Normes du travail, normes sociales… Le concept de norme est omniprésent dans le monde des entreprises et semble réguler autant le formel que l’informel. Mais que comprendre de ce concept ? Et comment l’appréhender au sein du monde du travail ? Décryptage tout en philosophie avec Sophie Berlioz.
Qu’est-ce qu’une norme ?
Sophie Berlioz : Il n’existe pas de société sans normes. Au sens le plus général, ce sont des règles partagées au sein d’une société qui permettent de structurer, d’organiser et de réguler des pratiques ou relations.
Chaque univers ou forme de vie définit ses propres normes. Elles peuvent être explicites et instituées dans des codes : le droit, des chartes…Mais elles peuvent aussi être informelles et implicites (et émerger de pratiques sociales). En d’autres termes, elles favorisent les coordinations au sein d’une société.
Quelle est son utilité ?
SB : Le philosophe Pierre Livet, distingue deux types de règles. Les règles constitutives, pour ainsi dire performatives en ce qu’elles créent une pratique : les règles du Monopoly créent ex nihilo la pratique du jeu. Et les règles régulatrices, qui modèrent ou régulent un potentiel conflit.
Dans les deux cas, les règles sont des modèles, une interprétation du réel qui ne se confond pas avec lui et qui a vocation à organiser une pratique ou favoriser des coordinations. Le code de la route organise et régule la pratique de la conduite sans se confondre avec l’exercice de la conduite.
Comment la norme se traduit-elle dans nos organisations ?
SB : Les normes ou les règles d’une société ou d’une entreprise sont leur mode d’emploi. Elles définissent les modèles idéaux visant à aboutir à une finalité, qui peut être morale (axiologique, c’est à dire relative aux valeurs : inciter à faire ce qui est bon), juridique : inciter à faire ce qui est juste, ou encore organisationnel.
La difficulté, notamment au sein des entreprises, apparaît en cas de conflits sur l’interprétation de la réalité instituée par la norme. C’est à ce moment que des différends sociaux peuvent émerger. Par exemple, le renversement du principe de faveur* (nouvelles normes juridiques donc) dans les ordonnances Macron ont fait couler beaucoup d’encre car elles impliquent une modification des pratiques et donc des règles du jeu social.
Ainsi, les espaces de régulation comme ceux favorisés par le jeu du dialogue social dans les entreprises, qu’ils soient formels ou informels, constituent donc des lieux privilégiés pour discuter du travail, des implications des règles et de leurs évolutions sur la manière dont ils se réalisent au quotidien. Notamment pour trouver les solutions propices à la satisfaction des intérêts, parfois divergents, des acteurs sociaux.
*Note de bas de page : Le principe de faveur est remodelé à l’occasion des ordonnances Macron qui, en accordant la primauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, renverse la hiérarchie des normes jusqu’alors en vigueur dans le droit du travail.