En tant que passionné de musique et musicien sur mon temps libre, je me suis toujours demandé de quelle manière la musique pourrait contribuer à éclairer les comportements et des dynamiques en négociation.
DE LA PARTITION à l’ARRANGEMENT
Le déclic a été un film documentaire sur la vie d’Ennio Morricone réalisé par Giuseppe Tornatore. J’ai ainsi découvert qu’Ennio Morricone, compositeur connu globalement pour l’écriture des bandes sonores des films Spaghetti Western de Sergio Leone avec Clint Eastwood, avait commencé sa carrière en tant qu’arrangeur de chansons d’autres artistes. Cette figure de l’arrangeur est largement méconnue mais elle n’est pas moins fondamentale pour décider comment on va interpréter une partition, avec quel type et quel nombre d’instruments. Un autre exemple de ce rôle est celui de George Martin qui fut aussitôt nommé le cinquième The Beatles pour sa contribution à l’orchestration et à l’arrangement des chansons du groupe.
Donc une fois qu’un compositeur a écrit une partition avec une mélodie, il peut y avoir plusieurs façons de l’exécuter, avec différents instruments, plus vite, plus fort, moins fort, avec un crescendo ou toutes autres figures de style que l’arrangeur ou les musiciens décident.
DE L’éCRITURE DU MANDAT à LA POSTURE STRATéGIQUE EN NéGOCIATION
Il est donc intéressant de faire un parallèle entre l’écriture d’une partition et son arrangement, d’une part, et l’écriture d’un mandat dans lequel on fixe les objectifs à atteindre et la posture stratégique qui détermine la manière dont on essaiera de les atteindre, d’autre part. Le mandat correspond bien à une partition qui sera ensuite interprétée par le négociateur. Allons-nous commencer notre exécution par un andante ou allegretto, puis nous monterons en force avec un crescendo, ou bien allons-nous commencer par un decrescendo puis nous poursuivrons par un adagio ? Avons-nous un soliste ou plutôt un quartet de violons ? Qui jouera la partition, un pianiste ou une chanteuse de jazz ? Ces questions correspondent bien à la dynamique d’une négociation car le choix d’un négociateur ou d’un autre et d’une posture stratégique ou d’une autre ne produiront pas les mêmes dynamiques ni les mêmes résultats.
CHOISIR LE BON NéGOCIATEUR : UNE CONDITION ESSENTIELLE !
En négociation, on n’insistera jamais assez sur l’importance du choix du négociateur et de ses qualités, telles que son capital cognitif (la compréhension du problème de fond), son capital émotionnel (son intelligence et résilience émotionnelles), son capital social (ses connexions et relations) et in fine son capital culturel (l’adaptabilité à des cultures professionnelles et géographiques différentes). La spécificité et le poids des caractéristiques individuelles du négociateur aussi que sa posture stratégique sont facilement observables dans les cours de formation ou les séminaires à l’université. En tant qu’enseignant, j’ai eu le privilège de pouvoir observer des centaines de binômes de personnes qui négocient la même simulation en obtenant des résultats complètement différents voire carrément opposés en fonction de leur personnalité et aussi de la manière de planifier et conduire la négociation.
La simulation que j’ai faite jouer à mes étudiants peut facilement être assimilée à une partition qui est interprétée par des centaines de musiciens différents. La même partition donc, arrangée et jouée de manière différente, donne des résultats très différents.
La clé de la réussite d’une négociation consiste à bien choisir le négociateur qui sera en mesure de s’adapter le mieux au contexte de l’interaction avec sa propre équipe ainsi qu’à la contrepartie. Avez-vous besoin d’un guitariste solo ou plutôt d’un orchestre de musique classique ? Préférez-vous une version funky ou rock pour bluffer votre public lors de l’exécution de votre partition ?
Pour illustrer ces propos, je vous invite à écouter ce medley avec 8 versions différentes du standard jazz « Summertime ». Le medley est construite avec une progression par instrument et aussi par style musical :
Une version au piano solo avec arrangement de musique classique (The Pianos of Cha’n)
Une version au piano avec section rythmique de contrebasse et batterie (Oscar Peterson)
2 versions avec saxophone (Paul Desmond et John Coltrane)
2 versions avec trompette (Miles Davis et Chet Baker)
Une version funky chantée par George Benson
Une version rock chantée (Janis Joplin)
Après avoir écouté les extraits de « Summertime », j’espère que vous serez plus convaincu de l’importance de choisir le bon négociateur/arrangeur en fonction du contexte de la négociation. Demandez-vous plus souvent quelle musique votre interlocuteur aimerait écouter, vous éviterez des cacophonies désagréables dans vos négociations !