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Jeux Olympiques : passer de l’extraordinaire à l’ordinaire sans tout foutre en l’air

Les Jeux Olympiques, ce n’est pas une simple compétition sportive. C’est un événement d’une envergure mondiale qui mobilise des millions de personnes, parmi lesquelles des athlètes, des entraîneurs, des bénévoles… Mais aussi tous ceux qu’on ne voit pas forcément et qui, dans l’ombre, ont travaillé (très) dur pendant des années pour que l’événement ait lieu dans les meilleures conditions.  

Une expérience hors du commun, durant laquelle chaque journée était rythmée par des défis intenses et guidée par un sentiment de fierté et d’appartenance à un projet qui dépasse de loin le simple cadre d’un job « ordinaire ».  

Alors, une fois les Jeux terminés, que se passe-t-il pour ces personnes ? Peut-on reprendre une vie professionnelle « normale » ? Explorons ensemble, grâce aux apports de la sociologie, les défis et les opportunités d’une telle transition.  

Le boulot au COJO : quand l’exceptionnel devient la norme 

Quand on a suivi les jeux olympiques depuis les gradins ou derrière son écran de TV, il peut être difficile de s’imaginer ce que signifie de « travailler » pour un projet aussi fou que celui des Jeux Olympiques.  

Travailler au COJO (Comité d’Organisation des Jeux Olympiques), c’est se lancer à 100 à l’heure dans une expérience professionnelle sans équivalent que l’on sait dès le départ… à durée déterminée.  

C’est intégrer une organisation qui a démultiplié ses effectifs à vitesse grand V, passant de 10 personnes à près de 4000 (+ 45 000 volontaires !) en 6 ans… Chaque jour, des centaines de recrutements qui deviennent des centaines de nouvelles têtes avec lesquelles il faut apprendre à composer et à coopérer… Vite, très vite. 

C’est aussi s’habituer à une intensité unique, s’habituer à la vitesse, aux urgences, à la pression, aux deadlines… jusqu’à l’ultime deadline : la soirée d’ouverture. Le monde entier aura les yeux rivés sur cette soirée. Tout doit être parfait, il n’y a pas le droit à l’erreur et surtout, pas le droit au moindre retard. Tout ce qui est réalisé doit « servir les jeux » : pas l’temps de procrastiner sur un PowerPoint, pas l’temps non plus pour les réunions à rallonge. Tout s’optimise : c’est une véritable course contre la montre. 

Enfin, c’est jongler avec des responsabilités immenses, une pression médiatique constante et des challenges ultra-complexes dans un environnement international et multiculturel qui nécessite de comprendre et d’intégrer des perspectives diverses.  

Et puis un jour, au lendemain de la Cérémonie de clôture des Paralympiques : plus rien, tout s’arrête…. Et pour ces professionnels, dont certains seront sans aucun doute soulagés, il faut penser à « l’après » et faire face au « choc » d’un retour à un environnement professionnel plus « traditionnel ». 

Du rêve au réveil… difficile ? 

Le retour à une vie professionnelle « normale » n’est pas sans risques. Et la transition peut être difficile à différents niveaux. 

Des conséquences pour soi… 

Le risque de décompensation et de crise identitaire est important d’abord pour soi-même. 

Le sentiment de vide   

En effet, après avoir été un rouage essentiel dans une machine aussi gigantesque que celle des Jeux Olympiques, les petites tâches de la vie professionnelle quotidienne et les objectifs peuvent subitement paraître insignifiants. Cette dévalorisation du travail quotidien est un risque majeur pour l’individu comme nous le confirme la psychologue sociale Marie Jahoda (1933), dans ses travaux sur les 5 fonctions latentes du travail : l’absence de sens et d’utilité perçue dans son travail peut conduire à un désengagement profond.  

Le sentiment de dévalorisation 

Au sein du COJO, chaque contribution était valorisée et reconnue par « essence », car elle participait à la réussite du projet Jeux Olympiques. Dans un environnement professionnel plus classique, certaines actions peuvent paraitre inutiles. Le sentiment de fierté est parfois mis à mal et la reconnaissance, levier fondamental de la motivation, peut se faire plus discrète, voire être totalement absente. Or, comme le sociologue Michel Crozier (1964) nous l’explique, l’absence, réelle ou perçue, de reconnaissance peut déstabiliser l’individu dans son rôle, entraînant des sentiments d’injustice, de frustration, et du désengagement. (ndlr : le manque de reconnaissance est aujourd’hui le premier facteur de Risque Psychosocial). 

… Des difficultés vis-à-vis des autres 

Ensuite, le risque est d’adopter malgré soi, une attitude qui pourrait être perçue comme « supérieure » ou inadaptée par son nouvel entourage. Pour exemples :  

  • En montrant, par exemple, un désintérêt pour les projets en cours 
  • En remettant en question systématiquement les méthodes, les outils, les organisations  
  • En imposant à ses collègues, des méthodes de travail calquées de l’expérience COJO sans prise en compte du contexte professionnel 
  • En refusant le droit à l’erreur  
  • En montrant des pics de frustrations et/ou d’impatience face à un rythme de travail plus « normal » qui pourrait paraitre « trop lent ». 

Autant de comportements qui pourraient alors tendre les relations, créer un climat de travail difficile, pour tout le monde et isoler l’individu.  

Que faire pour limiter ces risques et se réintégrer en douceur ? On a bien quelques idées !  

Petit guide de survie pour un retour à la normale sans (trop) d’accroc. 

Accepter la transition : Laisser l’extraordinaire derrière soi. La première étape, sans doute la plus difficile, consiste à prendre tout le temps nécessaire pour accepter la sensation de vide, qui peut survenir chez certains et faire le « deuil » de l’extraordinaire. Cette étape est fondamentale pour tourner la page, réapprécier les nuances d’un contexte professionnel plus ordinaire et se réinventer dans son « soi professionnel » comme nous le suggère l’anthropologue Philippe D’Iribarne (1989).  

Une fois la transition acceptée : redonner du sens à l’ordinaire. Pour beaucoup, l’extraordinaire est synonyme de passion, de défis, et d’accomplissement. Mais ces mêmes éléments peuvent être réintroduits dans la vie quotidienne en cultivant un état d’esprit de curiosité et en identifiant des micro-défis qui peuvent susciter la même énergie et motivation. Ainsi, le chercheur Henri Mintzberg (1979) suggère de redéfinir ses objectifs, de chercher à innover quotidiennement en prenant des initiatives pour revitaliser un environnement de travail jugé (trop) classique, maintenir son engagement et éviter la lassitude.  

Transmettre ce que l’on a appris : Le partage comme catalyseur. L’une des manières les plus puissantes de réintégrer l’extraordinaire dans l’ordinaire est de transmettre ce que l’on a appris. En effet, selon le sociologue Pierre Bourdieu (1980), le partage de connaissances, d’expériences et de compétences permet justement de valoriser ce que l’on a vécu tout en contribuant à développer le collectif, à renforcer le groupe, à augmenter la coopération et à enrichir la culture organisationnelle. Ainsi, on peut par exemple imaginer promouvoir — sans brusquer — des pratiques et méthodes collaboratives, inspirées de l’expérience JO (comme la culture du feedback à chaud, la gestion de projet agile, les processus de décision participatifs, les matrices de priorisation… ) 

Quel rôle pour les organisations ? 

Mais ce n’est pas tout, les entreprises qui accueillent d’anciens membres du COJO ont elles aussi un rôle clé à jouer dans cette transition pour que tout le monde y gagne ! Voici quelques idées :  

  • Cultiver le partage, la transmission et la coopération, formidables sources d’intégration sociale et de bien-être au travail, comme nous le rappellent les travaux d’Émile Durkheim (1893) sur la solidarité organique dans une société complexe.  
  • Reconnaître, capitaliser et valoriser les talents et compétences spécifiques acquises dans le cadre de l’organisation des Jeux Olympiques, comme la gestion du stress, la collaboration internationale et la gestion de projets complexes.  
  • Proposer, au besoin, des accompagnements individuels, tels que du coaching, pour aider ces professionnels à se (ré)adapter à un contexte pro plus ordinaire.  
  • Encourager l’autonomie la prise d’initiative en donnant à chacun la marge de manœuvre nécessaire pour s’épanouir professionnellement dans un environnement stimulant qui évite le sentiment d’aliénation (M. Crozier, 1964)  

Finalement, si les risques liés à cette transition sont bien réels, avec un peu de réflexion et quelques actions concrètes, il est possible de transformer l’extraordinaire en moteur de renouveau pour le développement et les carrières !  Autant d’initiatives pour parvenir à créer, ensemble, un environnement propice au monde de l’après.  

Charlotte Ringrave  

Références :  

  • Weick, K. E. (1995). Sensemaking in Organizations. Thousand Oaks, CA: Sage Publications. 
  • Jahoda, M., Lazarsfeld, P. F., & Zeisel, H. (1933). Les Chômeurs de Marienthal. Paris: Éditions de Minuit. 
  • Crozier, M. (1964). The Bureaucratic Phenomenon. Chicago: University of Chicago Press. 
  • D’Iribarne, P. (1989). La Logique de l’honneur: Gestion des entreprises et traditions nationales. Paris: Éditions du Seuil. 
  • Mintzberg, H. (1979). The Structuring of Organizations: A Synthesis of the Research. Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall. 
  • Bourdieu, P. (1980). Le Sens Pratique. Paris: Éditions de Minuit. 
  • Durkheim, É. (1893). De la division du travail social. Paris: Presses Universitaires de France. 

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