Les primes de fin d’année et les gratifications annuelles dans les entreprises ont un caractère très symbolique. Elles permettent en effet d’augmenter le pouvoir d’achat des collaborateurs en s’additionnant aux salaires. Mais il est important de relever que toutes les primes et gratifications ne sont pas des éléments de salaire puisque certaines sont des libéralités, c’est-à-dire que seul l’employeur peut décider de leur versement et de leur montant. A quels critères s’adossent-elles, alors ?
L’année qui vient de se clore peut parfois nous rappeler la fragilité d’un système salarial trop souvent objectivé sur les résultats de l’entreprise. Les récents conflits sociaux dans certaines d’entre elles se font l’écho d’un système managérial et syndical en souffrance. L’attractivité d’un métier se fait trop souvent par le salaire au détriment, parfois, des conditions de travail.
Les événements qui se sont déroulés chez IKEA l’année dernière sont assez intéressants à observer dans ce domaine. En effet, pour faire face à la crise et selon un article du Monde, les magasins de l’enseigne suédoise ont modifié les conditions de travail sur certains postes : « Les vendeurs sont venus renforcer l’organisation logistique en restant dans le magasin ». Cette adaptabilité précipitée des métiers a été mal appréhendée par le corps social. Mais ce qui a catalysé la dégradation de la relation, c’est l’absence de prime de participation qu’IKEA verse « normalement » tous les ans en fin d’année. Le conflit social est alors devenu inévitable, puisqu’après avoir subi la modification des conditions de travail, l’entreprise n’a pu accorder ce complément de salaire auprès des collaborateurs. Si la prime de participation aux résultats s’applique obligatoirement dans les entreprises de plus de 50 salariés, son versement est en effet conditionné.
Revenons aux années 80 durant lesquelles cette dynamique de la valorisation monétaire des métiers par des artifices s’est accentuée : le néolibéralisme y a considérablement modifié l’économie des entreprises en leur demandant d’être toujours plus compétitives. Les salaires ont stagné, les primes se sont alors développées. Le travail comme les rémunérations sont devenus flexibles. C’est donc dans ce modèle économique que les entreprises ont accompagné, bon gré mal gré, ce tournant. Mais pouvaient elles faire différemment ? Est-ce véritablement ce changement de paradigme financier qui a modifié la structure salariale des organisations ? Ou bien serait-ce peut-être un manque de créativité ou la frilosité des organisations et des partenaires sociaux de remettre en question la qualité de vie et les conditions de travail des salariés ?
Quelques décennies plus tard, de manière inédite, les entreprises se retrouvent aujourd’hui acculées dans des objectifs de performance économique non tenables. L’octroi d’une prime de participation aux résultats devient alors difficile à tenir. Bien qu’un accord collectif garantisse son versement, elle est toutefois conditionnée par une savante formule liée aux résultats de l’entreprise.
Son absence actuelle envoie un signal désastreux pour le corps social déjà fragilisé psychologiquement par la crise. Les organisations syndicales sont souvent démunies face à ce désarroi légitime des salariés. Ces dernières cherchent trop souvent des solutions sur le seul terrain juridique ou, en vain, dans le rapport de force. L’incompréhension devient alors le terreau fertile du conflit et de la violence sociale. Il est donc urgent et nécessaire de redéfinir la modélisation de nos salaires avec les partenaires sociaux.
Dan Pink dans sa conférence TED nous explique que les récompenses traditionnelles ne sont pas toujours aussi efficaces que l’on croit et « marchent dans un spectre étroit ». Le modèle de management par des motivateurs extrinsèques comme le versement de primes « marchent dans certaines circonstances ». Pour lui « les récompenses marchent vraiment bien quand il y a des règles simples et un but clair à atteindre ». Or la prime de participation aux résultats n’est pas exclusivement liée à la qualité du travail des salariés et la formule mathématique dont elle dépend repose sur des critères économiques qui ne sont pas toujours compréhensibles pour les non-initiés.
L’entreprise industrielle démontre parfois un système managérial qui, à la lumière de cette fin de décennie, se trouve être à bout de souffle. Pour cette nouvelle année, la qualité du dialogue social sera plus que jamais un facteur déterminant pour les organisations qui doivent se réinventer. Il est du devoir des partenaires sociaux et des employeurs de s’interroger sur le sens qu’ils souhaitent donner au travail. Il faut redonner du sens aux métiers et se projeter, par la connaissance du terrain, sur les conditions de travail et sur une rémunération digne. Il apparaît aussi nécessaire de se pencher sur les modèles motivateurs d’attribution des primes. Car la valorisation des métiers par celles-ci peut faire disparaitre le réel et porte en elle-même le risque de déshumaniser le travail.
Pierre-Yves GOARANT