Qu’il soit une source de stress ou de joie, le réflexe des cadeaux a tendance à s’imposer entre les individus en cette période des fêtes. Et s’il s’agit en apparence d’un geste avant tout désintéressé, des dérives peuvent l’accompagner. Notamment dans le monde du travail. Alors que raconte cette habitude sociétale à cette époque de l’année ? Et que pense notre philosophe du désintéressement censé l’entourer ? Décryptage avec Sophie Berlioz, manager senior.
Les cadeaux sont souvent nombreux à cette période de l’année. Comment identifier un cadeau qui a de la valeur ?
Sophie Berlioz : Offrir un cadeau, c’est faire un geste vis-à-vis d’autrui, donner à l’autre lapreuve de son affection. L’anthropologue Marcel Mauss définit l’action du don par son caractère désintéressé et comme étant le sel du lien social. Offrir ou donner c’est instaurer ou restaurer un lien en faisant un geste vis à vis d’autrui. La valeur intrinsèque du don, c’est doncd’abord le témoignage d’affection désintéressée. La valeur se situe ainsi davantage dans l’attention portée que dans l’objet. N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que l’on se rassure lorsqu’on est déçu de l’objet sans douter de la sincérité du geste ?
On comprend donc que dans un cadeau, c’est l’intention quicompte. Mais est-ce toujours le cas ?
S. B : La valeur de désintéressement peut parfois faire l’objet d’instrumentalisation, surtout dans le monde du travail ou des affaires. Et pour cause, une autre dimension de la théorie du don de Marcel Mauss c’est la mécanique induite par l’acte de donner. Autrement dit : « Je donne, je reçois, je rends ». Quand je reçois un cadeau ou de l’aide, je peux me sentir redevable vis-à-vis de la personne ou vis-à-vis de quelqu’un d’autre d’ailleurs. Et de la même manière, je peux attendre un retour quand j’offre à autrui. C’est précisément cette triptyque du« donner, recevoir, rendre » qui constitue le socle du lien social pour l’anthropologue.
Alors une fois que l’on a compris la mécanique de ce lien, un esprit malveillant ou malintentionné peut vouloir offrir un très beau cadeau dans l’espoir d’un retour satisfaisant un intérêt plus ou moins caché. Car dès qu’il y a un intérêt sous-jacent, on perd la valeur désintéressée et on glisse dans l’instrumentalisation et/ou le conflit d’intérêt. C’est l’histoire des costumes à 5 000€ offerts par un homme d’affaires à un de nos ex-premiers ministres. S’agissait-il d’un geste désintéressé ou non ? Il y a lieu d’en douter.
Peut-on alors favoriser le désintéressement ?
S. B : S’il est impossible de déterminer pleinement le coeur d’une intention, il existe aujourd’hui des dynamiques qui tentent d’accompagner cette volonté. Je pense notamment à la culture de la sobriété que l’on voit émerger en entreprise, et plus largement dans la société, qui pourrait justement permettre de redonner son sens au geste désintéressé qu’est l’acte d’offrir. Nous rappelant ainsi que la valeur ne se situe pas dans l’objet mais bien dans la reconnaissance du lien à l’autre, dans une dimension donc purement existentielle.