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De 1884 à nos jours : les dessous politiques du 1er mai

Le 1er mai célèbre traditionnellement le travail autour de rassemblements et de défilés populaires. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? Comment cette journée internationale des travailleurs s’est-elle construite dans le temps ? Décryptage des différentes mutations portées par cet évènement avec Pierre-Yves Goarant, expert Alternego en dialogue social.   

Depuis sa première apparition dans l’hexagone à la fin du XVIII siècle, la fête du Travail que nous célébrons aujourd’hui a fait l’objet de multiples changements d’appellation et de références mais aussi de nombreux débats. Le point commun à toutes ces époques ? Les marqueurs historiques des périodes traversées.   À commencer par l’émergence de la valeur travail.

L’origine de la valeur travail   

Au lendemain de la révolution française, la valeur travail détrône l’ouvrage. Le pouvoir monarchique a été renversé par les bourgeois, les industriels et les commerçants ; aussi une posture de subordination rentre désormais en ligne de compte. Il ne suffit plus à l’artisan d’aller au bout d’une réalisation artisanale pour parler d’un travail fini. Dorénavant, le temps est défini en amont par une autorité hiérarchique qui subordonne le travail commandé par ce dernier ou par un tiers. En 1793, une première journée consacrée à célébrer le travail est instituée le 3ème jour du calendrier républicain, à l’initiative du politique et homme de lettres, Fabre Églantine. Cette dernière est alors célébrée pendant quelques années avant de tomber dans l’oubli.   

Bien plus tard, c’est l’industriel et député avant-gardiste Jean-Baptiste Godin qui relance la tendance. En plus de partager les bénéfices de son entreprise avec ses ouvriers et de leur offrir divers services dignes d’une GAFA de la Silicon Valley, il propose un événement pour célébrer la fin de l’écriture de son livre « solutions sociales » en juin 1867. La fête du Travail refait surface le 5 juin, les prémices sont posées.  

Les racines syndicales du 1er mai  

Quelques années plus tard, les racines syndicales que nous lui connaissons émergent de l’autre côté de l’Atlantique. Nous sommes en 1884 et les syndicats américains se donnent deux ans pour obtenir la journée de huit heures. Pour lancer leur toute première manifestation, ils choisissent la date du 1er mai, qui marque le début de l’année comptable de l’industrie américaine.   

À l’issue de ces deux années de mobilisation, le 1er mai 1986 prend une nouvelle ampleur avec la grève générale qui réunit plus de 300 000 manifestants dans tout le pays. Les manifestations se prolongent et l’évènement tourne au drame le 3 mai 1886 avec la mort de trois grévistes à Chicago. Dès le lendemain, des syndicalistes anarchistes se révoltent et font exploser une bombe en signe de représailles. Une victime est à déplorer du côté de la police et la violence redouble lors de l’affrontement qui s’ensuit. Le bilan est lourd : sept autres policiers sont tués ce même jour. La justice américaine condamne à la peine capitale les  huit syndicalistes inculqués.   

La deuxième internationale socialiste  

En France, c’est l’exposition universelle de 1889 qui sert de tremplin aux mobilisations syndicales. Véritable vitrine de notre savoir-faire industriel aux yeux du monde, le syndicaliste Raymond Lavigne y voit l’opportunité de rendre hommage au monde industriel et à ses travailleurs. La deuxième internationale socialiste est lancée, son nom est tout trouvé, sa date aussi : la fête des travailleurs sera, comme aux États-Unis, célébrée le 1er mai.   

À l’instar des syndicats américains, cette journée est dédiée à porter la revendication de la journée de huit heures. Toutefois, les manifestions qui en découlent tournent elles aussi au drame dans le nord de la France. Le 1er mai 1891, la police tire sur la foule et tuent neuf personnes, dont deux enfants dans la ville de Fourmies. En mémoire de cette journée, une églantine (en référence à Fabre Églantine, NDLR) est portée à la boutonnière des syndicats les années suivantes. C’est en 1907 que le muguet « annonciateur » des beaux-jours printaniers la remplace officiellement. Même si d’autres vont continuer de préférer le port du triangle rouge pour perpétuer la mémoire des disparus.  

De nouveaux enjeux politiques   

Sous le régime de Vichy, le gouvernement rebaptise la fête des travailleurs pour ne conserver que la « fête du Travail », en hommage à la triptyque devise de son leader. Au moment de la Libération, les débats sont animés pour déterminer l’avenir de cette journée récupérée par Philippe Pétain. À commencer par la question de garder, ou non, cette nouvelle appellation désormais connotée. Finalement, un compromis est trouvé : la fête du Travail demeure mais devient officiellement chômée et fériée en 1946. Cette journée est néanmoins mise entre parenthèses à partir de 1954, pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, en raison de l’interdiction de manifester.

Après 14 ans de diète, la fête du Travail fait son grand retour  en 1968 à l’initiative de la CGT et du parti communiste. Partout en France des manifestations sont organisées. À Paris, un cortège de 100 000 manifestants défile dans les rues de la capitale entre République et Bastille. Les revendications sont multiples et se cristallisent autour d’une grogne sociale.  

Un puissant instrument de dialogue social  

Depuis maintenant 50 ans, les manifestations du 1er mai continuent de perdurer avec plus ou moins de succès du point de vue du nombre de manifestants.  Souvent favorisées –ou non- par le climat social ambiant à cet instant T. Et quel autre meilleur exemple pour l’illustrer que ce 1er mai 2023 ? Véritable test à la fois pour les organisations syndicales et le gouvernement, les manifestations vont ainsi permettre d’évaluer si la portée des revendications de ces derniers mois est toujours soutenue par le corps social.  

L’enjeu est d’autant plus important qu’un retour de la lutte des classes s’observe parmi les syndicats depuis le début des contestations. Des vieux symboles de la lutte sociale du début du siècle réapparaissent, des organisations syndicales se revendiquent de la charte d’Amiens datant de 1907… Même les syndicats les plus réformistes appellent désormais à manifester de manière plus systématique qu’avant. Comme si les manifestations du 1er mai étaient plus que jamais un moyen de se faire entendre. Lorsque le dialogue social réformiste ne semble plus pouvoir faire effet.   

Finalement, le 1er mai s’inscrit aujourd’hui comme une forme de baromètre de la colère des citoyens sur les problèmes sociaux non résolus par la négociation. Et moins les problèmes relatifs au dialogue social seront négociés et concertés, plus le baromètre dans la rue sera élevé.   

Pierre-Yves Goarant, avec la précieuse relecture d’Elise Assibat

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