Faire comme les hommes mais « comme une dame »
Les « femmes de sport », on les découvre précisément avec la première participation des femmes aux Jeux Olympiques modernes, en 1900. Elles sont alors autorisées à concourir dans cinq disciplines : le tennis, le golf, la voile, l’équitation et le croquet. Mais qu’ont donc en commun ces sports ? Ils sont aristocratiques. Et dans l’aristocratie, il y a une tradition des « femmes de sport ». Comme il y en a une des « femmes de lettres » ou des « femmes de sciences ».
Dès la Renaissance, la noblesse s’attache en effet à donner aux filles une bonne éducation qui implique de savoir donner le change en présence d’un galant appelé à devenir éventuellement un époux : il faut savoir danser, c’est une chose, mais aussi savoir monter à cheval, connaître les règles du jeu d’escrime, être en condition pour participer aux chasses et aux loisirs… Mais tout ça, il faut le faire « comme une dame ». Cela implique avec une certaine tenue, au sens propre comme au sens figuré : pas question de se travestir en homme pour tâter de la balle ou de l’épée ; pas question non plus d’exercer les activités physiques avec des postures martiales. On monte donc à cheval en robe et en amazone, on croise le fer en jupon et avec grâce dans les mouvements, on tape dans la balle avec une raquette en robe à manches bouffantes et capeline.
Où la mixité n’empêche pas le sexisme (voire l’attise)
Deux siècles plus tard, qu’est-ce que ça donne ? Des sports où la présence des femmes ne fait pas débat et où elle est massivement ancrée (pour s’en convaincre : les fédérations d’équitation et de tennis sont aujourd’hui en France celles qui comptent le plus de licenciées, avant la gymnastique). Des sports où les écarts de rémunération sont nettement moins importants que dans le foot, le basket, le rugby, la boxe ou le cyclisme. Avec une vraie réussite à saluer : le tennis, qui est le premier des sports à avoir instauré l’égalité des primes de matchs dans les tournois internationaux, est aussi le seul sport à faire entrer des femmes dans le classement global des sportifs les mieux payés…
… Mais le tennis s’illustre aussi par un sexisme assez décomplexé : on n’a pas sa langue dans sa poche pour dire cash que l’égalité salariale est une honte puisque le tennis féminin serait moins intéressant que le tennis tout court ( !) et que les joueuses profitent un peu trop du prestige d’un sport que des hommes font briller. Notez qu’en retour, on n’est pas timide pour dénoncer la misogynie des collègues : les passes d’armes entre Gilles Simon et les sœurs Williams témoignent… d’une guerre des sexes ?
Sinon d’une guerre, en tout cas de vraies tensions autour de la séparation des genres et la détermination des rôles. Par exemple, les hommes entraînent les « femmes de sport » et les hommes entraînent les sportifs. Et quand une « femme de sport » devient entraîneuse (ricanements sur les connotations du terme), ça fait jaser : Murray s’en souvient quand il a choisi Mauresmo pour coach. Et dans le golf, certains clubs pratiquent encore la règle qui ne permet aux femmes de gagner qu’en équipe, tandis que les hommes peuvent remporter le tournoi en solitaire, au risque de situations absurdes dans lesquelles des femmes battant tous leurs adversaires ne se voient pas remettre le trophée qui sera attribué au meilleur des hommes en individuel après elles. Ici, sans aucune contestation du droit des femmes à jouer avec les hommes et contre eux ainsi que de leur capacité à faire aussi bien ou mieux que les hommes, il y a l’empreinte d’une loi non-écrite de bienséance fixant comme inapproprié l’individualisme au féminin. L’équitation tient une place un peu à part, car rappelons-le, c’est le seul sport où aux JO, femmes et hommes peuvent s’affronter dans les mêmes épreuves. Et aussi parce qu’elles sont devenues les reines d’une discipline, le dressage, à laquelle il y a encore 60 ans, elles n’avaient pas accès. Dompter l’animal était alors affaire de virilité ! Aujourd’hui, c’est davantage vu comme un jeu de communication humain-animal.
Chaque mot sa place, à chaque objectif ses leviers
Mais que nous disent ces exemples des nuances de la mixité dans les environnements compétitifs, tels le sport mais aussi le monde de l’entreprise ?
Primo, que l’on peut « avoir des femmes » sans faire de mixité. Typiquement, tous les sports à l’exception de l’équitation, séparent les compétitions selon le genre. Tout comme insidieusement, on voit les métiers se répartir selon les genres dans nos organisations et les compétitions s’opérer au sein d’un genre, faisant des membres de l’autre genre les outsiders d’office.
Secundo, que la présence de femmes dans un environnement donné, même inscrite de longue date, ne garantit en rien que le sexisme va reculer. Contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas de voir des femmes travailler, de voir des femmes prendre des responsabilités, de voir des hommes s’occuper d’enfants ou exprimer leurs émotions pour faire évoluer les convictions ancrées sur les compétences et qualités réputées féminines ou masculines ni la crédibilité des femmes et celle des hommes dans telle ou telle fonction sociale.
Tertio, que l’on peut obtenir l’égalité (comme avec les rémunérations dans le tennis) sans que cela produise de dynamique d’inclusion… Voire, dans certains cas, l’égalité sans adhésion peut renforcer les tentations ségrégationnistes.
En synthèse, il convient d’agir sur tous les terrains à la fois, sans remplacer un mot par un autre et en gardant le cap de chaque objectif :
- La lutte contre le sexisme, c’est-à-dire l’atténuation des effets des stéréotypes de genre sur nos choix et décisions, vise à donner à chacun et chacune l’horizon le plus large possible pour se projeter et se sentir légitime. Elle demande qu’on accompagne la conscientisation des biais cognitifs pour exercer le système lent et le système rapide de notre cerveau à voir le monde avec de plus grands yeux ;
- La mixité, c’est-à-dire le mélange des genres dans toutes les activités et fonctions, a vocation à concrétiser le partage (et non la répartition) des compétences, des tâches, des responsabilités au sein d’un collectif qui coopère (et non d’un collectif de complémentaires). Elle exige que l’on ne se satisfasse jamais de ne « pas trouver » de femmes ici ou d’hommes là, mais que l’on mette en œuvre des solutions pour que toutes et tous se sentent concernés et désireux de participer ;
- L’égalité est un principe de justice, c’est-à-dire une loi générale qui veut qu’à travail de valeur égale on obtienne des conditions et des récompenses équivalentes en termes de rémunération, mais aussi de promotions, d’évolutions de parcours, de visibilité, etc. Reste à se mettre d’accord sur les critères de la « valeur égale » et c’est bien ce qui doit préoccuper les organisations quand elles se préoccupent d’équité (on peut par exemple mesurer les efforts et/ou les résultats, sur un plan financier et/ou extrafinancier, mesurer la valeur ajoutée créée à court/moyen/long terme, mesurer la valeur ajoutée créée individuellement et/ou celle qui procède de la dynamisation des efforts des autres ; mesurer les externalités positives et négatives d’une posture, de méthodes, de façons d’interagir etc.) ;
- L’inclusion, c’est-à-dire l’orchestration des diversités qui forme un ensemble cohérent au-delà des additions d’individus, vise à construire du vivre-ensemble productif dans le respect des singularités (autrement dit, sans en passer par le conformisme). Elle demande de la compréhension des points de vue et des intérêts de toutes les parties afin d’actionner les leviers efficaces de l’acceptation d’une évolution des règles du jeu qui voit la loi du plus fort céder devant les conditions nécessaires à aller plus loin ensemble.
Marie Donzel, experte diversité & inclusion – Innovation sociale