion a eu un épisode qui vaudrait une analyse plus fine : lors de ce qui s’annonçait comme leur départ, les créatrices noires Farai Simoyi et Kiki Kitty se sont opposées aux critiques et ont dénoncé l’appropriation culturelle du monde de la mode. Le sujet a provoqué un conflit parmi les juges et la décision a été reportée au prochain épisode où, finalement, les deux femmes ont été maintenues dans l’émission. Il y a eu donc une levée de l’exigence de la performance, compte tenu des possibles interférences dans l’analyse du travail de Kiki et de Farai, même si elles ont été éliminées plus tard (« Show must go on » nous instruisait Queen !).

L’émission C’est du gâteau !  nous offre un peu d’espoir et une esthétique plutôt rafraîchissante. La reproduction du script des télé-réalités culinaires, comme Le meilleur pâtissier ou Top Chef, avec des participants vraiment « amateurs » et une présentatrice qui s’amuse plus qu’elle juge, aide à bâtir un environnement bienveillant où commettre des fautes est non seulement accepté, mais attendu. L’important dans C’est du gâteau ! est d’essayer et d’apprendre de ses erreurs, tout en rigolant des monumentales catastrophes pâtissières qui en résultent. La performance est évidemment attendue, mais elle n’est pas le but ultime des participants. Parce que parfois nous avons un gâteau brûlé dans le four, mais une leçon apprise dans la tête.

Marcos Fernandes avec Valentine Poisson

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