Dans un contexte de mutations sociétales et de forte médiatisation des sujets de diversités et d’inclusion, les équipes comm’ ont de quoi s’arracher les cheveux. À l’heure où la guerre des talents fait rage et où la compétition pour attirer l’attention des consommateurs n’est pas moins ardue, la communication sur l’inclusion devient un enjeu de plus en plus stratégique. En effet, elle renvoie à un enjeu d’image décisif à travers des rebonds économiques directs (via les ventes potentielles) et indirects (via l’attractivité des talents).
Mais pour ne rien faciliter, en parallèle des critiques du « wokisme » (renvoyant l’idée d’un « vous en faites trop »), les professionnels de la communication doivent aujourd’hui également se prémunir des critiques du « diversity washing » — et notamment du « pinkwashing » — à entendre comme un « vous faites mal » ! Mais alors, comment faire bien ? On vous explique tout.
Le pinkwashing : késako ?
Le terme pinkwashing sert à qualifier — ou plutôt à disqualifier — les entreprises qui communiquent leur engagement sur le sujet LGBT+ (ou qui en mobilisent les symboles) à des fins perçues comme purement économiques/marketing. Quand, au-delà de simples aspects communicationnels, les entreprises ne mènent pas (ou peu) d’actions inclusives, une incompréhension jaillit au sein d’un public soucieux de ces questions : « ne s’agirait-il pas là d’une communication hypocrite destinée à générer des profits sans réelle volonté de faire bouger les lignes de l’inclusion ? ».
En somme, le pinkwashing est la critique d’une disonnance perçue entre le discours pro-LGBT+ et l’engagement réel des entreprises.
La genèse de cette critique remonte aux années 2000, dans un contexte où les entreprises prennent la mesure du pouvoir d’achat que représente les ménages LGBT+ (estimé à 3,9 mille milliards de dollars/an !)
Mais pour comprendre d’où vient le « pink » de pinkwashing, il faut s’intéresser à l’association Breast Cancer Action. A l’aide de son ruban rose, l’association sensibilise à la lutte contre le cancer du sein… Et s’insurge contre des entreprises qui réutilisent ce symbole sans pour autant mener des actions concrètes allant dans ce sens. C’est donc dans une volonté de dénoncer une forme d’affichage mercantile que naît le terme, plus tard repris par les associations LGBT+ qui constatent et décrient un effet similaire transposé à leur sujet de préoccupation. Derrière la critique, une revendication de cohérence organisationnelle entre la communication, les valeurs et les actions portées par les entreprises.
Quelques exemples de badbuzz
Barilla, Nike, Calvin Klein… ont, parmi d’autres, fait les frais des dénonciations de pinkwashing. Loin de nous l’idée de dresser des procès d’intention dans une logique de name-shaming, néanmoins ces cas d’école nous semblent intéressants à l’analyse et surtout, riches d’enseignements.
Barilla
La célèbre marque de pâtes a connu un énorme bad buzz en 2013 à la suite de la prise de parole du Président de l’entreprise, Guido Barilla, dans une interview radio : « Pour nous, le concept de famille est sacré et demeure l’une des valeurs fondamentales de l’entreprise. Nous ne ferons jamais une publicité avec une famille homosexuelle […]. Si les gays aiment nos pâtes et nos publicités, ils en mangeront. Sinon, qu’ils mangent d’autres pâtes. ». S’ensuivit sur les réseaux sociaux un appel au boycott de la marque. En réponse à la polémique, Barilla diffusa un communiqué d’excuses plaidant le malentendu.
Cinq ans plus tard, en 2018, à l’occasion du championnat mondial de pâtes, la marque illustre un de ses packagings avec un couple lesbien… Réalimentant le bad buzz sur les réseaux sociaux. Comment être crédible après une telle sortie de piste ? Probablement davantage en communiquant sur des actions correctives qu’à travers un marketing perçu comme dissonant avec le discours.
Nike
En 2018, la campagne BETRUE de NIKE promeut une gamme de baskets engagées marquées d’un triangle rose. La symbolique est extrêmement forte : d’abord utilisé durant la Seconde Guerre mondiale pour identifier les homosexuels dans les camps de concentration, le triangle rose est repris dans les années 70 et 80 par des activistes pro-LGBT+, dont l’association Act Up qui milite contre le sida.
Scandalisé, le président d’Act Up-New York Richard Wade Morgan tweete : « les entreprises privées n’ont pas l’autorité de s’approprier l’imagerie de résistance queer ». En creux, un questionnement critique de la destination des profits engrangés : « nous ne disons pas que nous possédons le symbole, nous disons que les entreprises ne doivent pas faire du profit sur les vies des personnes queer sans partager ce profit avec elles. Levi’s nous a donné toutes ses vestes “Silence = Mort” (le slogan d’Act Up) afin que nous les vendions et en tirions notre propre profit ».
Calvin Klein
En 2019, c’est au tour de Calvin Klein d’être accusé de pinkwashing. La polémique provient de la vidéo promotionnelle qui accompagne le lancement de sa collection #mycalvins aux couleurs de l’arc-en-ciel. Ce n’est pas tant la symbolique qui dérange ici, que le choix des protagonistes et le contenu de la vidéo : on y voit Bella Hadid — une mannequin hétérosexuelle – embrasser Lil Miquela, une influenceuse virtuelle.
A l’heure où les rôles modèles LGBT+ ne sont pas légion, la marque est critiquée de ne pas faire l’effort de proposer de « vrais gens » et de montrer deux femmes qui s’embrassent langoureusement. Peut-être y a-t-il effectivement d’autres façon de représenter l’amour LGBT+ qu’en surfant sur les fantasmes saphiques dont pâtissent régulièrement les femmes lesbiennes dans notre société.
La bonne approche : une communication dosée et incarnée
Ainsi ce n’est pas tant la communication externe prise isolément qui est jaugée bonne ou mauvaise, mais la « big picture », la cohérence d’ensemble de l’entreprise.
Bien sûr, l’objectif de toute entreprise privée est de faire du profit en vendant ses produits et en attirant les meilleurs talents. Là n’est pas le cœur du problème dénoncé. Pas plus qu’il ne se situe sur l’utilité de communiquer sur des valeurs d’inclusion (bien au contraire). Le problème, pour les dénonciateurs du pinkwashing, se place plutôt sur une revendication de consonance des messages envoyés. Ainsi, pour qu’une communication sur l’inclusion soit efficace, les messages demandent à être à la fois dosés et incarnés, et s’inscrire dans une stratégie transversale d’actions et d’engagements en faveur de l’inclusion.
Saluons ainsi les efforts de quelques entreprises qui brillent d’une réputation exemplaire en la matière :
La marque de vêtement LEVI’S qui, au-delà de ses collections spéciales « mois des fiertés » est également la première multinationale américaine à avoir accordé, dès 1992, les mêmes droits sociaux aux conjoints de ses salariés homosexuels. La marque reverse également chaque année une partie de ses recettes à des associations diverses engagées dans la cause LGBT+.
En 2020, Mastercard lance le programme True Name qui permet aux personnes transgenres et non-binaires d’afficher le nom de leur choix sur leur carte de crédit. L’intérêt ? Permettre à ces personnes d’être reconnues et de s’émanciper du genre qui leur a été assigné à la naissance. Pour faire la promotion du programme, une vidéo spontanée et non scriptée donne la parole à plusieurs personnes trans et non-binaires.
Allumer la lumière à tous les étages de l’entreprise
Vous l’aurez compris, derrière la critique de pinkwashing – et plus largement celle du diversity washing – se trouve une revendication de cohérence entre la communication externe de l’entreprise et ses politiques internes d’inclusion. Tout l’enjeu des communicants est donc de parvenir à communiquer sur la diversité, mais sans lever la moindre suspicion d’instrumentalisation et d’ « affichage marketing ».
Pour cela, il nous semble essentiel d’installer un environnement inclusif à tous les étages de l’entreprise. Une mise en œuvre qui ne se limite pas aux portes du département communication : tous les acteurs de l’entreprise sont ainsi appelés à agir.
- La gouvernance et les valeurs : à travers la signature de chartes d’engagements (comme celle de l’Autre cercle par exemple), des prises de parole de dirigeants, moyens alloués à des actions D&I dans les murs de l’entreprise et à l’extérieur via le mécénat…
- RH : les RH ont évidemment un rôle essentiel à jouer pour assurer une équité de traitement administrative et accompagner les salariés qui en feraient la demande (par exemple pour faciliter un processus de transition, pour remonter des situations discriminatoires ou mieux répondre aux besoins de la diversité des parentalités). Outre leur rôle de conseil et d’accompagnement auprès des individus, il leur revient aussi de sensibiliser le management et les collaborateurs aux enjeux d’équité et d’inclusion, notamment par des actions de formation.
- Pratiques managériales : au plus près de l’expérience quotidienne des collaborateurs, les managers doivent être en capacité de réagir face aux situations problématiques comme aux mauvaises blagues. L’exemplarité managériale, dans les comportements (quand il s’agit de ne pas faire de blague LGBTphobe) et dans la posture (pour garantir une ouverture au dialogue) est un facteur clé de succès de la qualité de vie et des conditions de travail.
- Communication : l’objectif est de communiquer autant en interne qu’en externe, en privilégiant des prises de parole incarnées et authentiques de la part de collaborateurs et de dirigeants. Par leur sincérité et leur pouvoir de projection, ces « rôles modèles » sont autant de parcours qui inspirent et qui enrayent la pompe de l’autocensure.
Au-delà de mettre de l’huile dans les rouages de l’entreprise et entre ses parties prenantes, la communication d’entreprise porte un rôle stratégique pour en diffuser et en incarner les valeurs d’inclusion. Essentielle, cette communication repose sur un fondement de sincérité mais ne peut se suffire à elle-même pour garantir un impact positif. Elle appelle ainsi à être accompagnée et portée par toutes les individualités qui composent son écosystème entreprise.
Romain Petit & Valentine Poisson