Le 12 mai marque la journée internationale des infirmier·e·s. Exactement 200 ans après la naissance de Florence Nightingale, née le 12 mai 1820, que l’on surnomme souvent « l’inventrice des soins modernes » et qui se défendit souvent d’être une « héroïne », arguant qu’elle était avant tout une professionnelle ! Un discours qui ne peut que résonner aujourd’hui avec celui des soignant·e·s qui tout en étant sensibles aux applaudissements de 20 h depuis le début du confinement, alertent sur la nécessité d’inscrire dans la durée la reconnaissance collective de leur métier.
Nous avons décidé de donner la parole à trois infirmier·e·s : d’abord Noémie P., qui évoquait ses réserves quant à la notion de « métier vocation » ; aujourd’hui c’est Doudou K., infirmier à l’hôpital Saint-Louis de Paris qui dévoile la personne derrière le masque FFP2. Rencontre
Comment naît une vocation d’infirmier·e ? À quoi aspire-t-on quand on embrasse ce métier ?
Depuis que je suis enfant, j’ai toujours été attiré par les métiers du corps médical, les pompiers, tous ceux qui sont là pour aider les gens. Quand je regardais des films et des séries comme Alerte à Malibu, j’étais fasciné par les sauveteurs sur la plage… Alors, j’ai choisi ce métier par rapport à ma personnalité : j’ai toujours aimé aider les gens, être à l’écoute et donner de mon temps pour ceux qui en ont besoin. Ça reflète qui je suis.
Avec le confinement, les patients ne peuvent pas avoir de visites. Alors j’essaie de rester le plus longtemps possible avec eux, ils/elles en ont besoin. Aujourd’hui, par exemple, un patient m’a demandé un chargeur parce qu’il n’en n’avait pas. Alors, j’ai cherché dans tout le service, j’ai demandé aux collègues… Et j’ai fini par lui en trouver un. J’ai pensé que s’il pouvait passer un appel à un de ses proches alors il pourrait passer une bonne soirée, et ça a fait ma journée.
Quelles sont les satisfactions de ce métier ?
Quand tu crées des liens avec un patient et quand, après plusieurs mois d’hospitalisation, le médecin te dit que tu peux lui annoncer qu’il va sortir le lendemain. La surprise, la joie sur son visage quand il apprend la nouvelle… L’hôpital, c’est un peu comme une prison, alors je suis trop content de leur dire qu’ils vont retrouver leur liberté, leur vie de famille. Ils sont vraiment heureux. Quand un patient sort, tu es satisfait de l’écoute que tu lui as apportée et il est reconnaissant, t’offre un petit gâteau… Des fois, il a même du mal à partir, c’est ça qui est marrant ! Il y a ce petit truc familial qui se développe dans le milieu médical, et ça fait chaud au cœur. Alors parfois ça te fait bizarre aussi, parce que tu t’es attaché, mais tu es surtout content pour la personne et pour la chance qu’elle a de partir.
Quand je peux, j’emmène les patients en fauteuil tout en haut du bâtiment, il y a une petite vue sur les cours intérieures et extérieures, sur la Tour Montparnasse et la cathédrale. Ils sont trop contents, ils me disent « Merci monsieur !». C’est pas des trucs de ouf, mais quand je vois un sourire, un regard heureux sur leurs visages, je sais pourquoi je fais ce métier.
… Et les frustrations ?
C’est le sens inverse, des fois il y a des cas compliqués. Quand tu perds un patient avec qui tu as développé des sentiments, qu’on te dit qu’il ne s’est pas réveillé, c’est dur. Moi j’arrive le matin, j’ai la patate. Quand j’ai une pause, je monte à l’étage et je demande aux jeunes de venir, je leur fais mon show-man. Les petits, ils sont contents, il y a un jeune qui a la pêche, tu parles un peu comme eux et eux ils se tapent des barres de rires, il ne se sentent pas à l’hôpital. Ils ont 15, 16 ans, tu tisses des liens avec un jeune patient et le lendemain on te dit qu’il est décédé, qu’il a fait un arrêt cardiaque… Franchement, ça fait un choc. Alors oui, c’est dur quand les soignants sont touchés par rapport à certains patients. Ils ont besoin d’amour et tu leur en donnes. Ce métier, si tu n’as pas de cœur, tu le fais pas.
J’ai des collègues qui se sont suicidés aussi, à cause des conditions de travail. Quand tu perds une vie humaine, quand un de tes collègues ne va pas bien… J’ai toujours dit que l’hôpital c’est notre deuxième maison, notre deuxième famille : c’est là qu’on passe le plus de temps. Un de mes collègues était en arrêt maladie depuis deux ans, je l’aimais bien. J’ai appris son décès la semaine dernière et il y a deux jours, j’étais à son enterrement.
C’est un métier dur, tu apprends beaucoup de choses sur toi-même, sur la vie. Donner de l’amour c’est important, on n’est rien sur Terre et la vie ne tient qu’à un fil, alors il faut profiter des bonnes choses. Moi je fais ce métier, j’aime ce que je fais et je continuerai. La seule frustration, c’est quand tu perds un patient que tu aimes beaucoup ou un collègue… Le reste on s’en fout. Ce qui compte c’est ce que tu donnes, ce que tu dégages, savoir que quelqu’un est content de te voir… J’aime les gens. Ils sont là, ils ne te demandent rien. Tu les fais rire, ils ont la pêche et te font un compliment. C’est énergisant.
La France entière a applaudi les soignant·es pendant la crise COVID-19. Comment avez-vous vécu cela ?
Franchement, la première fois, j’étais un peu intimidé. Ça m’a fait bizarre ! Au début, je rasais les murs. Quand tu sors de l’hôpital pile poil au moment des applaudissements, les gens te voient par la fenêtre, il y en a qui te reconnaissent et qui te filment… Tu te dis : « Ouahhh, qu’est-ce que j’ai fait ?! ». Oui vraiment, ça fait bizarre. J’ai fait quoi de si spécial ? C’est mon quotidien, ma vie de tous les jours… Et tu fais rien, tu rentres chez toi, c’est un jour comme un autre et le lendemain ça se répète.
Honnêtement, ça fait hyper plaisir et c’est encourageant. C’est la classe quand même, tu te sens soutenu et tu te dis que ce n’est pas de la daube ton métier. Les gens sont confinés, ils prennent conscience qu’il y a le COVID. Je peux vous dire que respirer dans un FFP2, c’est pas prévu, t’as chaud, et puis tu dois te changer avant de cavaler… On veut pas être des héros, mais qu’on comprenne qu’il y a des humains qui sont là, qui sont au front tous les jours pour que vous puissiez être sereins. Avec les applaudissements, tu te dis que tu n’es pas tout seul. Ça fait chaud au cœur et ça donne du courage pour aller au taf.
Avec qui souhaiteriez-vous partager cette reconnaissance ?
Avec les caissières. Franchement, si elles ne sont pas là on ne mange plus. Et elles sont là, même pour scanner ton paquet de pâtes, t’es content. Et je voudrais aussi partager cette reconnaissance avec tout ce qui est vital. Les pompiers, les secouristes… Les pharmaciens aussi, on les oublie beaucoup alors qu’ils préparent les médicaments. Enfin, avec tous les anonymes qui aident… Qui prennent leur voiture pour voir si des personnes âgées ont besoin de quelque chose. Des actes de bravoure dont on n’entend pas parler, toutes les personnes qui s’entraident et qui n’oublient pas les gens vulnérables. Toutes celles qui ceux qui œuvrent à ce que quand vous sortez dehors, vous avez la santé et vous vous dites que la vie est belle.
Propos recueillis par Valentine Poisson