Avez-vous le droit d’imposer une certaine tenue vestimentaire à vos collaborateurs ? Votre employeur est-il autorisé à vous contraindre de cette manière ? La loi définit un cadre dans lequel les salariés sont libres de choisir leur tenue au travail, tout en précisant certaines limites à cette liberté vestimentaire. Parallèlement, force est de constater que les évolutions sociétales tendent à remodeler nos dresscode, vers davantage de confort et de libre arbitre dans l’expression de notre personnalité au travail. Alors, qu’a-t-on finalement le droit d’imposer (ou pas) sur le plan vestimentaire et comment les normes d’habillement sont-elles en train d’évoluer dans la sphère professionnelle ? Peut-on affirmer que les heures de la sempiternelle cravate sont comptées ?
Comment la loi habille les salariés
Avant toute chose, que dit la loi ? L’apparence physique est un des 25 critères du code du travail (article L1131-1) vis-à-vis desquels il est interdit de discriminer. Un principe général de liberté d’expression individuelle sur son style vestimentaire est donc de rigueur.
Cette liberté individuelle n’est pour autant pas absolue. L’article L1121-1 du Code du travail pose en effet une limite à cette liberté individuelle d’expression de sa personnalité :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
Cela signifie donc que l’employeur peut imposer certains éléments ou codes vestimentaires à ses salariés, à partir du moment où ces restrictions sont dites légitimes.
Mais quels fondements légitimes peuvent amener un employeur à imposer une tenue déterminée ? Généralement, il s’agit de répondre à des enjeux de santé, de sécurité, et de marque employeur, particulièrement lorsque les salariés sont en interface avec des parties-prenantes externes à l’entreprise et notamment en relation clientèle.
Pour un bon discernement, toujours se raccrocher à la notion de compétence
En partant du principe que – pour reprendre la fameuse expression -, même la virtuosité d’un moine n’est pas prouvée par son habit religieux, ou encore que « la barbe ne fait pas le philosophe », en quoi la tenue vestimentaire de nos collaborateurs déterminerait-elle leur sérieux, leurs compétences, ou plus largement leur valeur sur le marché du travail ?
Lorsque l’on a un doute concernant la tenue vestimentaire de ses collaborateurs, ou les injonctions qui viennent de notre direction, il suffit de se poser la question suivante : l’apparence physique, et plus particulièrement le style vestimentaire est-il un critère de compétence pour le poste ? On peut par exemple ainsi considérer que c’est une compétence de respecter des mesures d’hygiène lorsque l’on travaille dans l’agro-alimentaire, de porter des chaussures de sécurité ou un uniforme adapté quand on manipule des objets dangereux dans le cadre de son travail, ou encore d’avoir une bonne vue quand on est chauffeur routier.
L’employeur peut également exiger une bonne présentation générale et une tenue dite décente de la part de ses employés, surtout lorsque ces derniers sont en contact avec la clientèle de l’entreprise. La jurisprudence française a ainsi par exemple confirmé la légitimité du licenciement d’une employée d’agence immobilière qui recevait de la clientèle en survêtements, dans la mesure où cette tenue considérée comme trop décontractée était susceptible de nuire à l’image et au standing de l’agence (Cour de cassation, 06/11/01).
Lorsque l’habit influe sur le type de pensées et la façon de travailler
La tenue vestimentaire peut en effet avoir une influence non négligeable sur nos cognitions et nos comportements.
- Par exemple, d’après une étude publiée dans la revue Journal of Experimental Social Psychology (2012), le port d’une blouse blanche, décrite comme une blouse de médecin, aurait tendance à favoriser une meilleure attention que le port de la même blouse, décrite comme une blouse de peintre. La raison ? Puisque nous considérons généralement les médecins comme des personnes particulièrement attentives, nous sommes par conséquent plus susceptibles de développer une attention accrue face à une personne que l’on perçoit habillée en professionnels de santé !
- Dans une autre étude menée en 2015, des chercheurs de l’université de Northridge et de New York (Slepian, Ferber, Gold & Rutchick) ont établit un autre constat intéressant sur l’influence de nos vêtements : les salariés portant une tenue dite plus « formelle » comme un costume développent une plus grande « capacité de pensée abstraite » (pour accomplir des objectifs sur le long terme) tandis que les tenues plus « décontractées » favorisent une « capacité de pensée concrète » (permettant de se concentrer sur des bénéfices à plus court terme).
- D’après le chercheur Pine (2014), les actifs qui adaptent leur tenue à la perception qu’elles se font des codes vestimentaires de leur métier auraient une « perception d'[eux-mêmes] nettement plus élevée » que ceux qui optent pour des tenues plus informelles. Notre tenue vestimentaire peut ainsi dynamiser notre confiance en nous, et par conséquent la qualité de notre travail !
Quand les évolutions sociétales remodèlent les normes vestimentaires en vigueur au travail
Entre seconde guerre mondiale, start-up nation et Friday wear, jeans et baskets s’invitent au travail
Les grands bouleversements sociétaux peuvent expliquer l’évolution de certaines normes vestimentaires. La seconde guerre mondiale a par exemple ainsi démocratisé le port du pantalon pour les femmes, réquisitionnées dans les usines d’armement pour participer à l’effort de guerre… Amenant à l’abrogation en 2013 de la loi française qui interdisait le port du pantalon pour les femmes (il était temps) !
D’autres évolutions plus progressives ont amené un certain assouplissement des normes vestimentaires au travail, comme la volonté de plus en plus exprimée à « l’oser être soi » ou encore l’avènement du secteur de la tech et de la « génération start-up » qui ont amené le concept du Friday wear.
Cette pratique, d’abord apparue aux États-Unis au début des années 2000 consiste à s’habiller de manière plus décontractée les vendredis, a en effet poussé de nombreux actifs à troquer leurs costumes et tailleurs au profit de tenues plus confortables et/ou plus en phase avec leur personnalité. En témoigne la baisse considérable (58%) des ventes annuelles de costumes en France entre 2011 et 2019 selon Kantar. Adieu les chaussures cirées, bonjour aux sneakers confortables mais non moins habillées !
Bientôt l’ère du jogging chic ?
Plus récemment, la pandémie du coronavirus semble avoir poussé encore un peu plus loin cette tendance au « laisser-faire vestimentaire. » En temps de confinement, certains ont ainsi pu garder leur bas de pyjama se permettre de faire leurs réunions Teams en jogging (tout en s’assurant que ce dernier reste bien « hors champ » de leurs caméras). Se pourrait-il que la pratique du télétravail, susceptible de perdurer dans l’ère post-pandémie, puisse permettre encore plus de souplesse (et de confort) dans nos normes vestimentaires professionnelles ? Affaire à suivre !
Anaïs Koopman & Valentine Poisson