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Le DUERP : épine dans la chaussure du DRH  ou outil de prévention efficace?

Face à la multiplication des arrêts de jurisprudence incitant les entreprises à mieux évaluer les RPS au sein de leurs organismes, le recours au document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) a considérablement augmenté ces dernières années. 

Alors que comprendre de cet outil de prévention qui souffre encore parfois d’une mauvaise réputation ? Et quels sont ses bénéfices cachés ? Tour d’horizon pour comprendre le DUERP en 3 questions avec Amivi-Sika Dogbolo, spécialiste en prévention des risques psychosociaux.

Pourquoi, selon vous, le DU-RPS est-il souvent sous-estimé ou condamné au placard ? 

Amivi-Sika Dogbolo : C’est avant tout parce qu’il est perçu comme exercice de conformité réglementaire. La plupart du temps, on le fait pour répondre à une obligation, sans forcément y voir un réel intérêt. On coche une case de plus, sans chercher à en faire un outil utile. 

Comme son nom l’indique, le DUERP vise à évaluer tous les risques professionnels, qu’ils soient physiques comme psychosociaux. Pourtant, dans les faits, beaucoup d’entreprises se limitent encore aux risques physiques. C’est particulièrement regrettable pour les populations sédentaires ou cadres du tertiaire, dont l’activité comporte peu de risques corporels, mais une exposition importante aux RPS : charge mentale, isolement, intensité cognitive, injonctions contradictoires…Ne pas les évaluer, c’est ignorer une partie essentielle de la réalité du travail. C’est aussi se priver d’un levier de prévention sur des facteurs qui impactent directement la performance et l’engagement. 

À ces limites s’ajoute un autre frein : la forme souvent inadaptée des outils utilisés. Beaucoup d’entreprises ont simplement repris les mêmes méthodes et formats que pour les risques physiques quand elles ont commencé à intégrer les risques psychosociaux. Des tableaux Excel lourds, très quantitatifs, peu lisibles, des supports complexes et peu attractifs qui n’incitent pas à s’y plonger… Pourtant, la forme compte : c’est elle qui donne envie de s’approprier le fond. 

Enfin, les RPS sont un sujet sensible, parfois même tabou. C’est compréhensible : aborder la santé mentale ou le fonctionnement collectif dépasse largement la conformité réglementaire. Les acteurs clés ne sont pas toujours clairement identifiés, et la gestion du dossier peut être confiée à des personnes qui n’ont ni l’appétence ni les outils pour le porter. Les rôles et responsabilités restent parfois flous, et certaines entreprises peinent encore à s’emparer des bons relais. 

L’enjeu consiste justement à donner à chacun, qu’ils soient RH, managers ou partenaires sociaux, les clés pour s’en saisir, dans une logique de coopération et de compréhension du travail réel. 

Et pourtant, quels pourraient être les bénéfices d’un DU-RPS bien pensé pour une organisation ? 

Amivi-Sika Dogbolo : Un DUERP bien construit devient alors bien plus qu’un simple document réglementaire : c’est un outil de pilotage de la prévention qui aide à anticiper les risques et réagir plus vite. C’est aussi un support de dialogue social entre direction, représentants du personnel, managers et collaborateurs. Chaque acteur peut s’en saisir à son niveau : pour les managers, par exemple, à qui on demande souvent d’être attentifs à la santé mentale de leurs équipes, il peut représenter un repère concret. En effet, cette demande leur est régulièrement adressée sans pour autant avoir de grille de lecture pour l’accompagner. Le DUERP peut ainsi les aider à objectiver ce qu’ils observent au quotidien : repérer les situations à risque, mettre des mots sur des tensions ou des déséquilibres dans le travail.  Et renforcer leur capacité d’action : il les sort de la posture de vigilance isolée (“je dois faire attention à mes collaborateurs”) pour les inscrire dans une logique collective de prévention. Le manager devient alors un maillon de la chaîne de régulation du travail, pas seulement un relai d’alerte. 

Enfin, identifier ses risques, c’est avant tout mieux se connaître. Un risque, c’est une potentialité. Avoir beaucoup de RPS identifiés ne signifie pas que les salariés vont mal, mais que l’entreprise sait ce qui peut arriver. C’est un signe de lucidité. À l’inverse, un DUERP vide traduit souvent une méconnaissance du fonctionnement réel de l’organisation, car le risque zéro n’existe pas. 
 

Comment une entreprise peut-elle en faire un levier de transformation ? 

Amivi-Sika Dogbolo : Il s’agit d’abord de changer la perception qu’on s’en fait : le DUERP ne doit plus être vu uniquement comme un document réglementaire, mais comme un outil vivant, au service de la performance sociale. Et pour cause, il aide à développer une culture de co-vigilance pour que chacun, à son niveau devienne acteur de la prévention dans une logique de responsabilité partagée. 

Sur le plan méthodologique, il faut également repenser la manière d’analyser les risques. Les grilles classiques utilisées pour les risques physiques ne sont pas adaptées aux RPS. On peut alors introduire d’autres critères, pour mieux refléter la réalité du travail vécu. Car derrière l’obligation légale se cache une véritable opportunité de créativité. Rappelons qu’il n’existe aucune contrainte de forme pour le DUERP : chaque entreprise est libre de le concevoir selon sa culture, ses besoins et ses enjeux. 

Cela ouvre un champ d’innovation puissant : celui de réinventer le DUERP. En impliquant les équipes, l’outil peut devenir plus visuel, plus clair et plus parlant. Ce n’est pas un détail, c’est même une nécessité : un document lisible et attractif est la première étape vers son appropriation par tous. Or, cette appropriation est vitale pour garantir l’efficacité d’une démarche de prévention. Soit autant de moyens permettant d’en faire un véritable levier de transformation ! 

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