Si les positions vis-à-vis de l’intelligence artificielle varient à mesure que l’outil se développe, on a tendance à imaginer que la peur domine parmi les travailleurs. Pourtant, Microsoft a récemment dévoilé une étude mondiale sur l’impact de l’IA au travail au cours de laquelle 60% des salariés français ont répondu être prêts à utiliser l’IA au quotidien. Alors que raconte ce résultat de la représentation sociale de l’IA ? Et que pense notre philosophe de cette perception sociétale non sans risque ? Décryptage avec Sophie Berlioz, manager senior.
Le regard des salariés français sur l’intelligence artificielle est-il une surprise ?
Sophie Berlioz : Les résultats de cette étude contrastent en effet avec les discours apocalyptiques d’un remplacement des emplois par la machine que l’on voit souvent circuler sur les réseaux sociaux. Ce chiffre montre qu’aujourd’hui les salariés français ont une attitude positive vis-à-vis des apports de la technologie et plus généralement du progrès. Dans le même sens, une étude récente de l’OCDE indiquait que l’IA influe aujourd’hui positivement sur la qualité du travail en diminuant notamment les tâches « fastidieuses et dangereuses ». Par exemple, en termes de réduction des tâches répétitives dans l’administration, d’une meilleure prévention et compréhension des accidents en milieu industriel, d’une meilleure anticipation des pannes en milieu ferroviaire… Sans compter les gains d’efficacité et l’extraordinaire progrès réalisé grâce à l’IA dans la médecine.
Quelle représentation sociale de l’intelligence artificielle peut-on alors en faire ?
SB : Coexister ainsi avec le progrès n’est finalement pas si étonnant. D’ailleurs chez G.Simondon, philosophe de la technique (« Du mode d’existence des objets techniques »), la réalité technique et technologique n’est pas séparée de la culture et de la réalité humaine, dans la mesure où l’une et l’autre se façonnent mutuellement. Et c’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
Alors certes, l’influence de l’IA représente aujourd’hui à la fois un gain de temps et une réduction de la pénibilité, permettant une meilleure concentration sur les activités où la machine est aujourd’hui la moins performante, comme la création ou la prise de décision. Mais attention car ce qui apparaît comme une révolution du travail et de nos pratiques n’en est qu’à ses débuts et certains risques existent. Ils font d’ailleurs l’objet d’une attention particulière du législateur européen et des experts du domaine.
À quels risques doit-on rester vigilant ?
SB : Le premier risque auquel je pense se situe au niveau de l’écart de pénibilité entre les travailleurs, qui pourrait davantage se creuser. Notamment dans les secteurs où l’IA n’est pas opérante, tels que les métiers du soin, les travailleurs sociaux, le secteur du bâtiment et plusgénéralement les métiers centrés sur la relation humaine. Pour répondre à cet écart, il va falloir redoubler d’attention et se focaliser sur les moyens proposés pour améliorer les conditions de travail dans ces secteurs.
Un second risque se pose également à mes yeux : celui de la question éthique dans la conception et la recherche sur les systèmes d’IA générative qui peuvent notamment reproduire des biais discriminants. Et pour cause, certains choix technologiques au moment de la conception de ces systèmes peuvent être à l’origine de tensions éthiques. Alors comment les encadrer ? et surtout que faire des situations de dilemmes éthiques où, par définition, il n’existe pas une meilleure solution qu’une autre ? Autant d’incertitudes qui vont nécessiter l’accompagnement de ces évolutions. Sans crainte, néanmoins avec conscience et précaution.