Festif pour les uns, décisif pour les autres, le 1er mai prochain fait parler de lui depuis plusieurs semaines déjà. Le discours médiatique et syndicale qui l’accompagne va même jusqu’à qualifier l’événement d’« historique ». Alors en quoi cette date à venir peut-elle se différencier des autres ? Et finalement, qu’est ce qui fait qu’un événement fait date ? Sophie Berlioz, philosophe et experte Alternego, répond à ces interrogations d’actualité. En faisant un pas de côté.
Pourquoi qualifie-t-on ce 1er mai d’historique ?
Les médias et les Organisations Syndicales annoncent un 1er mai historique, un 1er mai qui promet d’être important. En tout cas plus important que d’habitude. Effectivement, ce sera la fête du Travail, et comme le travail a été fortement affecté par les débats récents sur la réforme des retraites, on peut, sans prendre trop de risque, anticiper une mobilisation importante. Attention toutefois à ne pas se laisser piéger par l’hyperbole, la sémantique de l’exagération de médias en quête de sensation forte.
Peut-il en effet marquer l’histoire ?
Il faut quand même rappeler qu’une des caractéristiques d’un événement qui fait date, qui fait histoire, c’est son caractère difficilement prévisible. Car c’est un changement qui surgit dans la réalité, bouscule un ordre établi puis des perceptions collectives et dont les historiens chercheront ensuite à établir les faisceaux de cause. Alors oui, le contexte social nous incite fortement à anticiper une forte mobilisation pour ce 1er mai. De là à affirmer qu’il sera historique, c’est de mon point de vue, au mieux présomptueux et au pire trompeur.
À partir de quand alors peut-on considérer qu’un évènement fait date ?
En philosophie et plus largement en sciences sociales, on considère qu’un évènement fait date s’il y a l’émergence à un niveau macro ou collectif d’un nouvel état généré par des comportements ou décisions individuelles à un niveau micro. C’est ce qu’on appelle dans le langage courant l’effet de bascule.
Un événement comme l’assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo à un niveau micro qui génère à un niveau macro, la première guerre mondiale. Ou encore la révolte liée à la hausse du prix du pain, la Révolution française. Plus récemment, l’annonce d’une taxe carbone, le phénomène des gilets jaunes. Et pour ce dernier, je ne crois pas avoir jamais entendu de médias proclamer à l’avance que la taxe carbone constituait un événement historique qui allait provoquer un mouvement social d’ampleur. Précisément car cela n’était pas prévisible.
Un événement historique génère une nouveauté, un nouvel état collectif qui n’est pas entièrement réductible à la conjonction des micros-actions qui en sont pourtant à l’origine. On utilise alors le concept d’émergence en philosophie pour rendre compte de ce nouvel état qualitatif qui se caractérise par son caractère imprévisible.
Sophie Berlioz, avec la précieuse relecture d’Elise Assibat