Pour celles et ceux qui sont allé·e·s au cinéma en 2019, la diversité était au rendez-vous : d’après l’étude Initiative Inclusive de l’école de communication USC Annenberg, 31 des 100 plus gros succès de l’année comptaient une personne « non-blanche » dans le rôle principal ou secondaire, soit une augmentation de 14% par rapport à 2018 et de 138% par rapport à 2007 ! L’article de USC Annenberg a aussi révélé que les femmes ont été représentées dans 43 des 100 premiers blockbusters de 2019. Pourtant, force est de constater que cette diversité n’a pas été incluse aux Oscars 2020, où les nominations concernaient plutôt des hommes blancs. Du côté des actrices, Cynthia Erivo était la seule racisée, nominée pour son rôle dans Harriet, un film sur une esclave devenue abolitionniste. Et contre toute attente, Greta Gerwig ne figurait même pas sur la liste des meilleurs réalisateurs (au masculin, bien évidemment), malgré le potentiel et les bonnes critiques de son long-métrage Les filles du Docteur March. Et ce, après une année 2019 où les Oscars ont battu ses records des « nominations inclusives » avec 7 personnes racisées et 15 femmes.
Once upon a time… in Hollywood
L’absence de diversité étonne dans une époque où de plus en plus de productions sont faites par et avec des personnes non-blanches et des femmes. Il s’agirait pourtant d’une tradition aux Oscars : après sa création en 1929, il a fallu attendre 11 ans pour qu’une personne de couleur gagne le premier trophée (Hattie McDaniel pour son rôle secondaire dans Autant en emporte le vent). Les nominations se sont ensuite peu à peu diversifiées jusqu’à la période du « Whiteout », de 1975 à 1981, pendant laquelle aucune personne racisée n’a figuré sur la liste des nominé·e·s – c’est l’acteur Howard E. Rollings, reconnu pour son rôle dans « Ragtime », qui a changé la donne.
En 2015, la militante antiraciste April Reign a lancé sur Twitter l’hashtag #OscarsSoWhite (« Les Oscars tellement blancs »), devenu viral, pour critiquer l’absence de diversité parmi les nominations. En 2016, les internautes étaient encore nombreux sur les réseaux à attirer l’attention sur le manque de visibilité et de représentation.
Un an plus tard, un incident remet la question raciale au centre du débat : La La Land est par erreur annoncé comme le vainqueur du Prix de Meilleur Film, alors que le trophée était censé être attribué à Moonlight, un long-métrage poignant sur la construction de la masculinité et de la sexualité de deux hommes noirs et gays. L’« accident » est encore plus polémique au vu des critiques d’appropriation culturelle concernant l’histoire de La La Land, où un couple blanc – et pas n’importe quel duo : Ryan Gosling et Emma Stone ! – chantent et dansent au son du… jazz (qu’ils essaient, par ailleurs, de sauver).
« Je ne suis pas raciste, j’ai un ami noir »
Il est aussi courant que quelques acteurs et actrices deviennent malgré eux·elles des « têtes d’affiche » de la diversité qu’ils·elles sont censé·es incarner. C’était le cas de Morgan Freeman et Denzel Washington, totalisant à eux deux un quart des nominations de personnes de couleur entre 1987 et 2015 : ils en ont eu respectivement 5 et 6 sur un total de 45.
La grande victoire du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho, qui repart de l’édition 2020 avec 4 trophées (Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur film international et Meilleur Scénario Original), peut-elle s’apparenter au même syndrome ? De fait, Parasite est l’un des seuls lauréats pouvant se targuer d’une étiquette « diversité ». Et que penser de l’unique prix attribué à Greta Gerwig, celui de Meilleurs costumes ? Serait-on ancré dans un stéréotype de l’honnête couturière ? Heureusement que les femmes étaient aussi à l’honneur de la catégorie Documentaire, avec 4 nominations… Finalement, c’est un duo mixte qui remporte la statuette : Julia Reichert et Steven Bognar. Une belle preuve que la mixité est une source de performance économique, sociale… et cinématographique !
De manière générale, la cérémonie du cinéma américain a parcouru un long chemin en matière d’inclusion des diversités. Pendant 90 ans, seulement 59 Afro-américains ont été désignés, dont 15 ont été les gagnants dans leur catégorie ; 7 Hispaniques ont été récompensés sur 30 nominations et 2 des 9 Asiatiques nominés ont remporté des prix.
Des quotas… pour les Blancs ?
L’acteur Joaquin Phoenix, l’un des lauréats aux Oscars 2020, a abordé la question du manque de diversité pendant les BAFTA Awards (il en est parti avec le prix de Meilleur acteur pour son rôle dans Joker). « Je crois que nous envoyons un message assez clair à toutes les personnes de couleur en leur disant qu’elles ne sont pas les bienvenues ici. Je ne pense pas que nous souhaitons prodiguer un traitement préférentiel à qui que ce soit, mais c’est ce que nous faisons chaque année à nous-mêmes. Je crois que les gens veulent juste être appréciés pour leur travail ».
La décision des Oscars de ne pas plier au plébiscite pour plus de diversité est d’autant plus étonnante que l’inclusion est devenue est enjeu de « smart business ». Le responsable des Talents Internationaux et de l’Inclusion du groupe Universal Filmed Entertainment l’affirme dans une interview à CNN : « En tant qu’un studio qui crée du contenu pour attirer des consommateurs, y a-t-il un meilleur moyen que de donner plus de visibilité aux gens à l’écran ? ». Telle est la question après la cérémonie de remise des Oscars 2020.
Marcos Fernandes