Management : comment s’inspirer du rugby pour transformer l’essai ?

Le coup d’envoi est lancé, c’est parti pour presque deux mois d’une Coupe du Monde de Rugby 2023 qui s’annonce exaltante ! Chez AlterNego, outre le fait que certains d’entre nous, passionnés, suivront avec une grande excitation cet évènement mondial, nous souhaitons aussi en profiter pour interroger les enseignements que ce sport offre aux autres sphères de la vie, notamment celle du travail (et oui, toutes les occasions sont bonnes pour interroger notre quotidien pro !)

Si le rugby est en premier lieu associé par beaucoup à une grande convivialité et à un ensemble de valeurs exemplaires qui transcendent les limites du terrain (comme le « faire équipe », la passion, la solidarité, la détermination, la diversité ou encore le respect), force est de constater que les comportements individuels de certains entachent cette « culture rugby » qui souffre parfois d’une image beaucoup plus rustre, plus violente, empreinte de masculinité toxique et de comportements « agressifs » ou « ultra compétitifs »… Résolument incompatibles avec un environnement professionnel sain. C’est pourquoi, depuis quelques années, le rugby moderne s’engage pleinement au service de l’inclusion, du fair-play et du respect de tous les participants. Quel que soit leur genre, leur origine ou leur niveau de compétences pour réguler et condamner ces dérives et préserver les valeurs fondamentales du rugby. La Fédération Française de Rugby (FFR), par exemple, est à l’origine de plusieurs initiatives, inspirées des actions menées dans le monde de l’entreprise, pour promouvoir l’inclusion dans le sport en général (chartes éthiques et de bonne conduite, programmes de formation et de sensibilisation, lutte contre les stéréotypes de genre, parité dans les instances dirigeantes, campagne de communication, partenariats associatifs…)

Ainsi, pour interroger ce que le rugby a à apporter de positif au monde du travail, il s’agit, comme partout ailleurs, de plonger au cœur de la philosophie et de ce qui anime l’esprit même de  ce sport. Bien au-delà des comportements individuels dysfonctionnels, là où se trouvent les valeurs et les grands principes qui poussent à l’action, qui soudent les équipes, engagent les individus et nourrissent les grands principes tactiques au rugby (qui peuvent inspirer l’agilité au travail) : faire avec les autres, ne jamais arrêter d’avancer (pour marquer ou pour empêcher de marquer…) et assurer la continuité du jeu.

Rassembler autour d’un « projet » commun

À l’aube de la coupe du monde de rugby, la 10ème compétition pour l’équipe de France, Fabien Galthié, meilleur joueur de rugby du monde en 2002 et aujourd’hui entraîneur de l’équipe du XV de France, témoignait début août au micro de France Inter des performances spectaculaires de l’équipe de France avec 80% de victoires actuelles (contre 33% précédemment) dont 95% de victoires sur les deux dernières années !

Pour l’entraîneur français, faire (une) équipe c’est d’abord rassembler des individus autour d’un même projet, clairement défini. Au rugby, comme en entreprise, on se fédère donc « pour » quelque chose. Et dans le cadre de cette coupe du monde, pour l’équipe de France, l’ambition est claire et assumée : gagner des matchs, et surtout « gagner la coupe du monde ».

Comme en entreprise, si le staff et l’entraineur créent les conditions de la réussite, en apportant et en communiquant la vision, en étant à l’écoute des besoins des joueurs, en organisant la progression, ce sont bien les joueurs qui finiront de porter le projet sur le terrain pour atteindre les objectifs. Il est donc essentiel de prendre en compte les compétences et les apports de chaque joueur. S’ils sont sélectionnés, c’est qu’ils ont une compétence forte qui leur est propre et que l’entraineur doit pouvoir mobiliser. À chacun d’apporter et de démontrer sa « pépite » ! Galthié fait donc de la compréhension du projet collectif, et de la volonté d’y participer en apportant sa pierre à l’édifice, deux conditions sine qua none de sa sélection.

Construire une équipe engagée, solide et solidaire

Révéler et accompagner les potentiels

Pour construire une équipe, le rôle du staff – et surtout de l’entraineur – est de détecter, mettre en mouvement et cultiver les potentiels et les atouts de chacun. Pour cela, chaque membre du staff à un rôle de suivi et d’écoute. Ils vont à la rencontre des joueurs et de leurs familles, observent leurs performances, apprennent à les connaitre (vraiment) tout engardant en tête que le système est mouvant : l’environnement se transforme, les joueurs évoluent. En effet, après 35 matchs et 30 sélections, des joueurs débutant à 24 ans ne sont évidemment plus les mêmes 5 saisons plus tard. Il faut donc les accompagner et réaligner en permanence l’équipe sur le projet, le sens mais aussi les objectifs. Les entraineurs passent donc beaucoup de temps à rappeler et à revalider le « pour quoi » on joue collectif et le « pour quoi » on s’engage.

Une belle équipe, c’est donc une somme de talents qui – en étant bien accompagnés par un management de proximité investi et engagé – réussit à construire des interactions très puissantes. Pour Fabien Galthié, il n’y aurait alors pas « de limite à la performance », qui deviendrait même « exponentielle », lorsqu’on arrive à « mettre en phase et à mélanger efficacement la somme des talents et la somme des relations ».

Développer la coopération

Si les joueurs débordent bien souvent d’ambition, ils comprennent très vite que pour être de grands joueurs, ils doivent d’abord être de « grands partenaires ». Aussi, malgré des égos généralement très forts et des états d’esprits de compétiteurs déterminés (ndlr : observez les regards dans le couloir juste avant l’entrée sur le terrain, vous ressentirez vite la puissance, la force intérieure, la volonté, l’ambition des uns et des autres qui transpirent), ils prennent plaisir à être des « partenaires » et savent qu’ils ne pourront atteindre leurs objectifs personnels que si leur équipe sert un projet collectif. Au rugby, la coopération n’est donc pas un choix ou une décision stratégique, c’est une nécessité absolue pour servir le projet commun. Chaque membre de l’équipe sait qu’il doit pouvoir compter sur ses coéquipiers. C’est pourquoi, le rugby est aussi un sport réputé pour sa convivialité sur et en dehors du terrain. Les nombreux moments de partage et de camaraderie entre les joueurs, qui s’encouragent mutuellement et célèbrent les réussites ensemble, permettent de renforcer les liens, la confiance et les relations.

Enfin, de plus en plus d’entraineurs s’appuient sur des psychologues du sport qui permettent aux joueurs encore jeunes (entre 20 et 30 ans) de faire le pas de côté et de continuer d’apprendre, sur eux et sur leurs relations avec les autres.

Accueillir les différences

La diversité est le propre du rugby. Du 1 au 15, il n’y a pas un joueur qui se ressemble. Toutes les morphologies sont représentées et utiles. C’est un sport qui associe toutes les compétences physiques et intellectuelles.

Une diversité « par le jeu » qui se retrouve également dans la richesse des représentations qui transcendent les barrières culturelles :

  • Autrefois très rural et universitaire, le rugby est devenu un sport plus urbain, ainsi, les joueurs professionnels qui s’illustrent dans les grands clubs des « grandes villes » viennent souvent de tous petits villages très différents  
  • Ils arrivent également de différentes régions du monde (dans l’équipe de France par exemple certains sont d’origine sud-africaine ou viennent des îles Wallis et Futuna…)

Ainsi, tout comme le monde professionnel, qui compose avec une diversité structurelle grandissante (allongement des carrières, mixité des métiers, visibilité du handicap, flux migratoires, évolution de la structure familiale, …) et des appétences identitaires plus assumées, le rugby associe mixité sociale, culturelle et religieuse, miroir de notre société.

Ce sport favorise l’inclusion et l’échange en permettant à des joueurs très différents de se connecter et de sympathiser à travers une passion commune.

Ils arrivent avec leurs savoir-faire, leurs talents, leurs styles de jeu mais surtout leurs parcours, leurs racines, leurs coutumes et leurs traditions. Cette mosaïque confère au rugby une richesse unique qui favorise la compréhension interculturelle, l’enrichissement mutuel et la progression constante du rugby en tant que sport puisqu’en apprenant à travailler ensemble avec leurs différences au service du « projet » et de « leur mission » (ndlr : celle de gagner), les joueurs renforcent leur capacité à coopérer et intègrent constamment de nouvelles stratégies, de nouvelles techniques et de nouvelles approches de jeu.

L’entreprise, comme le rugby, est régie par une culture, des rituels et des codes explicites et implicites. Ils sont le ciment d’un partage et d’une cohésion qui renforcent le collectif. Il s’agit donc de construire et faire vivre une culture partagée.

Les collaborateurs, comme les joueurs, sont des individus singuliers, dans leur histoire de vie, dans leurs influences, dans leurs personnalités, dans leurs compétences et dans leurs motivations.

Les dynamiques d’inclusion naissent donc de cet équilibre primordial entre unicité et partage. Permettre aux individus d’exister sur le terrain ou dans l’entreprise avec leur singularité tout en adhérant à un projet et une culture commune. Pour faire vivre l’inclusion, il faut donc, comme au rugby, où le respect et le fair-play sont deux composantes essentielles, reconnaitre les identités et les contributions individuelles au travail, poser les bases d’un environnement de travail sain et respectueux qui accueille les singularités et développer la coopération. C’est ainsi que l’on pourra créer des environnements plus créatifs et plus engageants où chacun pourra pleinement s’épanouir, innover et contribuer à la réussite collective.

Développer l’agilité des joueurs

Le rugby est un sport qui se distingue par sa dynamique et son imprévisibilité, en raison de sa nature physique intense, de son jeu fluide, de la variété des actions, de la nécessité d’ajuster constamment la stratégie et de l’impact de la météo. Il s’agit donc d’un sport exigeant où l’adaptation continue à l’évolution de la situation sur le terrain est essentielle pour réussir :

  • D’abord, le rugby implique une variété d’actions telles que les passes, les courses, les coups de pied, les plaquages et les regroupements qui peuvent se tenir à différents endroits du terrain et à des moments inattendus. Ainsi, le jeu se déroule en continu de façon très rapide augmentant l’imprévisibilité du jeu et la difficulté à prédire la prochaine action, obligeant ainsi les joueurs à être constamment en mouvement, à anticiper les actions du camp adverse et à prendre des décisions rapides.
  • Ensuite, les équipes doivent en permanence ajuster leur stratégie en fonction de la situation de jeu du moment. Ainsi, si une équipe est en attaque, elle peut choisir entre différents schémas de jeu en fonction de la position du ballon, de la défense adverse et des opportunités qui se présentent. De même, en défense, les joueurs doivent évaluer les mouvements de l’adversaire et s’adapter en conséquence.
  • Le rugby est également un sport de chocs et de contacts avec un fort risque de blessures et de fatigue pour les joueurs. Aussi le poste de « remplaçant » est essentiel. Ils doivent se tenir prêt à apporter leur contribution à n’importe quel moment.
  • Enfin, les conditions météorologiques, comme la pluie, le vent et la boue, peuvent avoir un impact majeur sur la façon dont le jeu se déroule. Cela peut rendre le ballon glissant et plus difficile à contrôler, ce qui ajoute encore une couche supplémentaire de difficulté à la partie.

Ce besoin d’agilité trouve un écho tout particulier dans le monde du travail. En effet, chaque organisation évolue dans un écosystème en mutation, traversé par des transformations économiques, numériques, légales, culturelles et sociétales, nécessitant une adaptation continue et la prise en compte systématique de contraintes internes et externes dans les réflexions stratégiques.

Ainsi, tout projet est une somme de « petites » aventures dans lesquelles il est nécessaire de prédire ce qui peut l’être mais surtout de savoir réagir face aux complications.

En effet, pour répondre aux nouvelles attentes des marchés, de plus en plus concurrentielles, les entreprises redéfinissent constamment leur positionnement et ajustent leur stratégie, avec l’obligation, à chaque fois, de mobiliser ou remobiliser l’ensemble des collaborateurs.

Les individus sont donc au cœur des transformations. À la fois moteurs, acteurs et cibles , ils sont confrontés à une pluralité d’enjeux (développement de nouvelles compétences, élaboration des nouvelles modalités de travail, réorganisation) et doivent apprendre à se connaitre, à se maitriser, à interagir au sein d’un groupe et à dompter le retour d’expérience pour mener à bien un projet d’équipe et remporter les plus belles victoires dans des contextes de plus en plus incertains.

Comme au rugby, le facteur humain est donc la clef du succès et c’est en favorisant le jeu collectif, en valorisant la solidarité, en adoptant une communication structurée et impactante et en tirant partie des compétences et des talents variés de leurs collaborateurs que les organisations développent, face aux obstacles, leur capacité à atteindre les objectifs, relever les challenges et continuer de progresser sur le terrain.

Interroger le leadership et partager les responsabilités

Au rugby, le capitaine reste le leader principal, sur et en dehors du terrain, pour guider l’équipe vers la victoire. Il est généralement choisi pour son expérience, ses compétences en communication et sa capacité à inspirer et à motiver ses coéquipiers. Il est garant de l’application de la stratégie de jeu définie avec l’entraineur : il assure la coordination sur le terrain, il encourage la cohésion entre les joueurs et prend les décisions en temps réel sur les choix tactiques lors des matchs.

Néanmoins, le rugby enseigne surtout l’humilité et le leadership est souvent partagé. D’abord, parce que la victoire ne va pas de soi mais surtout parce qu’elle ne peut être le résultat de la contribution que d’une seule personne. Ainsi, d’autres joueurs peuvent incarner un leadership complémentaire et ponctuel :

  • En raison des différentes responsabilités et rôles des joueurs de la ligne avant (avants) et de la ligne arrière (trois-quarts), il est courant d’avoir des leaders spécifiques dans chaque groupe. Les avants peuvent avoir leur propre leader pour guider la tactique dans les phases de conquête, tandis que les trois-quarts peuvent avoir leur propre leader pour coordonner les phases d’attaques et les mouvements offensifs.
  • Les joueurs expérimentés et chevronnés qui ont passé de nombreuses saisons au sein de l’équipe peuvent également jouer un rôle de leadership en apportant leur sagesse, leur connaissance du jeu et leur expérience pour guider les joueurs moins expérimentés.
  • Il arrive que certains joueurs soient des leaders naturels car ils disposent de compétences spécifiques au jeu. Par exemple, un joueur se démarquant lors des pénalités et des transformations peut être écouté et respecté par l’équipe lors de moments cruciaux.
  • Enfin, de jeunes joueurs prometteurs peuvent également montrer des signes de leadership émergeant, et les entraîneurs et les coéquipiers peuvent les encourager à développer davantage ces qualités en les poussant à s’exprimer pour prendre une place plus importante à un moment donné.

Ce leadership partagé, s’il est bien coordonné pour éviter toute forme de confusion ou de conflit, augmente l’efficacité globale de l’équipe et permet, par exemple, de répartir la pression et les responsabilités entre les joueurs pendant les matchs importants.

Au travail, le leadership aussi est de plus en plus contextuel, dynamique et partagé. Pour un temps donné, dans une situation donnée, chacun en fonction de ses capacités peut prendre la place de leader, être reconnu comme tel par les autres et mettre en mouvement le collectif.

Le leadership et la responsabilité partagée sont des atouts majeurs pour une gestion efficace des projets. En favorisant un leadership inclusif, en impliquant les équipes dans les décisions, en développant l’autonomie et le partage de responsabilité, et en reconnaissant les efforts et les contributions individuelles pour reconnaitre les résultats du collectif, les managers aident leurs équipes à donner le meilleur d’elles-mêmes et renforcent le sentiment d’appartenance des individus.

Inspirant non ? Nous espérons que l’énergie positive du rugby vous aura donné envie de continuer à progresser sur le terrain professionnel en développant les relations, en reconnaissant les efforts, les identités et les compétences et en assurant partout les conditions de l’agilité et de la qualité de vie au travail. 

PS : Il ne nous reste plus qu’à envoyer un maximum de bonnes ondes au XV de France… Allez les Bleus !!!

Charlotte Ringrave

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