Bonjour Catherine. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Je suis Directrice des Relations aux Parties Prenantes et des Partenariats à la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE) depuis dix ans. En parallèle, je suis porte-parole & co-animatrice de la Charte d’Engagement LGBT+ depuis vingt ans au sein de l’association L’Autre Cercle… Entre autres.
Comment et pourquoi avez-vous intégré l’association l’Autre Cercle ?
J’y suis arrivée presque par hasard, grâce à un ami. En ce qui me concerne, je n’ai jamais subi de lesbophobie, contrairement à mon épouse : je savais donc que ça existait sans avoir conscience de l’ampleur de la situation. Une fois que j’ai pris la mesure du « phénomène », j’ai souhaité m’investir davantage pour la cause. J’ai donc coordonné la production du premier livre blanc de l’association, créé L’observatoire de L’Autre Cercle (« un pôle de travail de L’Autre Cercle dont l’objectif est d’assurer la veille sur les pratiques professionnelles en matière de non discrimination des LGBT+ », ndlr) et travaillé avec différents acteurs économiques pour mieux cerner à l’aide d’enquêtes et de sondages une forme de discrimination difficilement visible et mesurable.
Comment expliquez-vous cette difficulté de mesure ?
L’inclusion des LGBT+ est un sujet qu’on ne peut pas traiter de la même manière que ceux pour lesquels on dispose d’éléments de mesure, comme l’index de l’égalité hommes-femmes, qui s’appuie sur les données statistiques des entreprises : les données telles que le genre ou l’âge des collaborateurs et non celles sur leur orientation sexuelle, bien souvent confidentielle, à part s’ils souhaitent la partager.
Pouvez-vous nous parler de la mission de l’Autre Cercle ? A-t-elle la même raison d’être que l’année de sa création, en 1997 ?
Au début, l’association a été créée pour lutter contre les discriminations. Aujourd’hui, elle agit pour l’inclusion. On peut donc estimer qu’elle a toujours la même raison d’être, bien que celle-ci ait été reformulée : à l’époque, on ne prononçait pas le terme « diversité », qui n’est utilisé que depuis une quinzaine d’années. Et depuis cinq ans, on parle plutôt d’ « inclusion ». Je dirais que la diversité est un terme plutôt technique, tandis que l’inclusion est un état d’esprit. Cette citation de Verna Myers, activiste, l’explique très bien : « la diversité, c’est vous inviter au bal. L’inclusion, c’est vous inviter à danser »… Autrement dit, l’inclusion est l’étape qui suit la diversité : il s’agit de créer les conditions pour que tout un chacun soit naturellement inclus.
Effectivement, chez AlterNego, nous considérons l’inclusion comme la mise en mouvement des diversités ! Quel état des lieux actuel faites-vous quant à l’inclusion des personnes LGBT+ au travail ?
Les droits des personnes en couple avec une personne du même sexe ont évolué avec l’accès au Pacs, au mariage, au congé de parentalité, à la PMA, ou encore l’évolution du langage (on peut décider d’employer le mot « parent » au lieu de « papa » ou « maman »)… Et pourtant, on a pu observer des réactions encore très violentes lors de la campagne présidentielle – notamment sur les réseaux sociaux – à l’encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres. Résultat, la situation est encore extrêmement compliquée pour ces dernières. Dans le même sens, bien qu’on ait pu constater une augmentation des coming-outs de personnalités publiques ces derniers temps, celle-ci se limite aujourd’hui à certains secteurs. Très peu de personnes parlent par exemple de leur homosexualité dans le monde du sport ou le monde économique. On peut également noter qu’un tiers des personnes en couple avec une personne du même sexe n’en parlent pas à leur hiérarchie.
Aujourd’hui, quelles sont les conséquences pour les personnes homosexuelles lorsqu’elles s’ouvrent sur ce point auprès de leurs collaborateurs et/ou managers ?
Cela reste aussi très complexe : parmi les entreprises ayant signé notre charte, plus de trois personnes LGBT+ sur dix ont déjà été victimes d’agressions au travail… en sachant qu’une insulte constitue déjà une agression. Et le pire est que cela ne va pas en s’arrangeant : 26% des personnes LGBT+ étaient concernées par ces attaques, contre 30% en 2022…! Aussi, en 2020, 20% des LGBT+ étaient victimes de discrimination de la part de leur direction, contre 26% en 2022. Ce sont ces comportements qui expliquent qu’une personne LGBT+ sur deux n’est pas visible en tant que telle dans son entreprise et que 7 actifs LGBT+ sur 10 qui vivent en couple omettent de faire référence au genre de leur conjoint au travail. En conséquence, les personnes concernées ne peuvent ni partager des moments de vie – comme un mariage ou une naissance – avec leurs collaborateurs, ni activer leurs droits, ou encore demander de l’aide lorsqu’elles sont face à de l’incompréhension ou de l’adversité au travail…
Pourquoi avoir lancé en 2013 votre Charte d’Engagement LGBT+, visant à une meilleure inclusion des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT+) au travail ?
Nous avons fait le choix de travailler avec les acteurs économiques pour faire évoluer le monde du travail de l’intérieur : les signataires de la Charte sont des personnes dirigeants de grandes entreprises, PME, établissements d’enseignement supérieur, associations, des ministres, des maires et responsables de région, …
Concrètement, que demandez-vous aux entreprises ?
On attend d’elles de permettre aux personnes concernées de ne pas avoir à renier leur identité au travail, d’être elles-mêmes, notamment pour être en mesure de répondre aux questions de leurs collègues ou supérieurs hiérarchiques, d’activer des droits liés à la conjugalité (Pacs, mariage) et à la parentalité, et enfin de pouvoir demander de l’aide en cas de discrimination. On ne demande pas aux entreprises de veiller à ce que les travailleurs LGBT+ soient respectés en leur sein, car c’est une règle qui doit normalement s’appliquer à toutes les personnes de l’organisation ! Le rôle d’un employeur, qu’il soit public ou privé, est d’abord de faire en sorte qu’un climat de bienveillance règne au sein de l’entreprise, en empêchant les propos déplacés et autres préjugés qui blessent. Ensuite, l’employeur se doit de donner des signes forts, des preuves qu’il n’y a aucun risque pour les salariés à être eux-mêmes et visibles, quelle que soit la raison… d’où la nécessité des rôles modèles. Au sein de l’Autre Cercle, nous avons également mis en place une stratégie des « alliés ». Lorsque la majeure partie des collaborateurs est constituée de personnes hétérosexuelles : c’est encore plus puissant lorsque ces dernières agissent contre les discriminations et en faveur de celle ou celui qui les subit.
Que risque une entreprise qui ne respecterait pas l’inclusion des personnes LGBT+ en son sein ?
Cela peut tout simplement finir aux Prudhommes ! Ou au moins sur les réseaux…! Et puis, les employeurs ne peuvent plus ignorer que l’inclusion est aujourd’hui un levier majeur de leur marque employeur : les nouvelles générations sont capables de ne pas postuler dans une entreprise qui serait connue pour son ignorance ou pire, sa discrimination. Les jeunes sont très sensibles à une vraie politique inclusive. Ils distinguent très bien les entreprises vraiment engagées et celles qui ne le font que pour servir leur image.
Quel est votre avis sur le pinkwashing en entreprise ? Comment faire la différence entre « un marketing bien ordonné » et une « hypocrisie caractérisée »?
Lorsqu’une entreprise souhaite devenir signataire de la charte, il existe tout un processus permettant de dissocier celles qui veulent sincèrement s’engager de celles qui font ça pour « le vernis ». On les accompagne donc pour établir un état des lieux de leur processus RH, de la nature de leur dialogue social, de leur façon de gérer les transitions et de traiter les réclamations…On leur demande pourquoi elles souhaitent signer la charte… Et puis surtout ce qu’elles comptent faire après signature afin d’élaborer un vrai plan d’actions avec elles. Si aucune action n’est envisagée, ce n’est même pas la peine de sortir son crayon ! Pour cette raison, certaines entreprises ont parfois mis trois ou quatre ans à se préparer afin de gagner en maturité sur ces sujets. Et même les entreprises déjà signataires doivent parfois repasser par ces étapes. Grâce au baromètre LGBT+ L’Autre Cercle x l’IFOP nous pouvons suivre l’évolution des entreprises qui le souhaitent année après année, notamment en termes d’invisibilité, et les aider à mettre en place des actions correctives. Cela nous permet également d’estimer l’utilité de la Charte. Par exemple, plus de la moitié des personnes LGBT+ ne sont pas visibles dans l’ensemble des entreprises françaises, tandis qu’un tiers d’entre elles « seulement » sont invisibilisées chez les signataires, preuve que les choses bougent davantage pour ces dernières.
Selon vous, par quel premier petit pas les RH et managers pourraient-ils commencer pour évoluer ?
Pour démarrer, il conviendrait d’abord de se demander si les processus au sein de l’organisation sont facilitants pour toutes les personnes y compris les personnes LGBT+ et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise. Par exemple, les collaborateurs peuvent-ils activer des droits discrètement, sans que l’ensemble du collectif en soit informé ? Si une personne transitionne, sera-t-elle nommée avec le bon pronom… Ou au contraire, mégenrée (fait de désigner une personne par un genre qui ne correspond pas à son identité de genre, ndlr.) ? Ensuite, l’entreprise doit être au point sur ses politiques de sanctions. Elle doit être capable de pénaliser quiconque ne respecte pas l’un de ses membres, même le super vendeur de l’équipe s’il dépasse les bornes… Encore une fois, il ne s’agit pas de révolutionner le monde de l’entreprise, mais de respecter chaque membre d’une organisation, quel que soit son genre, ou son orientation sexuelle. Comment voulez-vous que des personnes aient envie de travailler et puissent travailler correctement dans un autre contexte ?
Propos recueillis par Anaïs Koopman