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Que nous dit le confinement de notre rapport à l’environnement ?

Des dauphins qui nagent à l’horizon des ports italiens, les canaux de Venise limpides, des biches à la course dans les rues japonaises, des canards dans les rues de Paris ou encore des bébés tortues qui naissent sur les plages habituellement bondées du Brésil… En voilà des images émouvantes qui nous rappellent que lorsque les humains se retirent du tableau, la nature reprend sa place. A côté de ces images pleines de poésie, il y a les photos satellitaires qui mettent en évidence la baisse significative de la pollution dans tous les pays touchés par le confinement. Autant d’images qui nous rappellent que l’activité humaine a un impact sur la vie animale et végétale mais aussi sur la condition de notre propre espèce (la pollution atmosphérique à elle seule tuerait 8,8 millions de personnes par an dans le monde). A tel point que plusieurs commentateurs en sont à se demander si l’épisode du COVID-19, cette catastrophe pour la santé des êtres humains, ne serait pas une aubaine pour la santé de l’environnement. Et si on dépassait cette opposition binaire entre la planète qui nous abrite et celle que nous habitons ? Car ce n’en est qu’une seule, évidemment, qui ne nous appartient pas mais qu’il nous appartient de préserver avec détermination.

Fin du monde, fin de la pandémie, même combat ?

Si beaucoup de comparaisons sont faites entre la crise climatique et la crise sanitaire, leurs leviers sont différents. En commun, ces crises ont un caractère global, impliquant toute la planète et toute la population ; une exigence d’implication collective ; le besoin impérieux de prises de décisions avec l’appui des sciences pour identifier les modes d’action. Mais la comparaison s’arrête à peu près ici.

Les différences entre crise climatique et crise sanitaire sont nombreuses. Tout d’abord la temporalité. La crise climatique est un sujet de longue haleine, que nous connaissons depuis très longtemps, qui se manifeste progressivement, de manière presque pernicieuse. Elle touche d’abord les populations les plus vulnérables dans les pays les plus pauvres, et se répand progressivement. Elle parait abstraite, lointaine. Le virus, quant à lui, touche tout le monde, les personnalités les plus célèbres comme nos proches les plus anonymes. L’effet du virus, à la différence des effets de la pollution, est immédiatement, pour ne pas dire brutalement visible.

Mais c’est surtout sur le plan d’actions à mettre en œuvre que se situe la distinction. La crise climatique exige des actions coordonnées, permanentes, au long court, pour peu de résultats visibles à court terme. Alors que lutter contre le COVID-19, à ce qu’on en observe, semble relever d’actions rapides, concrètes, objectivables dans leur efficacité à court terme.

Ces différences ne seraient rien si elles n’étaient associées à un risque. Le risque majeur de l’assimilation entre crise environnementale et crise sanitaire est d’ancrer l’idée que pour sauver la planète, il faut passer par l’arrêt des activités humaines et donc par l’entrée dans une récession économique, motif d’angoisse s’il en est, pour nos sociétés qui aspirent au progrès social et l’adossent à la croissance. Cette idée d’une décroissance à marche forcée serait en outre contre-productive pour susciter l’adhésion aux politiques de transition. De plus, pour éviter une flambée du réchauffement climatique, il faut des changements solides et de long terme, pas une « année blanche ». On ne peut donc pas assimiler les deux crises, même si elles sont liées.

La crise sanitaire, une crise liée au changement climatique ?

Le lien avait déjà été établi pour l’épidémie du virus Ebola en 2015. L’activité humaine croissante et son corollaire la déforestation étaient bel et bien partie prenante du risque sanitaire. En effet, l’association d’une densité humaine grandissante avec l’hypermobilité et la réduction drastique des habitats naturels des espèces sauvages crée des conditions propices à l’émergence et la diffusion des zoonoses à l’origine des dernières grandes épidémies. En cause : une double promiscuité et une multiplication des contacts entre les animaux sauvages et les humains d’une part, et entre les humains d’autre part. Le SRAS (civette), le MERS (chameaux), Ebola (animaux de brousse) et maintenant le COVID-19 comptent parmi ce lot de 65 % des maladies émergentes que sont les zoonoses.

Le système immunitaire de toutes les espèces, animales comme végétales, fonctionne comme un sportif, avec beaucoup d’entraînement. Les humains n’ayant pas été en contact avec les agents pathogènes propres aux animaux sauvages, ils n’ont pas développé les défenses pour y faire face, et ils y sont donc beaucoup plus fragiles. Par ailleurs, dans les grandes villes, à la promiscuité s’ajoute la pollution, qui augmente la prévalence de maladies chroniques cardio-vasculaires et respiratoires, lesquelles constituent un facteur aggravant de la morbidité du COVID-19.

« Il y a une incompréhension parmi les scientifiques et le public par rapport au fait que les écosystèmes naturels sont une source de menace pour nous. La nature contient des menaces, c’est vrai, mais ce sont les activités humaines qui font des dégâts. Le risque sanitaire dans un environnement naturel peut être aggravé quand on interfère avec lui », explique Richard Osfeld, scientifique du Cary Institute of Ecosystem Studies à New York, dans un article paru sur le site Ensia.

L’après-crise : attention à l’effet rebond

La crise sanitaire est limitée dans le temps. Nous faisons déjà des projets pour cet été, pour la rentrée de septembre et les politiques ainsi que les entreprises et acteurs de la finance etc. établissent des plans pour la reprise économique.

Mais quelle reprise ? Cette baisse d’activité humaine, présentée comme une bouffée d’air pour la nature, pourrait être suivie d’un surcroît d’activité pour compenser les pertes d’un (voire deux) trimestre(s) en berne. L’angoisse de la récession ne risque-t-elle pas de faire de la relance économique une priorité « quoi qu’il en coûte », au détriment des politiques environnementales (mais aussi sociales et culturelles…) ?

Le « Green Deal » européen, annoncé comme le prochain grand projet (et grand budget) de la Communauté a déjà été relégué au second plan. Et dans le lot des événements reportés, ajournés ou annulés, les rencontres consacrées au climat climatique ne sont pas épargnées, tant s’en faut…

Augustin Fragnière nous rappelle qu’« on peut donc craindre non seulement un effet rebond en termes d’émissions de gaz à effet de serre, mais également que le problème climatique redescende considérablement dans l’agenda politique ».

Et après, on va où ?

C’est dès à présent qu’il faut penser l’après. Ne pas chercher à revenir à « l’avant-corona », mais se mobiliser pour construire de meilleurs lendemains, basés sur l’apprentissage de nos erreurs. Notre système pollue et la pollution nuit au vivant, plantes, animaux, humains… Les équilibres se rompent, ceux de la biodiversité et des cycles naturels, mais aussi les nôtres : risques psycho-sociaux, augmentation des inégalités, montées des populismes, dépendance internationale pour la production de biens de première nécessité, etc. répondent en miroir aux risques environnementaux. Il est essentiel d’agir de manière globale. Comment ?

La première leçon à retenir de la crise sanitaire, c’est qu’il est possible d’agir : la crise montre la force des démocraties, capables de décisions et d’actions d’ampleur pour lutter contre la crise sanitaire. On est en droit d’attendre une même détermination dans la lutte contre le changement climatique. Les mesures réclamées par les défenseurs de l’environnement depuis plus de 30 ans, qui semblaient impossibles, apparaissent accessibles aujourd’hui.

La prise de conscience de l’impact de l’activité humaine sur la nature est l’occasion de se mobiliser pour entamer des changements difficiles mais nécessaires : réduire notre dépendance aux énergies fossiles, consommer moins mais plus localement, lutter contre l’obsolescence programmée, manger moins de viande, voyager moins loin… Bref, faire des concessions ou plutôt consommer autrement. Et imaginer comme il sera plus agréable de vivre dans des espaces moins pollués, la tranquillité d’esprit que nous apportera la perspective de risques sanitaires et climatiques réduits. Ce n’est pas de rêve ou d’idéal dont il s’agit, mais bien de sociétés résilientes et rationnelles. De sociétés de bon sens, à l’écoute des sciences et de l’éthique.

L’épisode du COVID-19 ouvre de nouvelles perspectives politiques. Il montre que nous avons besoin d’opérer des changements collectivement. Des changements qui soient portés par tous, entreprises, gouvernements, citoyens/consommateurs. Aujourd’hui, par réaction à une crise, nous sommes en train de changer. Le changement est imposé par un virus. A nous d’opérer demain des changements portés par un projet commun. Comme nous le rappelle Yuval Noah Harari, « L’orage passera, l’humanité survivra, la plupart d’entre nous seront toujours vivants, mais nous nous retrouverons dans un monde différent ». Ce monde différent reste à construire, et cet arrêt brutal peut être transformé, d’une terrible période à l’opportunité de construire des sociétés durables et résilientes. Alors, au travail.

Julia Domini, avec Marie Donzel

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