Le boulot sans frontière

Japon : ritualiser le départ à la retraite pour une transition réussie

Nous ne sommes pas tous égaux face au départ à la retraite. Là où d’autres pays abordent cette étape comme une formalité, une sortie presque silencieuse, le Japon en fait un passage reconnu, presque sacré. Loin d’être un simple acte administratif, il s’accompagne de rituels, de gestes symboliques et d’une conception profondément culturelle de la transmission.  

Alors que comprendre ces pratiques ? Et comment s’en inspirer pour donner du sens à une transition qui bouleverse l’identité autant que la carrière professionnelle ?  

Le pouvoir des rites 

Dans les cultures qui accordent une place aux rites de passage, la retraite n’est pas une fin, mais un changement de statut. Ces rituels sont essentiels pour créer une continuité. Ils donnent forme à l’émotion du moment, renforcent le lien social et permettent une véritable reconnaissance du parcours accompli. Ce sont aussi des espaces où s’organise la transmission des savoirs, des pratiques, d’un rôle dans le collectif. 

Lorsque ces rites sont absents ou pauvres, le départ est rapidement vécu comme une mise à l’écart qui s’accompagne de perte de sens, d’un sentiment d’inutilité, et d’une rupture brutale avec l’équipe. Pourtant, derrière les rites se jouent des mécanismes très concrets. Ils donnent un récit au passage on ne disparaît pas, on transmet, on clôture, on se projette autrement, ils permettent au collectif de reconnaître publiquement ce qui a été accompli. Un rite, même simple, agit comme un cadre narratif qui empêche le moment de se remplir de peurs et de non-dits. 

Zoom sur le Japon : un modèle de rites et de croyances porteurs 

Au Japon, plusieurs traditions structurent ainsi la sortie de la vie professionnelle. La plus connue est le « taishoku-shiki, » une cérémonie qui réunit collègues, managers et parfois direction. Au travers de discours, de remerciements ou encore de gestes symboliques, chacun est invité à reconnaître publiquement la contribution du salarié. Ce rituel n’est pas un simple décor mais une manière d’honorer le lien social et d’éviter que la retraite ne soit vécue comme une disparition. Il s’inscrit dans une vision plus large, celle de l’« ikigai », la raison d’être, qui incite les seniors à trouver un nouveau rôle actif, que ce soit au niveau communautaire, familial ou associatif. 

Cette ritualisation coexiste toutefois avec des pratiques plus ambivalentes, comme le « madogiwa-zoku, » littéralement « le clan de la fenêtre » qui désigne ces employés proches de la retraite auxquels on confie moins de responsabilités tout en étant payés. Si cette mise à l’écart douce peut paraître problématique, elle révèle une autre facette : une volonté culturelle de ne jamais rompre brutalement le lien. Là où la France peine parfois à articuler reconnaissance et transition, le Japon assume la dimension symbolique voire spirituelle du départ, en y associant gratitude, continuité et cohésion sociale sur le plus long terme. 

Et en France, où en sommes-nous ? 

En France, les départs à la retraite restent très disparates : certains sont célébrés, d’autres expédiés en quelques mails. Or les études montrent que ces moments sont loin d’être anodins. Notre propre enquête sur les ressentis en seconde partie de carrière révèle que plus d’un collaborateur sur deux anticipe la fin de carrière avec une forme d’appréhension, et 45 % craignent une perte de considération professionnelle. La perception même du vieillissement influence fortement le vécu. Lorsque l’âge est associé au déclin, les seniors se sentent marginalisés bien avant leur départ. Il existe pourtant un paradoxe flagrant : les salariés expriment un réel désir de transmission, de passation, et même de continuité dans un autre rôle. Autrement dit, l’envie est là, mais le cadre pour la concrétiser manque. 

Alors, comment s’inspirer de l’approche japonaise ? Peut-être en misant davantage sur des accompagnements structurés, des formations à la transition, ou même la création de véritables rites de passage qui reconnaissent le chemin parcouru. Pour faire émerger non pas des cérémonies artificielles, mais des moments qui donnent forme à ce qui est vécu : la fin d’une étape importante, l’ouverture d’une autre, et surtout la reconnaissance du lien qui continue à exister au sein de l’entreprise. 

Selma Hammou, avec la relecture d’Elise Assibat

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