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PSE : sauvegarder l’emploi, c’est aussi (et surtout) renforcer l’employabilité

De nombreux PSE sont annoncés dans des entreprises de tous secteurs, comme une suite prévisible de la crise sanitaire, du confinement et du ralentissement de l’économie associé. Cette massive vague de « plans sociaux » met en lumière un phénomène qui n’est pas si récent ni si conjoncturel : de nombreuses organisations pratiquent le PSE à intervalles réguliers. Une nécessité dans un environnement globalisé où les transformations sont rapides et incessantes ? Ou une question de l’emploi qui mériterait d’être différemment posée, en portant notamment l’accent sur le grand enjeu de l’employabilité ? Pour éclairer le sujet, nous avons interrogé Sophie Berlioz, docteure en philosophie, experte du dialogue social et du changement dans les organisations.

Depuis 2002, on ne parle plus de « plan social » mais de « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE). Quelle différence ? Et d’ailleurs, pourquoi l’expression « plan social » a-t-elle perduré dans le langage courant, malgré le changement de terminologie officielle ? 

Il existe deux manières de comprendre le glissement sémantique opéré dans le cadre de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.

La première interprétation renvoie aux changements importants qui ont affecté les organisations dans un contexte de transformation économique et sociale : un marché globalisé, une concurrence accrue du produit ou service et du travail.  A ce titre, la généralisation des restructurations d’entreprise ces dernières années représente un véritable changement dans l’économie française qui, à lui seul, peut justifier le changement de terminologie.

Ce qui change alors entre le « plan social » et le « plan de sauvegarde de l’emploi », c’est que dans un cas, on supprime de l’emploi et dans l’autre on modifie les modalités de certains emplois pour en préserver le plus grand nombre. Il s’agit là d’une interprétation économique, une lecture froide de l’évolution des organisations et des emplois aujourd’hui. Mais elle n’en est pas moins douloureuse et difficile à accepter pour les individus. La suppression ou la délocalisation d’un emploi ou d’une fonction est couplée à une forte charge symbolique. Elle questionne les individus sur le sens du travail, de l’implication et de l’engagement. Et cette réalité persiste indépendamment des changements de terminologie. C’est sans doute pour cela que « plan social » persiste dans l’usage courant pour désigner ces changements.

La deuxième interprétation, qui est sans doute la plus conforme à la réalité, c’est que « plan social » et « plan de sauvegarde de l’emploi » s’équivalent. Le changement de terme n’est pas justifié car les conséquences restent les mêmes. Des emplois sont supprimés. Pire encore, la connotation positive « préserver l’emploi » suggérée par le nouveau terme, pourrait masquer une réalité sociale fort délicate. Suggérer finalement qu’elle n’existe pas ou qu’elle existe moins. Sous couvert de « préservation de l’emploi », on banaliserait ainsi, subrepticement, les plans sociaux pour finalement relativiser l’impact et le coût social de ce type de montage économique.

La réalité se niche sans doute entre ces deux lectures. Elles sont toutefois intéressantes à prendre en compte pour prendre la mesure de la complexité économique et sociale des PSE.

Pourquoi les PSE, a priori conçus pour promouvoir une certaine performance sociale co-existant avec la performance économique, font l’objet d’une forte suspicion de « stratégie de dégraissage » ? Et comment changer de paradigme ?

Je pense qu’il est difficile de parler de performance sociale dans l’exercice d’un PSE tant la construction, l’annonce et la mise en œuvre d’un projet de ce type constituent des moments sensibles dans la vie d’une organisation. Toutefois, le volet social n’en reste pas moins déterminant pour assurer la continuité des activités dans les meilleures conditions. La complexité de la situation pourrait se résumer par cette question : comment impliquer un corps social dans un projet de transformation profond, parfois douloureux, tout en s’inscrivant dans un cadre réglementaire contraignant ?

Car les conditions de bonne conduite de ce type de projet résident dans la subtile articulation entre les exigences formelles (réglementaires) et les exigences d’accompagnement social et d’informations réelles dont les collaborateurs et les managers de l’entreprise ont besoin dans ce type de moment. Notre retour d’expérience nous montre que ces moments exposent à trois ordres de difficulté intimement liés.

  • Le premier concerne l’amont du projet, c’est-à-dire le moment de la conception du projet, la construction du « pourquoi », les raisons économiques, et l’anticipation des actions visant à faciliter la mise en œuvre, la construction du « comment », c’est-à-dire le plan de prévention. Cette phase, dictée par la réglementation, exige confidentialité et discrétion. Pour autant, elle ne doit pas se restreindre à ce cadre. Il est important d’y voir une première condition de possibilité de la faisabilité sociale du projet. A ce titre, la rédaction du projet et de l’ensemble des documents réglementaires ne sont pas des exercices de style : ils fixent le cadre — à négocier— des futures actions d’accompagnement, de la communication sociale, elle donne matière à de futures négociations avec les partenaires sociaux dans la co-construction du plan de prévention, ils garantissent aux managers de proximité de disposer des outils indispensables durant la phase de transition et aux collaborateurs d’être accompagnés dans une période difficile. Il s’agit ici véritablement d’assurer les meilleures conditions de continuité du travail pour ceux qui restent dans l’entreprise et les meilleures conditions d’employabilité pour ceux qui partent de l’entreprise.
  • Le deuxième niveau de difficulté concerne l’annonce et la gestion de l’incertitude et des craintes qu’elle implique sur le court et moyen terme. Cette phase est complexe et déterminante à plusieurs titres. Elle initie le parcours d’information/consultation auprès des instances représentations du personnel (IRP) et organisations syndicales (OS) et le premier moment où de nombreuses informations, parfois contradictoires, vont circuler. Cette phase est sensible car il va s’agir aussi d’impliquer la ligne managériale, notamment les managers de proximité et les collaborateurs. Rassurer les managers et les doter d’outils alors même qu’ils apprennent l’existence du projet et peuvent être concernés directement par ses impacts. Être présent aux plus près des besoins des collaborateurs, leur permettre de s’exprimer sur leur vécu, leurs difficultés, les accompagner et les informer sur la suite des événements. Pour répondre à cet enjeu, la mise en place d’un parcours de soutien social et d’accompagnement dédié aux managers et aux collaborateurs est déterminant pour que les premiers puissent jouer leur rôle de courroie de transmission de l’information, d’identification des signaux faibles ou situations RPS tout en se préservant, eux-mêmes, des expositions potentielles ; et pour que les seconds puissent être écoutés, informés et accompagnés dans un épisode marquant et parfois douloureux de leur histoire professionnelle.
  • Enfin, la troisième difficulté est celle de la gestion de l’aléa des situations réelles durant la période de transition. En effet, un plan de prévention, même le plus abouti, ne peut pas permettre de prédire le cours des faits. S’il doit prévoir l’ensemble des situations possibles et les moyens d’y répondre, il ne peut pas entièrement prédire le futur. L’anticipation est donc certes essentielle, mais à condition qu’elle soit couplée à de la réactivité et de l’adaptabilité en situation. Pour cela, il est essentiel de construire le dispositif le plus complet, mais il faut également être prêt à le réviser et à s’adapter en situations d’exception.

Il est à noter que ces éléments de gestion sociale de crise sont nécessaires mais pas suffisants pour ancrer la performance sociale d’une entreprise de manière pérenne. Car cette dernière se construit et se consolide sur le long terme. Par un dialogue social constant avec les organisations syndicales, par une communication sociale à tous les échelons de l’organisation, mais aussi par la construction de schémas directeurs et stratégiques en faveur de l’employabilité des collaborateurs (GPEC)… Ce sont ces éléments du dialogue social qui sont garants de la performance sociale et qui ont vocation, dans leur fondement même, à prévenir les PSE.

Quel rôle ont à jouer les instances représentatives du personnel dans un PSE et de quels moyens disposent-elles pour contribuer à la mise en place et au déploiement d’un PSE ?

Les instances représentatives du personnel et délégués syndicaux ont un rôle essentiel aussi bien dans leur rôle de négociation avec la Direction que dans leur rôle de représentants de proximité des salariés.

Ils sont d’abord les acteurs incontournables du parcours social, c’est-à-dire des réunions d’information/consultation au cours desquelles la Direction présente son projet économique et l’ensemble des mesures sociales d’accompagnement de ceux qui partent de l’entreprise et de ceux qui restent dans l’entreprise.

Plusieurs réunions rythment ce parcours durant lequel chacun est soumis à confidentialité, ce qui rend l’exercice d’autant plus compliqué que certaines informations peuvent commencer à circuler dans l’organisation. Dans ce cadre, IRP et OS peuvent désigner un cabinet d’expertise économique pour les outiller et les accompagner dans l’avis à émettre. Ce cabinet examine les documents adressés par la Direction : notes économiques (Livre II), mesures d’accompagnement (Livre I), notes prévention CSSCT… Une fois l’avis rendu, s’ouvre la phase de l’homologation par les services de l’État du PSE, qui peut le valider ou l’invalider selon la viabilité économique et sociale du projet proposé. Les mesures sociales d’accompagnement font souvent l’objet d’une vigilance accrue des organisations syndicales et sont les principaux leviers de négociation entre les partenaires sociaux. Car, il n’est pas inutile de le rappeler, une information/consultation n’est pas une négociation.

Mais les IRP et OS ont également un rôle essentiel dans leur fonction de représentants des intérêts des salariés. Ils assurent les remontées des problématiques rencontrées par les collaborateurs, veillent à ce que les mesures proposées cadrent bien avec les réalités du terrain, et peuvent parfois être associés aux mesures de prévention proposés, ce qui s’avère souvent fructueux. De fait, par leur proximité avec les collaborateurs, ils peuvent constituer un acteur de prévention privilégié dans les remontées et les traitements de situations délicates.

Enfin, et surtout, les instances représentatives du personnel sont des acteurs clés et durables dans les organisations. Ils ont un rôle à jouer et à occuper, dans leur dialogue avec les Directions, dans l’anticipation des évolutions des emplois et des compétences, pour assurer l’employabilité des collaborateurs tout au long de leur parcours professionnel. Car en ces temps de changements constants, l’enjeu de l’employabilité constitue, j’en suis sûre, le meilleur levier d’anticipation pour prévenir ces crises sensibles que sont les PSE, souvent envisagés comme dernier recours.

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