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clash
épisode 1

Les frères Gallagher

Au programme : une lecture des conflits cultes de la pop culture. Et pour inaugurer la saison, on démarre en force avec la querelle qui opposa les frères Gallagher et mis fin au groupe de rock britannique Oasis. Alors, 30 ans après la sortie de leur premier album, que comprendre de ce litige qui ébranla le monde de la musique ? Et la médiation aurait-elle pu avoir son mot à dire ?

AISIS, ça vous parle ? N’y voyez pas une paire de basket de l’équipementier japonais ou le patronyme oublié d’un irréductible gaulois, par Toutatis ! Au risque de décevoir les amateurs de salade grecque, ce n’est même pas une nouvelle marque de feta. Bon alors. Si je vous dis : John McCarthy et Britpop ? On chauffe… La réponse n’est rien moins d’autre que la contraction de AI (Artificial Intelligence) et d’OASIS, mythique groupe de rock so British. AISIS, c’est le projet un peu fou d’un autre groupe de rock anglais, Breezer, fan du son des deux frangins Gallagher. Après avoir enregistré des mélodies inspirées des chansons emblématiques d’OASIS, et en y greffant les voix des frères générées par ordinateur, ils ont sorti il y a un an maintenant un album totalement artificiel et particulièrement réaliste. 

Mais pourquoi diable ont-ils fait ça ? Pardi, parce que comme des millions de fans, désespérés d’attendre l’album de leur réconciliation, ils ont décidé de prendre les choses en main ! Car cela fait 15 ans exactement que les frères rivaux ont sonné le glas de leur formation.  

Rock en Seine : clash en coulisses 

28 août 2009, 21h. Sur la pelouse du parc de Saint-Cloud, ce sont des milliers de festivaliers qui se pressent avec fièvre devant la grande scène. Ce soir, Noël et Liam vont électriser Rock en Seine ! Mais les minutes s’égrènent et rien ne bouge sur scène. Le public s’impatiente, les deux frères se font attendre. Tellement attendre qu’ils ne se pointeront jamais. Car en coulisses se joue le paroxysme d’une rivalité de longue date. Et c’est à coup d’insultes, de poings et de guitare servant de projectile (on nait rocker ou on ne l’est pas !) qu’ils règlent leurs comptes. Mais plus qu’un énième accrochage dont les frères sont coutumiers, le public assiste en direct à un remake d’Armageddon sans Bruce, version Britpop. En une fraction de seconde, dislocation intégrale de Wonderwall, Oasis n’est plus. Un membre de l’organisation monte sur scène, hébété, et lit le communiqué de presse rédigé par Noël annonçant le cataclysme devant un parterre de fans incrédules. Mais bon sang, qu’est-ce qui leur a pris ? Oasis est au sommet de sa gloire. Et voilà que Noël, dans une opération de destruction massive, envoie tout valdinguer et prend le risque de perdre frère, famille, célébrité, musique et par là-même, l’opportunité tant désirée d’une revanche sur la vie.

Un conflit, deux frères, un trio électrique 

Au cœur de cet antagonisme, il y a bien entendu les frères. Mais comme dans tout conflit, chacun a tendance à rejeter la faute sur l’autre. Et, sans le recul nécessaire, ils ne peuvent réaliser, que dans l’ombre de leur rivalité, il y a systématiquement une troisième source de conflit, très difficile à « discerner quand on se trouve à l’intérieur de la relation » pour citer les mots de Paul Watzlawick, auteur du livre Comment réussir à échouer. Or ce tiers, cristallisant leurs tensions, est plus ou moins incarné : la figure paternelle, la musique, la célébrité et Blur (autre groupe mythique) évidemment.   

Il faut dire que l’histoire ne démarre pas sous les meilleurs auspices : un père violent n’hésitant pas à se défouler sur ses fils dès que l’occasion se présente, une mère courage mais passive, une enfance dans les quartiers prolétaires de Manchester, dévastés par le libéralisme Thatchérien. Bref, une vie de « ploucs » comme ils la définissent eux-mêmes. Pas étonnant que chacun ait mis en place des stratégies différentes de survie : la fuite et le repli pour Noël dans la bulle protectrice que lui offre la musique, l’attaque et la provocation pour Liam. Des chemins de vie qui auraient pu les éloigner définitivement.  

Pourtant, découvrant le talent de chanteur et le charisme de son frère, Noël quitte son groupe du moment et intègre en tant que compositeur celui auquel Liam vient de se greffer. Le groupe OASIS est né. Le succès arrive avec la sortie, en 1994, de leur premier album Definitely Maybe, au titre évocateur, présage d’une relation fraternelle, business et musicale éminemment chaotique, jamais totalement acquise. Car la musique, qui les a rassemblés, devient rapidement un sujet de crispation entre les Gallagher, dont les visions et les modes de travail s’opposent. La nonchalance et la rock’n roll attitude de Liam n’ont que faire du professionnalisme d’un Noël besogneux, pour qui « la musique, ça se respecte ». Surtout quand on lui doit tout.   

La trêve – bien que brève – arrive avec Blur, et particulièrement en la personne de Damon Albarn. Quoi de mieux en effet qu’un troisième bougre sur lequel pointer ses flèches pour déporter les tensions ? Attention, on ne parle pas de fumer le calumet de la paix, hein ! Juste d’oublier qu’on ne peut pas s’encadrer le temps de faire la nique à un concurrent, et pas des moindres en plus. Parce que rivaux ou pas, on n’attaque pas les Gallagher, family business oblige… Mais combattre l’ennemi ne suffit pas pour se rabibocher. La célébrité, avec son lot d’accotés – drogues, excès & média entre autres -, ça use même les relations les plus fortes. Alors dans le cas présent…Et ce sont bien impuissants que mère et fans assistent à une escalade du conflit, jusqu’au point de rupture de cette fameuse soirée du mois d’août.  

L’espoir d’une réconciliation par la médiation ? 

Alors what ? Que fait-on de tout ça ? Reste-t-on les bras ballants à écouter AISIS ? Le plus étonnant dans cette histoire est que les deux frères admettent volontiers que c’est quand même ballot d’avoir mis fin à Oasis. Et si Liam tente quelques appels du pied vers son frère par tweets interposés, l’aîné boude toujours. Plusieurs raisons pourraient les amener à renouer le dialogue : faire plaisir à maman qui espère toujours une réconciliation, retrouver un frère, certes pénible, mais un double musical avec lequel kiffer, faire vibrer à nouveau des millions de fans… Ou bien encore prouver au monde entier que même à soixante piges, ils sont là, les Gallagher, et que l’oasis n’est pas tarie.  

Finalement, est-ce que ce ne serait pas d’un médiateur dont ils auraient besoin, les frangins, pour les aider à renouer le dialogue ? Un tiers neutre, impartial, capable de recréer les conditions possibles d’un terrain d’entente avec patience et méthode. Une troisième voix les invitant à cheminer et à se mettre au diapason dans le respect de leurs intérêts respectifs. La médiation, encore bien souvent méconnue, est une solution salutaire pour dépolluer le conflit, sortir de l’émotion et sauver la relation. Elle aide à mettre des mots sur les blessures de chacun et à les faire exister aux yeux de l’autre. La reconnaissance mutuelle permet ainsi de réduire la haine et de panser la souffrance. Cette prise de conscience est un pas vers l’acceptation de l’autre dans ce qu’il a de différent. La médiation se nourrit justement de ces différences pour aller chercher la créativité des protagonistes et les aider à trouver par eux-mêmes des solutions négociées et durables.  

Alors seulement après, lorsqu’ils auront passé outre leurs vieilles querelles, les frères Gallagher pourront légitimement clamer, une pinte à la main, Don’t look back in anger. Ça se tente, non ? 

Julie Delaissé

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