« L’amour dure trois ans » : quand le mythe s’installe au travail

Entre inquiétudes, suspicions, préoccupations et appréhensions… nous guettons patiemment le retentissement du gong. Celui censé venir marquer un point de rupture, et provoquer le bouleversement d’une relation solidement construite dans la durée. J’ai nommé : la date de péremption d’une histoire d’amour au bout de trois ans. Car nous l’avons déjà tous entendu. Du côté de cette belle-mère qui voit un couple épanoui mais qui ne peut s’empêcher de mettre en garde les tourtereaux sur ce cap fatidique, ou de ce meilleur ami qui alerte le futur époux alors même que celui-ci est prêt à poser le genou.

Longtemps associé aux relations amoureuses, ce vieil adage semble s’être depuis appliqué au monde professionnel en symbolisant la relation qui unit un individu à son organisation (et les possibles risques que celle-ci s’effrite avec le temps). Selon une étude de l’OCDE, les Français seraient fidèles à leur entreprise en moyenne pendant douze ans, ce qui la hisse à la deuxième place du podium (à l’échelle européenne). Alors, pas de quoi s’affoler me diriez-vous ? 

Rien de moins sûr au vue des préoccupations grandissantes des acteurs RH et manager en matière de fidélisation d’une part, et celles des employés en matière d’employabilité de l’autre, à mesure que le marché du travail se transforme et que les attentes sociales et sociétales évoluent. Alors que comprendre des fondements des liens qui unissent un salarié à son organisation et les tourbillons auxquels ils s’exposent aujourd’hui ? Et comment les prévenir au maximum ? Pour réduire les risques de divorce, voici les 4 langages de l’amour en entreprise pour qu’employés et employeurs vivent heureux et pour longtemps ! Décryptage.

L’amour : une valse à 3 temps

Si l’on se réfère aux mécanismes scientifiques de l’amour, nous devrions davantage parler de chimie plutôt que d’alchimie. La neurobiologie nous apprend ainsi que l’amour, c’est une sorte d’effervescence chimique qui ne serait pas éternelle et qui s’estomperait peu à peu, après les premiers émois.

Le temps de la rencontre, de l’exploration… et de la passion !

Les prémices d’une relation amoureuse, c’est avant tout une rencontre qui nous bouleverse, c’est une vague d’émotions, une soif d’exploration, un enthousiasme débordant à l’idée d’être au côté de cet autre qui nous fait chavirer. Même ressenti lorsque l’entreprise que vous rêvez d’intégrer publie soudainement une offre d’emploi : le cœur se met subitement à palpiter, vous avez le trac mais vous déployez tout ce qui est en votre possession pour que la séduction entre vous et elle s’opère. Bingo, elle vous ouvre ses portes et c’est avec émerveillement, convictions et fierté que vous vous immiscez dans son univers formel et informel. Animé par vos missions, admiratif de vos collègues, subjugué par votre environnement de travail, stimulé par les opportunités ; tous les ingrédients sont réunis pour que le contrat qui vous unit perdure.

À ce stade de la relation, rien, ni personne ne pourrait fragiliser ce contrat puisque la dopamine qui vous anime freine, en partie, le cerveau de sa capacité de jugement et de son esprit critique. Conséquence : vous éprouvez des difficultés à faire preuve de discernement, ce qui réduit votre aptitude à identifier des dysfonctionnements qui pourraient venir chahuter cette relation fraichement entamée.

De la passion à l’attachement : le temps de la stabilisation !

Le développement de l’amour se déroule en plusieurs étapes, qui s’échelonnent dans le temps, pour conduire vers un attachement durable. Le cerveau inhibe toute réaction au stress et libère de l’ocytocine qui induit un sentiment de bien-être et favorise une relation calme et apaisée.

Et si l’on continue de filer la métaphore, nous pouvons facilement observer qu’une dynamique similaire s’opère, après être nouvellement arrivé dans une organisation. L’exploration s’estompe pour laisser la place à l’apprentissage, l’enthousiasme s’atténue pour laisser la place à la satisfaction, les palpitations disparaissent au profit de la sérénité. Vous vous êtes approprié votre environnement, vous maîtrisez de mieux en mieux les contours de votre poste, vous avez construit de solides relations avec vos collègues, vous vous familiarisez avec le fonctionnement de votre organisation… Bref, la relation qui vous unit change de forme et n’a (presque) plus de secret pour vous.

Le sociologue François de Singly démontre ainsi que la force des couples repose en grande partie sur la constitution d’un espace sécurisant et chaleureux, rendu possible par de la négociation et une socialisation par frottement. Processus qui s’applique aussi bien dans le monde professionnel, là ou une histoire de réalités communes s’installe, rythmée par le développement de rituels, de pratiques ; cajolée par une culture et des valeurs partagées.

 De la stabilisation aux questionnements : le temps des décisions !

L’histoire suit tranquillement son cours mais c’est précisément dans le cadre de ce troisième cycle que surviennent des questionnements, parfois des doutes, et même de la frustration. Les aspects critiques de votre travail et environnement vous sautent plus facilement aux yeux, les nouvelles orientations stratégiques prises par votre direction vous interrogent, les perspectives d’évolution ne vous stimulent plus. A mesure qu’une certaine routine s’installe, il y a ce petit adage qui vous trotte dans la tête… Et si l’amour, en entreprise, ne durait vraiment que 3 ans ?

Vous dressez votre propre état des lieux et vous vous demandez comment envisager la suite de l’histoire : « je le franchis ce cap ou gagnerais-je à explorer de nouveaux horizons ? » Comme en amour, allez-vous vous laissez muer par le désir de découvrir l’infinie diversité des opportunités professionnelles qui vous attendent ailleurs ? Ou allez-vous préserver et tenter de nourrir et redorer la relation tacite qui vous lie à votre travail, à votre entreprise ?

Comme l’explique le sociologue Michel Bozon, l’amour consiste à créer « un monde affectif commun, fait de souvenirs, d’expériences passées et de références », qu’il s’agit de réactiver, stimuler à intervalles réguliers pour le préserver. Car cet amour peut s’estomper, voir mourir s’il n’est pas régulièrement nourri, ou s’il ne fait pas l’objet de projets futurs, discutés et négociés entre les partenaires.

Et c’est par ce cheminement réflexif et un dialogue régulier avec votre manager que vous serez suffisamment éclairé sur vos convictions et vos aspirations pour réaliser les arbitrages nécessaires et naviguer au-delà de ce cap fatidique qu’est le triptyque amoureux.

Naviguer au-delà des 3 ans : les 4 langages de l’amour en entreprise 

Savoir où on va, ensemble

Les perspectives d’évolution professionnelle (horizontale et verticale) reposent sur une vision stratégique de l’entreprise, de sa réflexion sur la bonne organisation pour développer des compétences, des expertises, des attitudes ou des soft-skills nécessaires aujourd’hui et demain. Cette vision doit être clarifiée et communiquée de façon que chacun puisse s’y projeter et devenir acteur de son projet professionnel et contributeur du projet d’entreprise.

Créer les conditions de l’enrichissement mutuel et de la réciprocité 

Développer une culture où toutes les parties-prenantes, comme en amour, puissent bénéficier d’un enrichissement mutuel. Ne pas limiter la relation à sa dimension transactionnelle, travail contre rémunération. Mais la considérer comme un espace de développement professionnel où l’un se professionnalise, étaye ses connaissances, ses expertises et l’autre bénéficie des compétences au service de la performance. Comme un espace de reconnaissance et de valorisation des contributions, pour renforcer la motivation, l’engagement et le sentiment de loyauté. Comme un espace où chacun puisse se sentir libre d’exprimer sa singularité et s’enrichir des diversités qui l’entourent.

Écouter et dialoguer (vraiment)

Écouter (pour de vrai) les préoccupations de son collaborateur et questionner ses envies, ses souhaits d’évolution. Le projet professionnel et la direction donnée à sa carrière sont indissociables de l’évolution personnelle, donc d’un questionnement des choix personnels, des priorités, du sens accordé à son travail…  Autant de dimensions à explorer pour ne pas obliger un collaborateur à emprunter une direction décorrélée de ses attentes.

Faire vivre une expérience

Pour se projeter, il faut que l’expérience de l’ici et maintenant vécue par le collaborateur soit singulière. Cela parle d’expérience collaborateur et de cohérence entre la promesse employeur et l’expérience du quotidien.

Alors, mythe, réalité ou prophétie autoréalisatrice ? Ni l’un ni l’autre mon capitaine ! Comme en amour, la relation qui unit un employé à son employeur n’est pas figée dans un calendrier précis mais davantage ponctuée par différents cycles : de découverte, de développement, d’adaptation et de réévaluation. Telle une responsabilité partagée, l’ensemble des partenaires gravitant au sein de cette relation doivent s’investir pour la nourrir et la faire durer au-delà des premières années. Efforts et investissements mutuels, voilà les clés de la longévité.

Justine Kieffer, avec la précieuse relecture d’Elise Assibat

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