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L’œil de l’experte : La prise en charge à 100% de la formation professionnelle

La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a annoncé que le gouvernement prendrait en charge 100% des coûts de formation pour les salarié·e·s au chômage partiel. Notre experte en innovation sociale, Marie Donzel, éclaire les enjeux de cette mesure.

Quelle est ta lecture de ce fait d’actualité ?

L’indemnisation à 100% des salarié·e·s en chômage partiel qui suivent une formation n’est pas une nouvelle mesure en soi : le décret du 7 février 2012 est à l’origine de ce dispositif. L’article L 5122-2 du Code du Travail, modifié en 2013 puis en 2018, précise les conditions dans lesquelles il s’applique. Il fait notamment référence à l’article L 6314-1, lequel, dans le cadre de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), indique que « Tout travailleur engagé dans la vie active ou toute personne qui s’y engage a droit à la qualification professionnelle et doit pouvoir suivre une formation lui permettant, quel que soit son statut, de progresser au cours de sa vie professionnelle d’au moins un niveau en acquérant une qualification correspondant aux besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme. » L’indemnité de chômage partiel est alors majorée à 100% du revenu net du/de la salarié·e qui suit une formation.

Les textes de la « loi avenir professionnel » de 2018 précisent les modalités de versement du complément par l’employeur et les démarches que celui-ci peut effectuer pour financer ces actions de formation. L’ordonnance du 1er avril 2020 portant sur les actions de formation professionnelle dans le cadre du plan d’urgence Covid-19 jette les bases du renforcement du soutien des pouvoirs publics à la formation professionnelle en cette période. Toutefois, n’est pas encore complètement clarifié ce que recouvre, en termes de modalités, la « prise en charge à 100% par le gouvernement ». Sans doute aurons-nous, dans les jours à venir, des éléments complémentaires d’information sur les démarches à suivre.

Quels enjeux cela recouvre-t-il ?

Il faut assurément saluer le fait que la formation professionnelle prenne sa pleine place dans le plan d’urgence que les pouvoirs publics bâtissent pour accompagner les acteurs de l’économie dans la période que nous traversons et en anticipation de « l’après ».

Il n’y va pas que « d’occuper » les personnes confinées en les encourageant à faire usage du temps « libéré » par le chômage partiel pour développer leurs compétences. Même si on peut considérer que c’est déjà là un bénéfice immédiat quand les sentiments d’ennui, d’inutilité, de perte de sens grignotent le moral d’un certain nombre et peuvent favoriser chez certain·e·s des troubles psychiques qu’il faut bien rapprocher des risques psychosociaux. Rappelons en effet que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique ET mentale de ses salarié·e·s et que le chômage partiel ne le décharge pas de ses obligations en la matière.

Il est par ailleurs fondamental de ne pas relâcher les efforts d’investissement dans le développement du « capital humain » à l’heure où la trésorerie des entreprises se tend et où il pourrait être tentant de sacrifier au court-termisme à coups de coupes claires dans les postes de dépense qui semblent ne pas « rapporter » de bénéfices immédiatement lisibles dans le chiffre d’affaires. L’économie a plus que jamais besoin de ressources humaines, au sens propre et noble du terme : des compétences, de l’engagement, de la capacité à faire-ensemble, du sens de l’initiative, de l’esprit d’innovation, des femmes et des hommes de valeur(s)… Ce serait monumental gâchis que de laisser en friches la terre riche et précieuse que constitue une population éduquée, formée, appétente au travail, portée collectivement par la culture du mérite et l’aspiration à s’élever. Ajoutons que la question de l’employabilité co-engage les salarié·e·s, en tant qu’acteurs autonomisés dans la prise en main de leur trajectoire professionnelle et les entreprises, en tant qu’employeurs comme en tant que contributeurs au financement de la formation : en jeu, la mise en cohérence des mutations du monde du travail avec la montée en compétences de la population active.

Cet enjeu-là est clé et il se présente désormais comme impérieux pour « l’après ». L’après, c’est sinon une disruption globale, à tout le moins un ensemble de transitions qui vont concerner les modèles économiques, les échanges, les façons de travailler, les relations entre parties prenantes, le dialogue social, la communication, la perception de la valeur, la considération des externalités… Certaines organisations ont pris de l’avance en formant depuis déjà plusieurs années leurs collaborateurs et collaboratrices à ce que l’on pourrait rassembler sous le terme (un peu valise, on en convient) de « soft-skills ». Mais d’une part, toutes les entreprises n’ont pas encore pris ce tournant et d’autre part, on constate des écarts importants, au sein des structures qui ont investi dans la formation aux compétences d’avenir, entre catégories de population dans les effectifs. Nous sommes donc face à un grand enjeu d’égalité : entre les individus, entre les groupes sociaux, entre les territoires, entre les secteurs, entre les entreprises de différentes tailles. Massifier la formation professionnelle est un des leviers de la réduction de ces écarts, ce qui représente un enjeu social (et politique) évident mais aussi une nécessité pour une performance économique saine et durable.

Quels conseils donner aux entreprises ?

Pour commencer, les entreprises peuvent informer leurs collaborateurs et collaboratrices sur les bénéfices qu’ils/elles ont à utiliser leur Compte Professionnel de Formation (CPF), en les guidant sur la mise en pratique de celui-ci. Mais le CPF ne solde pas toute la question de la formation professionnelle et notamment de sa nécessaire massification dans le contexte.

Les entreprises qui ont des plans de formation déjà bien structurés, inscrits dans la durée, ont intérêt à se rapprocher de leurs partenaires habituels de formation professionnelle : dans leur majorité, ces organismes sont avancés dans la digitalisation de leurs programmes de formation et le développement de nouveaux formats adaptés au distanciel, ils élaborent des contenus répondant aux besoins émergents… Et comme ils connaissent déjà l’environnement de l’entreprise, ils sont les mieux placés pour proposer un accompagnement pertinent.

Si les organismes avec lesquels une entreprise a l’habitude de travailler ne sont pas en capacité de répondre au besoin de formation professionnelle dans la période actuelle, on peut conseiller aux DRH & responsables de la formation de prendre le temps de comparer les approches des différents acteurs de la formation professionnelle : il s’agit de s’assurer du sérieux (déontologie, méthodologie, niveau d’expertise, qualité de service, dispositifs d’amélioration continue…) des organismes mais aussi d’évaluer la cohérence de leurs valeurs et de leur « style » avec la culture de l’entreprise et avec ses axes stratégiques.

Marie Donzel (avec la précieuse relecture de Philippe Emont).

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