Lorsqu’on parle de la fatigue professionnelle, on pense tout de suite à un trouble particulièrement médiatisé ces dernières années, le burnout. Mais existe-t-il un autre type de fatigue professionnelle ?
Et bien, oui ! Mise en lumière par la pandémie de la COVID 19, il s’agit de la fatigue de compassion. En effet, lors de cette période, tous les professionnels de santé (médecins, infirmiers, aides-soignants, psychologues…) ont été confrontés à une grande surcharge de travail sur une période prolongée, amenant de nombreux d’entre eux à un état d’épuisement. L’épuisement physique, bien sûr, mais aussi et surtout un épuisement émotionnel, provoquant une remise en question du sens de leur travail tourné vers l’autre. Alors de quoi s’agit-il exactement ?
Tout d’abord, au cœur de cette notion, il y a la compassion. Cette dernière est souvent confondue avec l’empathie. Et pour cause, l’empathie est la capacité à percevoir et comprendre les émotions de l’autre, à se mettre à sa place. Le mot « compassion » prend d’ailleurs son origine dans la langue latine – « compassio » – qui signifie « souffrir avec ». Ainsi dans la notion de compassion on va plus loin : non seulement on comprend la souffrance de l’autre, mais on cherche à y remédier en se mettant en action pour lui venir en aide. C’est pour cette raison que l’on retrouve la compassion au cœur des métiers de soin, des métiers tournés vers l’autre : les soignants, les pompiers, les psychologues, les travailleurs sociaux, etc.
Toutefois, ce sentiment peut également animer bien d’autres professionnels investis dans la relation d’aide au sein du monde de l’entreprise : les acteurs RH, les représentants du personnels, les référents RPS/harcèlement/violences intrafamiliales…, les membres des divers dispositifs internes d’alerte et d’aide aux salariés (comité de prévention, commission solidaire, cellule d’alerte harcèlement, etc.). Plus largement, la fatigue de compassion semble l’un des risques professionnels pour toute personne accompagnant et venant en aide aux personnes en situations de souffrance et/ou difficulté. Mais comment la déceler pour s’y confronter ?
Fatigue compassionnelle VS burn-out : comment faire la différence ?
La fatigue compassionnelle évolue dans l’ombre du burn-out. Le flou qui règne autour de ces deux syndromes explique qu’ils soient fréquemment interchangés. Il y a des éléments en commun dans les deux tableaux cliniques : colère, irritabilité, tristesse, voire dépression, troubles de sommeil, troubles de l’appétit, perte de concentration et/ou de mémoire, symptômes physiques divers… Pourtant on distingue deux différences majeures entre le burn-out et la fatigue compassionnelle. D’une part, le burn-out est d’installation lente, alors que la fatigue compassionnelle peut survenir soudainement, et évoluer insidieusement.
D’autre part, la fatigue compassionnelle se caractérise plus particulièrement par le sentiment d’impuissance face à la souffrance de l’autre et l’incapacité à gérer et faire face aux émotions de l’autre. Cet état provoque alors un besoin d’éviter toute situation qui renvoie à la souffrance et lorsque c’est impossible, on peut développer une certaine insensibilité, voire cynisme, face à la douleur émotionnelle de la personne en face.
Un risque majeur et pluriel
Ainsi, à la différence de burnout, la fatigue compassionnelle altère la capacité à se soucier de la souffrance de l’autre, et le sentiment d’accomplissement que la personne tire dans son action d’aide face à la détresse d’autrui. La motivation à l’origine même de la vocation est attaquée par cet état de fatigue. Par conséquent, cela peut amener à remettre en cause le choix professionnel de la personne et ébranler sa vision du monde en général.
Bien évidemment, ce risque est très présent chez les professionnels dans la relation d’aide, mais il peut également toucher, dans une certaine mesure, tout professionnel exposé à la souffrance d’autrui. Et même plus largement, toute personne en position d’aidant naturel (personne non professionnelle venant en aide pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage pour les activités de la vie quotidienne, NDLR).
Alors, est-ce le prix à payer lorsque l’on choisit un métier d’aider à l’autre ? Le fardeau à porter ? Quoi qu’il en soit, c’est un risque dont il faut avoir conscience afin de pouvoir identifier les signaux avant-coureurs : sentiment de surmenage face à la difficulté de l’autre, une empathie et sensibilité réduite par rapport à d’habitude, sentiment d’impuissance face à la souffrance, irritabilité, etc.
Face à la fatigue de compassion, l’importance de la prévention
Pour pouvoir être en état d’aider les autres, il faut faire attention à soi. Alors comment prévenir ce risque ?
Sur le plan individuel, la 1ère action de prévention serait donc de faire attention à soi. De parvenir à écouter son corps et son esprit afin d’identifier les premiers signaux de fatigue. Aussi de s’accorder le temps et l’espace nécessaires pour comprendre et ressentir ses propres émotions en lien avec la posture d’aide, s’entourer des pairs afin d’échanger ensemble sur des situations professionnelles… Et, enfin, le cas échéant, recourir à une aide d’un professionnel (psychologue, médecin, etc.) pour ne pas y faire face seule.
Mais tout n’appartient pas à la responsabilité individuelle du professionnel en question. C’est aussi à l’organisation de préserver autant que possible les collaborateurs et professionnels. En reconnaissant l’existence inéluctable de la fatigue de compassion et en mettant ainsi en place des actions d’accompagnement des salariés assurant un rôle d’aidants : groupe d’échange entre pairs, réunions de débriefing formelles et informelles, une supervision collective, une formation continue…
Le sentiment d’accomplissement et d’utilité ressenti par toute personne qui vient en aide à l’autre peut donc se retrouver fortement altérer par la fatigue de compassion. Et c’est sûrement ce qu’il y a de plus incompréhensible et déstabilisant pour les personnes concernées.
Alors ne minimisons pas la possibilité d’être touché par cet état de fatigue et soyons vigilants. Pour soi-même d’abord… Puis pour l’organisation dans laquelle on met notre compassion à profit. Car c’est en faisant aussi attention à nous, que l’on peut prendre soin des autres !
Victoria Tchakmazian