L’art de savoir faire la paix et non la guerre
Tout au long de l’histoire, des puissants se sont lancés dans des campagnes militaires visant à asseoir leur autorité, à élargir leur territoire, à réprimer des contestations, ou encore à prendre le pouvoir au détriment d’autres puissants. Si leurs faits de guerre nous sont bien connus, leurs techniques de pacification nous le sont beaucoup moins. Pourtant, le versant d’une déclaration de guerre n’est-il pas un traité ou un accord de paix ? Dans cet ouvrage, Jean-Édouard Grésy et Éric le Déley ont analysé et décrypté les stratégies de négociation et d’alliances diplomatiques de sept acteurs majeurs de l’histoire de France. Loin d’être obsolètes, leurs habiles talents de pacificateurs sont une source d’inspiration pour qui veut renforcer ses compétences de négociation dans le monde de l’entreprise actuel.
L’art d’élaborer et de conclure un traité
Peu nombreux sont, sans doute, celles et ceux qui peuvent citer les dates des Traités de Picquigny, de Saint-Germain ou de Westphalie et expliquer en quoi ils ont été essentiels à l’édification de la France que nous connaissons. Pourtant, l’importance de ces traités a bel et bien été considérable et leur étude peut être doublement enrichissante. En premier lieu parce que sans ces traités, aucune guerre n’aurait pu cesser ni aucun territoire être remodelé et/ou pacifié. En second lieu parce que les modalités selon lesquelles ils ont été conclus et les clauses auxquelles ils ont abouti sont cruciales pour comprendre les enjeux sociaux, politiques et territoriaux des années qui leur ont succédé. À chaque traité de paix, des conséquences. Conséquences qui peuvent, à l’instar de celles du Traité de Versailles conclu entre la France et l’Allemagne en 1919, se révéler dramatiques des années plus tard.
Mais un bon traité, une bonne négociation ont-ils pour autant une définition ? Difficile de répondre de manière définitive à cette question tant l’histoire est mouvante et prend parfois des tours auxquels on ne s’attend pas. Cependant, ce qui est certain, c’est que parvenir à une paix durable relève d’une éthique de la responsabilité. À l’issue d’une guerre, vainqueur et vaincu ont en effet besoin l’un de l’autre pour définir un terrain d’entente afin de se projeter vers un avenir stable et prospère convenant aussi bien à l’un qu’à l’autre. En matière de traité, humilier son rival vaincu est donc aussi vain que d’asseoir sur lui son ambition, comme l’expliquait Jules Mazarin : « Quand tu auras triomphé d’un adversaire, ne cède pas à la tentation de l’insulter par-dessus le marché. Ne te gausse pas de tes rivaux, retiens-toi de les provoquer et, chaque fois que tu seras vainqueur, contente-toi du plaisir de la victoire sans t’en glorifier en paroles ou en actes. »
L’art de mobiliser ses ressources en vue d’une négociation
Louis XI, l’araignée ; Catherine de Médicis, la serpente ; Jules de Mazarin, le vautour ; Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, le diable boiteux. Pourquoi les sept négociateurs de cet ouvrage se sont-ils vus affubler de sobriquets dégradants alors même qu’ils ont fait preuve d’un sens des responsabilités hors-norme dans l’exercice du pouvoir et de la recherche de la paix ? Sans doute parce qu’à la violence, ils préféraient la ruse. « Subtilité vaut mieux que force », nous enseigne Louis XI. Cette maxime courte en dit pourtant long sur le lien qui existe entre les dirigeants politiques et la guerre.
Catherine de Médicis l’a bien compris qui, un siècle après, se fera l’écho du monarque français : « Gardez-vous de livrer bataille et souvenez-vous des conseils de Louis XI : la paix signée est toujours plus avantageuse avant la défaite ». Sage conseil qui reflète une vérité trop peu souvent traitée en histoire : savoir faire la paix est un art que notre approche occidentale clausewitzienne de la guerre a trop souvent sous-estimé, voire dénigré. Dans cet art font mouche certaines tactiques et brillent certains traits de l’esprit bien trop souvent jugés comme des défauts, tels que la fourberie, le leurre et la dissimulation. Car si l’on admet que les personnalités des sept figures historiques mises en avant dans cet ouvrage sont bien plus que vautour, araignée ou serpente, alors on leur prêtera des qualités très utiles pour savoir négocier.
Selon la règle des trois P (personne, problème, processus), quand Michel Rocard reconnaissait l’autre dans son altérité, Simone Veil définissait un objectif commun partagé avec ceux à qui elle avait affaire et Staline précisait toujours les accords trouvés. Leurs stratégies, et parfois même leurs subterfuges, sont d’intemporels enseignements. Ils permettront aux négociateurs d’aujourd’hui d’élargir leur répertoire de réponses pour mieux convaincre et comprendre les parties prenantes et s’entendre avec elles sur la forme comme sur le fond.
Julie Delaissé