Que penser du nouvel « index » de l’égalité femmes-hommes que le gouvernement vient de dévoiler et qui s’appliquera aux entreprises à partir de mars prochain ? Au-delà des spécificités techniques de cet indicateur, force est de constater que les récentes annonces gouvernementales témoignent d’un nouveau positionnement en matière d’égalité professionnelle, associée à une volonté d’accélérer et de massifier le mouvement en s’appuyant sur l’effet de transparence. Décryptage par Marie Donzel, experte en innovation sociale.
En 2013, la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem faisait pour la première fois sanctionner des entreprises ne respectant pas les lois sur l’égalité professionnelle. Elle se refusait néanmoins à divulguer leur nom, rechignant à verser dans le « name & shame ».
Changement de ton en 2017, avec l’arrivée de Marlène Schiappa au poste de Secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes : les organisations faisant fi des obligations légales concernant l’égalité professionnelle se verraient publiquement dénoncées. Et de passer des paroles aux actes en commençant par afficher sur la porte de son ministère le nom des entreprises n’ayant pas répondu à la convocation à une session de sensibilisation sur le thème. L’intégrité déontologique oblige à préciser ici que la mission de concevoir et d’animer cette formation m’avait été confiée.
La variabilité des environnements sectoriels…
À l’issue de cette demi-journée passée avec des dirigeant·e·s et DRH à transmettre les clés de compréhension des dynamiques du plafond de verre et à échanger sur les actions à mettre en œuvre pour faire bouger les lignes, je fis un retour d’expérience au cabinet de la ministre. J’avais eu en face de moi certains « mauvais élèves » de l’égalité, classés en bas de l’échelle de référence, alors même que leurs représentant·e·s témoignaient d’une bonne maturité sur le sujet et menaient avec détermination des politiques plutôt pertinentes.
Une situation aux frontières de l’absurde : des entreprises comptant une large majorité de femmes dans leurs effectifs du fait de leur appartenance à un secteur dit « féminisé » pouvaient se targuer d’un ComEx (quasi)paritaire ; tandis que d’autres de secteurs réputés « masculins » qui recrutaient proportionnellement davantage de femmes ingénieures que les écoles en fournissent s’en sortaient avec une note pitoyable. J’en tirai la conclusion que les indicateurs permettant de distinguer les premiers de cordées des bonnets d’âne étaient à revoir.
… Oblige à une sélection fine des indicateurs d’égalité professionnelle
Le choix des indicateurs est hautement stratégique en matière d’égalité professionnelle.
En se concentrant par exemple sur la part des femmes dans les strates supérieures de l’organisation, on a vite fait de donner dans l’égalité à deux vitesses : on promeut avec zèle des femmes bien nées, bien diplômées, ayant bien encodé les codes de légitimité sans se donner plus de mal que ça pour améliorer la condition de celles qui bossent à la chaîne ou à la caisse avec un agenda en gruyère du fait du temps partiel subi.
En attribuant des points pour la présence d’un réseau de femmes/réseau mixité dans l’entreprise, on écarte d’emblée la masse des PME et ETI qui ne disposent pas d’un effectif suffisant de salarié·e·s pour constituer une force d’influence significative de ce type.
Sans parler de la complexité du calcul des inégalités salariales qui trouvent leurs sources dans de pures et simples discriminations (c’est « l’écart inexpliqué » de 9% qui pénalise « à travail de valeur égal » les femmes en France) mais aussi dans tout un ensemble de dynamiques complexes croisant choix de l’orientation professionnelle (et de ce fait rareté du « vivier » féminin dans certains corps de métiers), coût des interruptions de carrière liées à la parentalité, autocensure de celles qui hésitent à candidater à des postes mieux valorisés et biais décisionnels de ceux qui hésitent à leur faire confiance pour relever des défis ambitieux…
Les 5 critères de l’index Pénicaud
Aussi, la question des critères à retenir pour distinguer les entreprises réellement engagées dans une politique de réduction des inégalités de celles qui continueraient à s’asseoir sur ce chapitre du code du travail, fut au cœur de la réflexion que menèrent conjointement Marlène Schiappa et Muriel Pénicaud au cours de l’année 2018. Pour aboutir à la présentation, le jeudi 22 novembre 2018 d’un barème portant sur 5 axes cardinaux de la lutte contre le plafond de verre :
- 40 points pour les entreprises justifiant de niveaux de rémunération équivalents pour les femmes et les hommes à poste et niveau d’expérience comparables. Avec recommandation de prévoir un budget de rattrapage salarial pour effacer les « écarts inexpliqués » ayant cours.
- 20 points pour les entreprises proposant autant d’augmentations à leurs collaboratrices qu’à leurs collaborateurs, qu’une demande explicite de la part des concerné·e·s ait ou non été formulée.
- 15 points pour les entreprises garantissant l’égal accès aux promotions.
- 15 points pour celles qui respectent le principe déjà consacré par la loi de l’attribution des augmentations générales et primes collectives aux femmes s’étant absenté le temps d’un congé maternité.
- 10 points pour celles comptant au moins 40% de femmes aux fonctions les plus élevées dans la hiérarchie de l’organisation.
Les organisations de plus de 1000 salarié·e·s devront rendre public leur score dès le 1er mars 2019. Les ETI de 250 à 999 salarié·e·s auront jusqu’au 1er septembre pour afficher leurs résultats. Les PME de plus de 50 salarié·e·s bénéficient d’un délai jusqu’en mars 2020.
Le « name & change » : jouer de l’effet transparence sur la conscientisation des parties prenantes
Du « name & shame » donnant pouvoir à l’institution politique de dénoncer d’autorité, on passe à une obligation de transparence davantage orientée « name & change ». Car c’est sur les parties prenantes des organisations que parie ce dispositif pour exercer la pression nécessaire à l’accélération des progrès de l’égalité.
Ces parties prenantes, ce sont d’abord les collaborateurs et collaboratrices, mais aussi les candidat·e·s potentiel·le·s à un emploi dans ces entreprises : la marque employeur est objectivement valorisée par le respect de l’égalité femmes/hommes ainsi que le démontre le baromètre Glassdoor 2016.
Ces parties prenantes, ce peut être aussi les clients finaux qui, de la même façon qu’ils se sont conscientisés sur les conditions environnementales et sociales dans lesquelles sont produits les biens et services qu’ils consomment pourraient tout autant bouder une marque dont la maison-mère est relâchée sur le principe de justice que constitue l’égalité femmes/hommes.
Ces parties prenantes pourraient encore, pourquoi pas, être les actionnaires convaincu·e·s de la corrélation entre mixité et potentiel d’innovation que de nombreuses études ont désormais objectivée.
À quand des politiques d’achats infusant la culture de l’égalité dans tout le tissu économique ?
Et quitte à jouer de l’effet transparence pour influencer les parties prenantes, pourquoi ne pas imaginer que les grandes entreprises puissent irriguer tout le tissu économique des valeurs de l’égalité femmes/hommes au travers de leurs relations fournisseurs ?
Les politiques d’achats responsables suivent bien cette logique : exiger de leurs sous-traitants qu’ils soient vertueux sur le plan social et environnemental afin de garantir aux clients finaux une chaîne de valeur de qualité. Et les accompagner, au besoin, dans les transformations de leurs process et de leurs relations à leur propre écosystème pour réduire l’empreinte carbone et/ou les effets sociaux directs ou indirects de leur activité.
Infuser de façon similaire la culture de l’égalité professionnelle via une politique d’achats particulièrement attentive à l’équilibre entre entreprises de sous-traitance dirigées par des femmes et par des hommes comme à l’équité de traitement entre salarié·e·s chez leurs fournisseurs pourrait bien contribuer à massifier les progrès vers l’égalité effective.
Marie Donzel