santé & durabilité

Risques psychosociaux : comment éviter aux directions le risque de déni ? 

Psychotravail, épisode 2
La série pour comprendre comment les mécanismes
de défense psychiques impactent nos relations avec le travail.

À l’heure où le nombre de salariés atteints de souffrance psychique liée au travail a doublé depuis 2007, la prise en compte de la santé mentale au travail n’est plus une option. Et si les raisons permettant d’expliquer cette augmentation varient d’une situation à l’autre (détérioration des conditions de travail, intensification de la charge de travail, contexte socio-économique instable…), la mise en place d’une politique globale de prévention des risques psychosociaux est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Son objectif : piloter de manière articulée et cohérente les différents objets de prévention : baromètres, études, diagnostics, actions de sensibilisation, de formation, d’accompagnement et de soutien des salariés… Soit autant de moyens pour anticiper et prévenir les impacts du travail sur la santé.  

Néanmoins il peut arriver que certaines directions d’entreprise soient dans une forme de déni face aux remontées du terrain de ces dispositifs ambitieux… Qu’elles ont pourtant elles-mêmes mis en place en premier lieu. Alors comment expliquer ce type de réaction ? Et quelles peuvent être les conséquences de l’émergence de ce déni, tant sur l’organisation et les collectifs de travail, que sur les individus ? Décryptage d’un phénomène complexe avec Simon Brossard, psychologue et consultant chez Alterhego. 

Le mécanisme de déni pour se protéger  

Comme nous l’avons vu dans notre précédent épisode de notre série Psychotravail, le déni est un mécanisme de défense qui se traduit par le refus de reconnaître une réalité. « Et lorsque nous accompagnons les entreprises dans la mise en œuvre de leur politique de prévention des RPS, cela peut se concrétiser par le rejet partiel, voire total, de la part d’une direction, des points de vigilance ou alertes que nous pouvons remonter du terrain », révèle Simon Brossard. Surtout lorsque les risques révèlent des manifestations de RPS déjà bien installées. « On parle alors de vécus de stress, de dynamiques de surinvestissement professionnel, de situations de conflit, de présomption de harcèlement ou de souffrance au travail », en témoigne le spécialiste en prévention des RPS. Et pour expliquer l’émergence du déni dans le cadre des dispositifs de prévention en question, ce dernier a bien en tête quelques idées : 

  • Pour certains membres de Directions d’entreprise, la confrontation même à un vécu de souffrance peut être tout simplement trop difficile à vivre. « Et ce d’autant que la capacité d’accueil de ce genre de situations dépend aussi de la sensibilité et de l’histoire de chacun », précise le consultant. Dans la même idée, le fait de se sentir (au moins pour partie) responsable de cette souffrance la situation peut la rendre d’autant plus inacceptable et renforcer ce déni.  

  • Le fait que les Directions ne soient pas directement à l’initiative de certaines démarches peut également influencer l’appréhension de ces remontées. Les analyses ou enquêtes mandatées par l’inspection du travail ou les élus -ou plus généralement le fait que des Directions se sentent contraintes par les obligations légales- peuvent générer des résistances difficiles à dépasser. « Dans des contextes sociaux tendus, la mise en place de certaines actions, perçues comme relevant du rapport de force, peut notamment générer pour la Direction la suspicion que les résultats sont faussés, que les personnes sont manipulées et ainsi provoquer ce déni de la réalité », confirme Simon Brossard. 

  • Enfin, une autre raison repose sur nos croyances et représentations en lien avec le travail et de ses impacts sur la santé. « Notre rapport au travail est très personnel et singulier et conditionne la manière dont on va comprendre et interpréter certaines situations, explique le spécialiste. Dis autrement, si je pense par exemple qu’“au boulot, on doit souffrir” ou “au boulot, on est tous en compétition”, cette croyance va guider la manière dont je vais m’emparer ou non de certaines remontées du terrain. » Remettre en question ses croyances, souvent fortement ancrées, peut être difficile pour la personne concernée. Et c’est justement cette difficulté qui peut ensuite l’entraîner à contester le vécu d’autrui. Cela peut même être amplifié par des phénomènes d’influence sociale qui peuvent agir sur les membres d’un CODIR : « par exemple, illustre Simon Brossard, le conformisme qui peut les amener à adopter des comportements en accord avec ce qui est attendu d’eux ou encore la pensée de groupe, qui peut faire converger leurs opinions vers la norme ».  

Alors entre l’employeur engagé à développer la QVCT qui se laisse surprendre par la dure réalité du terrain, celui qui sous-estime les difficultés remontées dans le cadre d’un dialogue social fracturé, et celui tenté de plaquer ses représentations en niant les ressentis des personnes… Les scénarios qui peuvent amener des dirigeants à nier la réalité de situations psychosociales dégradées sont nombreux. Néanmoins, les conséquences de ces différentes formes sont elles aussi plurielles. Et les dégâts qui en découlent, bien réels.  

Un mécanisme individuel aux conséquences collectives 

Dans ce rapport à la réalité qui peut être altéré, une problématique se pose alors : si le déni vient empêcher la bonne prise en compte des remontées du terrain, les actions d’accompagnement et d’amélioration des situations ne seront pas mises en œuvre par la Direction à la hauteur des enjeux. 

Et pour cause, les répercussions de la situation risquent d’être amplifiées, et ce pour chacune des composantes de l’entreprise : « Au niveau des individus en souffrance dont les ressentis ne sont pas reconnus voire intensifiés par le déni de la Direction ; au niveau des collectifs de travail dont les relations, modes de fonctionnement et de coopération se retrouvent affectés poursuit Simon Brossard. Et enfin au niveau de l’organisation en termes d’impact négatif sur la performance économique de l’entreprise. » Sortir du déni est donc une étape indispensable pour permettre au dispositif de prévention des risques psychosociaux de remplir pleinement ses objectifs. Alors comment y parvenir ?  

Sortir du déni : un accompagnement nécessaire et collectif 

Au vu de tout ce qui peut être bousculé en termes de sentiments, de représentations, de biais, sortir du déni et se confronter à la réalité qu’il dissimule est loin d’être un processus évident. « Néanmoins, certains leviers permettent de contenir ce risque de déni dans le cadre de la mise en œuvre de ces politiques de prévention », appuie Simon Brossard. À commencer par plusieurs pistes :  

  • Solliciter des spécialistes de la prévention en RPS externes à l’entreprise pour se doter d’un regard objectif et confrontant. « Cela offre une distance nécessaire pour mieux appréhender et prendre conscience de la réalité des impacts de la situation de travail sur le vécu des salariés », recommande Simon Brossard. « Et cela consiste également à animer la remise en question de certaines perceptions pour permettre aux parties prenantes de prendre en considérations les idées qui ne vont pas dans leur sens et faire évoluer les consciences sur ce sujet sensible », ajoute-il.  

  • Pouvoir être sensibilisé et formé sur le sujet. « Car plus on a la capacité de comprendre et appréhender le mécanisme des risques psychosociaux, plus on est à même de prévenir les situations et d’intervenir efficacement », poursuit le consultant. Ces formations, ateliers, analyses de pratiques, conférences, webinaires (…) doivent permettre le partage des représentations des participants sur le sujet, l’échange sur des situations rencontrées, le développement de la capacité à analyser et adopter les bonnes postures pour accompagner des situations de RPS.  

  • Mettre en place des comités de prévention, lieu d’échanges et de partage entre les différents acteurs de la prévention (membres de la Direction, RH, élus, médecins, experts externes, psychologues…) sur les remontées du terrain dans une optique de complémentarité des rôles afin de prévenir au mieux les situations et mettre en œuvre les actions adaptées. « Cela permet de croiser les regards, chacun dans son rôle, son expertise, pour piloter le plan de prévention et limiter l’émergence du déni face à la souffrance », conclut Simon Brossard.

Si l’on rencontre fréquemment ce mécanisme de déni dans le cadre de la mise en œuvre de dispositifs de prévention, il n’en demeure pas moins essentiel d’en sortir pour apporter des réponses à la hauteur des enjeux de prévention des RPS.  

En s’outillant et en créant les conditions de partage des situations entre les différents acteurs de la prévention internes et externes et permettre ainsi à toutes les parties prenantes de l’entreprise de vivre le mieux possible leur situation de travail. En bonne santé et sans s’abîmer.   

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