santé & durabilité

« Intégrer la maladie dans l’entreprise »

Interview de Nicole Etchegoinberry
Journée mondiale de la lutte contre le cancer

Nicole Etchegoinberry est Présidente du directoire de la Caisse d’Épargne Loire-Centre, et aussi sponsor de la démarche « Cancer, maladies chroniques et travail » au sein du Groupe BPCE, administratrice de Cancer@work et membre du jury du prix rose de l’entrepreneure. À l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le cancer ce 4 février, nous avons eu l’opportunité d’aborder avec elle la question de l’accompagnement professionnel des personnes atteintes d’un cancer ou en rémission. Interview.

Quel est l’état des lieux de la prise en compte du cancer et des maladies chroniques dans le monde du travail aujourd’hui ?

Il y a des prises de conscience, mais elles restent relativement lentes. Les chiffres sont en cela très parlants : 40% des personnes diagnostiquées d’un cancer perdent leur emploi dans les trois ans qui suivent, quel que soit le poste. Et 70% des chômeurs diagnostiqués d’un cancer ne retrouvent jamais d’emploi.

Cela procède d’un principe communément admis dans beaucoup d’entreprises : si je suis au travail c’est que je suis en forme et si je suis malade, je reste à la maison. Il y a donc une forme de cloisonnement qui est assez terrible, surtout quand on sait toute la nécessité pour les personnes malades ou qui sortent de maladie de nourrir un lien social, qui est la démonstration même de la vie, lien social vital que permet l’entreprise.

Pensez-vous que les personnes atteintes de cancer ou de maladies chroniques ont tendance à cacher leur affection ?

Je pense que cela dépend en partie des constructions genrées. Les hommes, qui ont dû intégrer une forme de pudeur, tendent à moins en parler alors que les femmes se sentent davantage libres d’aborder le sujet. Bien sûr, cela dépend beaucoup des personnes et aussi du type de cancer : quand la maladie induit des interventions chirurgicales, c’est forcément plus difficile de le cacher.

Dans tous les cas, c’est au salarié de faire la démarche d’aller vers les RH ou vers son manager pour faire remonter sa situation : en effet, l’employeur n’est pas en droit de demander à un salarié s’il est en ALD (affection de longue durée). On est dans un registre très personnel. Voilà pourquoi certaines personnes, sans chercher à le cacher, décident de ne pas en parler : c’est du domaine de leur citadelle intérieure. Et puis l’accompagnement n’est pas le même partout : si certains managers se montrent très empathiques et compréhensifs, d’autres se lassent rapidement et vont pousser cette fameuse idée que « si tu n’es pas bien, alors il faut que tu rentres chez toi ».

Pourquoi est-ce important que l’entreprise prenne davantage en compte la situation des personnes atteintes d’un cancer ?

Parce qu’il y a des constats diaboliques : ce ne sont pas moins de 400 000 personnes qui sont détectées tous les ans en France. En faisant des arrondis on peut dire que chaque soir, 1000 personnes apprennent qu’elles sont atteintes. C’est le genre de nouvelle qui fait basculer une vie, et les vies de l’entourage. C’est pourquoi j’incite tous nos établissements bancaires du groupe BPCE à signer la charte cancer@work en soulignant l’importance de s’approprier le sujet en entreprise, afin d’éviter aux salariés le poids de la double peine : celle de la maladie et celle de la compromission de carrière.

Je me dis qu’on aura gagné la bataille lorsque les personnes pourront en parler dans leur entreprise sans frein et auront la liberté d’écrire sur leur CV que pendant une période de leur vie, elles ont vaincu un cancer. Nous n’y sommes pas encore ! Et pourtant, souvent les personnes qui ont surmonté une telle épreuve auront développé des qualités intrinsèques épatantes : du courage, de la persévérance, de la résilience… On retrouve chez elles un goût de la vie et une énergie décuplée, même si ce n’est pas simple et que le retour au travail ne se fait pas à 100% tout de suite. Il faut avoir une intelligence des situations et ce, à toutes les strates de l’entreprise.

Quelles peuvent être les actions concrètes de l’entreprise ?

La notion de cancer fait peur. Dans les groupes de travail que nous avons mis en place sur le sujet, nous avons constaté que dans 80% des cas, le cancer était associé à la mort. C’est très ancré dans l’imaginaire collectif. Les gens sont donc très mal à l’aise parce qu’on ne sait pas comment en parler, ce qu’il faut dire.

Une première action relève donc de la sensibilisation. C’est pourquoi nous avons publié trois guides sous forme de questions-réponses qui permettent de répondre aux questions concrètes des collaborateurs, des managers et des salariés aidants, avec des outils pratiques et pédagogiques. Et de permettre des prises de parole : l’année dernière à la convention des managers de la Caisse d’Epargne Loire-Centre, nous avons organisé une table ronde sur le sujet devant 350 managers. Ce n’était pas simple d’en parler, mais ça a permis des prises de conscience très fortes chez les managers.

Guide-manager-BPCE

Extrait du guide développé par le Groupe BPCE à destination des managers

La seconde action a trait à tout l’accompagnement qui peut être mis en place. Nous avons ainsi mis à disposition un référent dans l’entreprise qui est présent pour le collaborateur comme pour le manager à toutes les phases de la maladie : de l’annonce, au traitement jusqu’au retour au travail. Puis, il y a la question des aménagements qui peuvent être organisés pour les personnes en rémission comme pour les aidants familiaux : aménagement des horaires, télétravail… Tout ce qui peut permettre de passer cette période délicate et d’amener un peu de sérénité aux personnes.

Pour concilier l’inconciliable, la maladie et le travail, je crois que toute action qui permet de mieux se connaître pour mieux se comprendre est bonne à prendre. Pour intégrer la maladie dans l’entreprise, il est donc essentiel d’avoir les valeurs de l’humain chevillées au corps : empathie et compassion pour prendre en compte les impacts de la maladie sur l’esprit et sur le corps, qui peuvent parfois s’étendre sur du long terme en dépit de toute la volonté des personnes de se sentir guéries et de travailler à temps complet.

Propos recueillis par Valentine Poisson & Sarah Bessat

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