santé & durabilité

La santé des femmes est-elle l’affaire des entreprises ?  

Selon une étude récente réalisée par Vérian pour le Laboratoire de l’Égalité, plus d’une femme active sur deux exprime une inquiétude concernant sa santé physique et mentale. Les données montrent également que les femmes en moins bonne santé et confrontées à des conditions de travail défavorables se sentent délaissées par leur employeur. 

Alors qu’on entende parler de politique parentale, de dépistage du cancer du sein, de congé menstruel, d’éducation à la ménopause, pourquoi la reconnaissance de la santé des femmes au travail reste-t-elle encore limitée ? Et quelle responsabilité les entreprises ont-elles dans sa prise en compte ? 

Quand la science médicale oublie les femmes : quelles conséquences ? 

Plusieurs historiens et historiennes ont montré qu’au fil des siècles, les stéréotypes de genre se sont ancrés dans la médecine, laissant des croyances et pratiques qui peinent à se réinventer et ont encore des conséquences aujourd’hui. 

C’est en particulier au XVIIIe, que de nombreux discours médicaux biaisés prolifèrent au sujet de la santé des femmes. Ils reposent sur l’idée que leur corps est  »une dérivation du corps masculin ». Elles sont également exclues des essais cliniques et des recherches sur certaines maladies, par crainte que leur possibilité d’être enceinte puisse altérer les résultats. Ce n’est qu’en 1995 que l’Organisation mondiale de la Santé crée le département « genre et santé de la femme » pour compenser des années de lacunes de la recherche sur les troubles de santé concernant les femmes.  

Ces siècles de savoirs biaisés ont influencé la manière dont la santé est aujourd’hui envisagée, avec des impacts importants. Il est alors très fréquent que certaines maladies soient sous-diagnostiquées chez les femmes, car considérées comme des maladies d’hommes, et inversement.  L’endométriose illustre bien cette réalité : bien que décrite dès la fin du XIXe siècle, elle n’a été intégrée au programme de la Haute Autorité de Santé qu’au début des années 2000 et n’est devenue connue du grand public que très récemment.  

Une implémentation récente du sujet en entreprise 

Avec un tel historique genré de la médecine, les enjeux de santé des femmes au travail se sont inscrits très tardivement dans les mentalités et… dans les organisations! 

Le premier enjeu lié à la santé des femmes au travail ne portait pas directement sur leur protection, mais plutôt sur celle des enfants. C’est la crainte d’un risque de « dépopulation », en raison de la forte mortalité des nouveau-nés et des femmes lors de l’accouchement, qui fait émerger le premier projet de loi pour accorder aux travailleuses un congé de quatre semaines après l’accouchement en 1886 (adopté qu’en 1909), afin de s’occuper de l’enfant et de réduire les risques de mortalité infantile. 

Il faut attendre la fin des années 2000 en France pour questionner les impacts de la santé au travail selon le genre et de chercher des solutions adaptées. C’est grâce à un Accord National Interprofessionnel de 2013 et l’ajout d’un neuvième domaine de négociation « santé et sécurité au travail » de 2014 que les sujets d’égalité sont reliés à ceux de la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVT). Ces avancées ont ainsi ouvert la voie à des réflexions et parfois des innovations pour mieux intégrer la santé des femmes en entreprise.  

C’est notamment le cas avec la proposition de congés supplémentaires pour règles douloureuses, afin de répondre aux difficultés rencontrées par 65 % des femmes ayant déjà été impactées par leurs règles au travail. La reconnaissance de l’endométriose comme handicap fait également débat pour accéder à des dispositifs d’accompagnement spécifiques. Parmi les avancées légales, l’employeur doit accorder des horaires dédiés à l’allaitement, généralement une heure par jour pendant le temps de travail (depuis 2023). Une récente proposition de loi  vise aussi à intégrer une visite médicale pour les femmes en période de ménopause (les coûts des femmes quittant le marché du travail pour cette raison environnant les 15000 dollars par an).  

Quand le travail est soupçonné de porter atteinte à la santé des femmes 

Aujourd’hui encore, la pénibilité au travail est souvent associée à l’image de métiers exercés majoritairement par des hommes. S’inscrivant dans une démarche de rénovation des critères afin de les adapter à la réalité du travail, l’INSEE a intégré dans sa méthode de calcul de la pénibilité les facteurs de risques psychosociaux (conflits de valeur, très faible autonomie) et l’organisation du travail (horaires atypiques, temps partiels subi…). Pour autant, en 2017 les facteurs de pénibilité du code du travail sont réduits et impactent directement la reconnaissance du port de charge lourde du personnel soignant, les postures pénibles des professionnels de la petite enfance, ou l’exposition aux produits chimiques des coiffeuses ou technicienne de surface.  

Par ailleurs, les femmes font l’objet d’une surexposition aux risques psychosociaux au travail qui désignent l’ensemble des facteurs susceptibles de générer du stress, de la souffrance mentale ou une dégradation de la santé dans le cadre professionnel (charge de travail, manque d’autonomie, conflits de valeurs, harcèlement, etc.). La première raison est liée au fait que les métiers occupés majoritairement par des femmes font l’objet de fortes expositions à la charge émotionnelle, En effet les métiers du soin et ceux impliquant un contact permanentavec un public, notamment des publics vulnérables, augmentent les risques d’épuisement psychique, dont les conséquences sur la santé sont souvent sous-estimées. Ainsi, 55 % des femmes vs 45 % des hommes déclarent avoir souffert de troubles psychologiques (dépression, troubles de l’humeur) au cours des 12 derniers mois, dont un tiers attribue ces symptômes à des causes professionnelles.  

De plus, les femmes sont particulièrement exposées aux risques psychosociaux en raison d’une probabilité plus élevée d’être victimes de discriminations ou de harcèlement au travail. Selon l’observatoire Ekilibre/Opinionway, 8 femmes sur 10 sont confrontées à des attitudes sexistes au travail et 60 % constatent des impacts négatifs sur leur travail.  

Quelles responsabilités pour les entreprises ? 

Le tableau de la santé des femmes au travail indique donc que la première responsabilité des entreprises se trouve du côté de la prévention des risques auxquelles elles sont surexposées.  

Cela passe par des conditions de travail inclusives. Il y va de l’adaptation de l’environnement de travail à la diversité des morphologies et physiologies : mobilier, équipement technique, équipements de protection individuels sont encore trop souvent conçus sur la base des mensurations moyennes des hommes. Il est aussi question des espaces de travail qui ne comprennent pas que la zone de production à proprement parler, mais aussi les vestiaires et sanitaires, les lieux de repos et pause et les lieux de passage. On ne saurait s’étonner que certaines professions restent sur-masculinisées quand on observe que rien n’y est fait sur le plan ergonomique pour que femmes comme hommes se sentent en sécurité et en capacité de répondre à leurs besoins physiologiques ordinaires.  

Par conditions de travail inclusives, il faut aussi entendre la culture d’entreprise et les valeurs managériales. La permanence d’un certain virilisme dans l’appréciation de la performance, de l’effort, de la force ou du succès reste la source d’une large partie de l’accidentologie au travail mais aussi de la manifestation de risques psychosociaux. Cela, les femmes en paient le prix, les hommes aussi. Mais il faut comprendre que les visions doloristes du travail font obstacle à l’acceptabilité sociale des mesures visant à prendre en compte les affections spécifiquement féminines. Par exemple, le congé menstruel ne saura être complètement légitimé aussi longtemps que l’on entretiendra la croyance selon laquelle il faut (parfois) souffrir pour (bien) bosser ou celle qui veut que l’on soit valeureux quand on manifeste un mental suffisamment solide pour travailler malgré la douleur.  

L’impératif de l’égalité professionnelle

Alors, l’entreprise doit-elle s’en tenir à ne pas abimer la santé des femmes (et celle des hommes) ? Ou doit-elle contribuer à la santé globale des individus qui dépasse le simple fait de ne pas être exposé aux maladies et souffrances pour entrer dans le champ du bien-être physique, psychique et social ? Toute approche écosystémique de l’entreprise tend naturellement à impliquer le monde du travail dans cette ambition de santé portée par l’OMS. Il serait tentant alors, pour les entreprises de renouer avec un certain paternalisme consistant à se mêler de ce que mangent leurs salariés, de leur temps d’activité physique et sportive et de leur développement personnel. En l’occurrence, de nombreux programmes d’entreprises ciblant les femmes vont volontiers sur ce terrain du bien-être par l’entreprise (ce qui n’est pas tout à fait la même chose que le bien-être en entreprise). Ces initiatives ne sont pas à bouder par principe, surtout si elles portent une attention particulière à ce que les hommes aussi se saisissent de la consultation en nutrition, de l’atelier de médiation ou du cours de pilates au mur. Mais elles ne peuvent venir qu’en complément, voire en cerise sur le gâteau de la vraie démarche structurante pour contribuer à la santé des femmes. 

Roulement de tambour… Cette démarche, c’est celle de l’égalité professionnelle. L’égalité professionnelle réelle a pour commencer et par définition le pouvoir de désactiver le premier facteur de surexposition aux risques de souffrance au travail : la discrimination. Ensuite, il faut évidemment admettre que l’égalité salariale représenterait un moyen véritablement efficace de renforcer la santé des femmes. Il suffit d’observer que le renoncement aux soins pour des raisons financières est deux fois plus important chez les femmes que chez les hommes pour se convaincre que les inégalités salariales ont des conséquences immédiates sur la santé des femmes. Enfin, n’oublions pas que la santé est aussi une affaire de bien-être social, ce qui comprend l’insertion dans le monde économique et professionnel, l’expérience satisfaisante des relations au travail et l’empowerment. Autrement dit, pulvériser le plafond de verre, c’est aussi une question de santé… Et en toute logique, on ne doit pas demander aux femmes d’y sacrifier leur santé ! 

Charlotte Foulon & Marie Donzel 

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