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Les jeunes de moins en moins hétérosexuels : effet de mode ou vraie (r)évolution ? 

L’arrivée des nouvelles générations sur le marché de l’emploi redéfinit les codes de l’entreprise et bouscule les paradigmes établis. Et pour les différents acteurs de l’entreprise, cette transformation peut poser de nouveaux défis en matière d’adaptation, de communication et d’accompagnement.  

Un exemple frappant : la fluidité croissante dans le rapport à l’orientation sexuelle, que les jeunes tendent à intégrer de plus en plus naturellement. Ainsi en 2023, 18 % des femmes et 8 % des hommes âgés de 18 à 29 ans ne se définissent pas comme hétérosexuels, contre 7 % des femmes et 2 % des hommes en 2015 selon une étude INED parue en avril 2025. Décryptant les évolutions des orientations sexuelles, des identités de genre et des nouveaux modes de relations, cette étude est une mine d’or pour objectiver démographiquement les questions LGBT+ dans la société. 

Alors comment l’entreprise peut-elle comprendre ce phénomène de société pour penser un environnement plus inclusif ? Décryptage d’une croissance rapide du nombre de jeunes adultes s’identifiant à des orientations sexuelles minoritaires et des perceptions qui en découlent…. Mais attention aux conclusions hâtives ! 

L’effet de mode : un argument fragile  

Le sujet des orientations sexuelles et des identités de genre fait l’objet d’une évolution nette depuis quelques décennies. Il suffit de se pencher sur la représentation de l’homosexualité dans les films et émissions TV des années 1970 et 1980 pour s’en convaincre : de la Cage aux folles, aux sketchs de Michel Leeb en passant par les plaisanteries récurrentes sur les « tantes » et les « folles » dans Les Grosses Têtes… Les portraits caricaturaux de l’homosexualité y caractérisaient – sous couvert d’humour – des clichés tenaces comme le maniérisme exagéré et l’effémination systématique.  

Nous sommes aujourd’hui bien loin de cette époque (bien que certains stéréotypes persistent malgré tout !) et aujourd’hui, les films et séries TV de nos plateformes de streaming préférées nous alimentent d’une profusion de personnages LGBT+, au grand plaisir des uns et à la lassitude des autres.  

Pour autant, il nous apparaît un peu dangereux de qualifier cette évolution d’effet de mode, un terme souvent utilisé pour délégitimer les évolutions sociétales, de manière subjective et sans réel fondement scientifique.  

Et puis la mode, c’est voué à être démodé ! Il est vrai que l’actualité peu rassurante fait émerger un certain nombre de « backlash», laissant craindre un retour en arrière sur les progrès obtenus dans les cadres légaux de nombreux pays. Mais si l’on se penche sur des statistiques (objectives et sérieuses), on s’aperçoit assez vite que le phénomène s’apparente davantage à une réelle tendance de fond qui donne à questionner les fondements hétéronormatifs de notre société :  

  • Entre 2015 et 2023, la proportion de femmes âgées de 20 à 29 ans qui ne se disent pas hétérosexuelles a été multipliée par 5 et celle des hommes de la même tranche d’âge par 4 (rapport de l’INED) ;  

Comment expliquer cette évolution ?  

L’hétéronormativité devient plus poreuse, et le fait d’être gay, lesbienne, bi ou pansexuel devient plus envisageable dans l’imaginaire collectif. Sans exclure l’hypothèse d’un effet d’âge, les auteurs des rapports de l’INED et l’ANRS-Inserm expliquent donc cette évolution à un effet de génération.  

Une évolution du cadre légal   

Les jeunes âgés de 18-29 ans dans les années 2020 ont effectivement grandi dans une société où le cadre légal a changé. Évoquons ici la loi contre les discriminations (2001 pour le critère de l’orientation sexuelle, 2012 pour celui de l’identité de genre), le mariage pour tous (2013) ou encore la législation ouvrant la PMA aux couples de femmes (2021).  

Il ne faut en effet pas négliger l’impact de la loi dans les mentalités. La France a par exemple adopté la classification de l’OMS qui faisait de l’homosexualité une maladie mentale en 1968 (et qui n’a été invalidé qu’en 1990). Avoir été jeune entre 1970 et 1990 signifiait donc avoir grandi dans un environnement où l’homosexualité était littéralement une affection pathologique, et où il était inenvisageable de se marier entre personnes de même sexe… Tandis que les enfants nés en France après 2013 évoluent dans un monde où cette interdiction n’a tout simplement jamais existé ! 

Une évolution dans la visibilité 

À côté de l’évolution du cadre légal, les jeunes d’aujourd’hui naviguent dans un contexte de plus grande visibilité sociale des sujets LGBT+ :  

  • L’homosexualité est plus largement reconnue et acceptée (le rapport ANRS-Inserm montre à ce titre qu’en 2023, 78% des femmes et 66% des hommes de 18-89 ans considèrent qu’ils n’auraient pas de problème à accepter l’homosexualité de leur enfant) ; 
  • Les réflexions sur le genre sont plus accessibles et démocratisées, grâce aux actions des tissus associatifs et de la société civile, ou encore à travers la littérature, les productions cinématographiques ou les émissions télévisées (comme en témoigne la popularité croissante de l’émission Drag Race) ;   
  • Les mobilisations pour les droits des personnes LGBT+ sont plus visibles et médiatisées. Par exemple, la marche des Fiertés fait l’objet d’une couverture en direct sur les chaînes d’information depuis le milieu des années 2010, et les personnalités médiatiques comme Eddy de Pretto, Bilal Hassani ou Angèle portent le débat public sur les plateaux télé et les réseaux sociaux avec une amplitude croissante.  

Tout cela ouvre un champ des possibles plus vaste que la seule hétérosexualité, pour celles et ceux qui ne s’y reconnaitraient ou ne s’y suffiraient pas. 

En conclusion  

Prenons un dernier exemple. Peut-être avez-vous connu (ou entendu parler) de cette époque où l’on forçait les gauchers à écrire de la main droite, car l’on croyait alors, avec plein de bonnes intentions, que la main droite était la « bonne » main ? Dans la croyance populaire et religieuse, la gauche était alors associée à des représentations négatives (le mot « sinistre » vient d’ailleurs du latin « sinistra », qui signifie gauche »), et de nombreux objets du quotidiens (plumes, pupitres, ciseaux…) étaient conçus uniquement pour les droitiers. Dès lors que l’on a arrêté d’obliger les gauchers à se conformer à la norme droitière majoritaire, la proportion de gauchers dans la société n’a cessé d’augmenter (pour se stabiliser entre 10% et 15%). Les gauchers de la seconde moitié du XXe siècle n’étaient pourtant pas plus nombreux qu’ils ne l’étaient au XIXème siècle, ils évoluaient simplement dans un environnement qui leur laissait l’opportunité d’être eux-mêmes ! 

Revenons au sujet LGBT+. Employeurs, dirigeants et managers vous l’aurez compris, nous sommes de la même manière moins face à un effet de mode qu’à une évolution de nos modes de relations amoureuses, affectives et sexuelles. La binarité du genre et de la sexualité commence aujourd’hui à être trop étroite pour représenter la diversité croissante des identités à l’ère d’une société qui le permet… Même si l’hétérosexualité reste toujours (et demeurera probablement) très majoritaire.  

Pour autant, ces nouvelles données objectivées nous démontrent l’importance de l’inclusion LGBT+ au travail, qui devient démographiquement un enjeu grandissant. Il ne sera bientôt plus possible de laisser passer ce sujet sous les radars. Le principal enjeu est et restera d’assurer un environnement de travail sécure où chacun puisse se sentir intégré, avec ses singularités. 

Romain Petit & Valentine Poisson 

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