santé & durabilité

Faire face à l’incertitude : comment prendre
une décision sous pression ? 

Renaud Emont, médecin urgentiste et pilote instructeur d’avion, décrypte pour nous ce qu’il se passe lorsque nous avons à gérer la pression des risques et du temps dans des situations complexes… Et nous aider à y voir plus clair ! 

Quel point commun existe-t-il entre une panne d’avion en plein décollage, un patient aux urgences, et une contrainte financière imprévue et impactante pour l’équilibre d’une l’entreprise ?  Dans chacune de ces situations, on retrouve une prise de décision dans un contexte de charge émotionnelle intense et d’avenir incertain.

Alors qu’il est reconnu que le stress et l’instabilité peuvent bloquer la prise de décision, comment peut-on imaginer que des scénarios qu’on ne peut pas prévoir se soldent autrement que par un échec systématique ? Décryptage des effets de l’incertitude sur nos comportements, et de la manière de construire une stratégie décisionnelle intelligente.  

Décider dans l’urgence : un challenge émotionnel ?  

Lorsque le moteur d’un avion décide de ne plus délivrer de puissance au décollage, le pilote peut se retrouve submergé par des émotions fortes, à commencer par la peur. Mais que faire de celui qui a peur ? Le mettre à la porte ? Bien sûr que non. Non seulement la peur est naturelle, mais en plus c’est cette émotion qui permet ensuite de s’adapter. C’est même le point de départ d’une réaction en chaîne qui aboutira à un changement de scénario.

L’homme possède cet ADN, riche d’une évolution de plusieurs millions d’années, grâce à laquelle nous analysons les changements avant tout par le filtre de l’instinct de survie. Et toute modification est une menace jusqu’à preuve du contraire ! Notre sentiment de sécurité découle d’une part de la protection du groupe dans lequel nous vivons, mais aussi de la stabilité de l’environnement qui nous entoure. L’incapacité à prévoir l’évolution d’une situation est un facteur de rupture de notre équilibre interne qui va générer de l’inconfort mais aussi du stress. Or cette réaction physiologique, émotionnelle et comportementale, limite nos capacités cognitives et les risques sont bien concrets. L’analyse négative par défaut de la situation nous pousse dans les biais d’aversion à la perte ou au risque. La prise de décision est alors bloquée (plutôt ne rien faire que perdre ce que je pense avoir, ou prendre un risque), l’émotion se dévoile et le confort ne peut être restauré que par la certitude du scénario à venir.   

Voilà bien le problème de la décision managériale. Lorsque vous décidez, vous faites un pari sur l’évolution future. On comprend alors le stress ressenti et l’inconfort du manager tant que l’avenir n’a pas été dévoilé pour lui donner tort ou raison. Qui peut se prévaloir d’anticiper les évolutions à venir de notre société complexe dans tous ses domaines ?  Regardons du côté de la médecine et de l’aéronautique où la prise de risque est omniprésente pour parvenir à prendre des décisions fiables malgré l’incertitude. 

Décider dans l’urgence : quelles solutions pour l’entreprise ?

Pour comprendre le mécanisme d’une prise de décision, on peut découper cette dernière en trois étapes :

  • Évaluer

En médecine et en aéronautique, évaluer c’est utiliser des analogies basées sur des expériences passées qui permettent de classer l’événement dans le connu. Ce sont ces expériences qui permettent de développer l’expertise. En multipliant les expériences, bonnes ou mauvaises, le manager peut affiner son « bon sens », son aptitude à la décision… Et sera bien plus enclin à repérer les signaux faibles qui annoncent la crise des collaborateurs, et à décider de mesures préventives. En parallèle, stress et charge émotionnelle vont s’atténue et faciliter l’acceptation du risque.  

Notons toutefois que l’évaluation dans l’entreprise n’est pas soumise au même facteur temps que le pilotage lorsque l’avion va mal, ou la gestion d’un malade qui s’aggrave. Sachons reconnaitre que les dead-lines ne sont pas figées et le que le temps de l’évaluation est un allié !

  • Choisir

En médecine et en aéronautique, choisir c’est décider du meilleur compromis après avoir récupéré toutes les informations, et s’assurer d’avoir une représentation la plus conforme à ce qui se passe. Et c’est par le leadership que son exécution sera performante. Le commandant de bord, ou le médecin urgentiste doit faire preuve d’assértivité, et s’il en a le temps, expliquer sa décision avant de la mettre en oeuvre.  

Par analogie, dans le monde du travail, la décision doit survenir après ce temps nécessaire d’évaluation collective. Le manager décide seul, après l’écoute de tous et après avoir mis en balance les risques et avantages. Son leadership est le garant de l’acceptation de sa décision. L’adhésion au plan d’action n’en sera que plus performant, même de la part des détracteurs.  

  • Agir

En médecine et en aéronautique, on n’agit pas sans procédures et conduites à tenir, élaborées en amont afin de réduire le risque et la subjectivité de chacun.  Cette action nécessite alors le contrôle du déroulé du scénario attendu, dans lequel les rôles de chacun peuvent être ajustés pour conduire l’action.

Et si la situation prend une tournure inattendue, il est nécessaire d’arrêter la mise en œuvre et de revenir à la première étape, celle de l’évaluation des faits, éclairés de l’évolution de la situation. Cette mise à zéro permet alors une nouvelle analyse éclairée de ce qui s’est passé.  

Et pour mieux décider ?

Pour commencer dès à présent à mieux comprendre, anticiper, maitriser l’évolution de notre société et ainsi mieux décider, voici quelques pistes de réflexion à appliquer au quotidien dans le monde du travail :  

  • S’appuyer sur le collectif

Découpez à plusieurs la complexité de votre situation en problèmes distincts, simples à résoudre. Et si l’analogie est fausse ? Challengez la perception de la situation par plusieurs équipes. Investissez pour motiver les collaborateurs à vous démontrer que vous avez faux. Cela vous permettra de passer du temps sur les signaux faibles annonciateurs d’une nouvelle situation, d’un glissement lent vers la crise.  

  • Faire preuve d’humilité

Reconnaitre notre vulnérabilité et la complexité du monde permet une meilleure agilité. Nous sommes tous faillibles alors affirmons notre droit à l’erreur. L’injonction à réussir sans échec est un frein à l’agilité managériale et donc à la réussite. Et ça tombe bien, l’humilité se marie très bien avec le leadership. Alors osez, innovez, faites bouger les lignes en assumant les risques ! 

Notre monde actuel est par définition complexe et générateur de blocages. La résolution des problèmes ne peut s’envisager qu’au travers d’une formation solide à la compréhension de soi, aux facteurs humains, à la formation au leadership et aux situations de crises. Alors construisons ensemble une architecture de la décision ! Car il est crucial de décider comment décider.  

Renaud Emont, médecin urgentiste et SAMU, pilote professionnel et instructeur d’avion, conférencier sur la prise de décision

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