« C’est la visibilité qui contribue à faire évoluer notre société pour la rendre plus accessible », Philippe Croizon, athlète quadri-amputé

Figure emblématique du sport inclusif, Philippe Croizon se décrit avant tout comme un aventurier. Et peu importe qu’il enfile sa casquette de conférencier, d’entrepreneur, ou qu’il traverse la manche à la nage, l’athlète quadri amputé fonce toujours avec la même détermination… Sans jamais manquer d’optimisme. Plusieurs mois après la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques, on fait le bilan.

Cette dernière année a marqué une période exceptionnelle pour le sport inclusif. Comment avez-vous perçu les Jeux paralympiques ?

Comme une grande claque dont on avait besoin ! Douze ans après les Jeux Paralympiques de Londres, cette compétition a remis de la lumière sur le handicap en Europe et nous a réinterrogé sur la perception que le pays en avait. Parce qu’à mon sens ce n’est pas nous qui sommes en situation de handicap mais bien la société. Si cette dernière était adaptée alors je ne serais pas en situation de handicap, je serai un citoyen comme tout le monde. Moi j’aime dire que je fais partie des personnes capables autrement. Et aujourd’hui, les personnes capables autrement, vont à l’école, ont bac +3, bac +5 ou alors ont une formation et veulent vivre du fruit de leur travail. Elles veulent être autonomes et ne plus dépendre de la société. J’espère que les Jeux paralympiques ont contribué à modifier ce regard.

Pour sensibiliser, faut-il que le handicap soit extraordinaire ?

Dans notre société, c’est un fait, la performance est prioritaire. Aussi, je pense que c’est par ce prisme qu’il faut mettre le handicap en avant… Pour ensuite en montrer les nuances et la pluralité des réalités. Car les para athlètes ce sont 10% des personnes handicapées. Le reste vit en dessous du seuil de pauvreté, les parents sont en difficultés avec leurs enfants car ils manquent d’aide etc. C’est une petite partie de l’iceberg que la compétition donne à voir mais c’est essentiel pour rendre le handicap visible aux yeux de tous.

Durant toute cette période, les marques ont été très engagées et ont beaucoup soutenues les para athlètes.  Cette visibilité est-elle nécessaire pour continuer à s’engager ?

Si le handicap dans notre société est un monde de silence, c’est aussi un monde de résilience. Et ça tombe bien, dans le contexte actuel on a besoin de cette résilience, on besoin de croire en quelque chose, de créer des héros en temps de paix. Les para athlètes ce sont les héros dont on a besoin pour faire du bien aux individus, pour les faire rêver, et ça les marques l’ont bien compris. Mais tant mieux à 1000%. Désormais les personnes handicapées apparaissent dans les publicités, on retrouve des personnes en fauteuil roulant ou avec une prothèse en premier plan. Les films aussi s’en emparent. Je pense récemment au film Un petit truc en plus et au succès qu’il a généré.  C’est cette visibilité qui contribue à faire évoluer notre société pour la rendre plus accessible.

Et dans le monde du travail, ça bouge aussi ?

Des lois ont été créées pour faciliter l’accès à l’emploi et les choses bougent doucement. Alors les grosses entreprises elles, sont soumises à plus de réglementations, notamment les missions handicap qui favorisent les politiques d’égalité… On retrouve une plus grande pédagogie sur ces sujets et donc une meilleure insertion. Mais dans les TPE PME ça bouge encore trop peu. Ce sont vers ces structures qu’il faut se tourner désormais. Il est là le bassin d’emploi ! On entend tous ces gens qui manquent de bras. Or j’ai tous mes petits camarades d’infortune qui eux rêvent d’en faire partie.

Comment analysez-vous ce retard ?

Par manque d’information surtout ! Les chefs d’entreprise des TPE, des PME n’ont pas le temps de se renseigner, ont la tête dans le guidon et ne connaissent pas forcément les droits aux aides, l’impact positif sur l’organisation etc. Et dans ce secteur, le handicap peut encore être perçu comme quelque chose de non compétitif, une perte de marché, et c’est normal puisque la société n’éduque pas à ces sujets. Alors c’est à nous de les accompagner, d’aller vers eux parce qu’il y a vraiment un gros marché sur l’emploi. Mais pour arriver à changer le regard de l’entreprise de manière à ce qu’elle embauche des personnes handicapées, il faut communiquer davantage sur l’accès à l’emploi. Pour que ces deux mondes se regardent et arrêtent enfin d’avoir peur l’un de l’autre.

Avez-vous un dernier conseil à donner aux chefs d’entreprise pour les encourager dans cette voie ?

Osez ! Dans les centaines de conférences que je fais à l’année, 95% d’entre elles sont à destination des entreprises. Et j’en vois plein des entreprises qui ont osé, qui ont fait confiance et qui sont aujourd’hui enchantées. Moi cette confiance on me l’a accordée, quand j’ai voulu traverser la manche, j’avais 40 ans, je n’avais jamais été sportif de ma vie, le taux de réussite des personnes valides est de 10% seulement. J’ai monté une équipe et c’est la confiance qu’on m’a accordée qui m’a donné la force d’aller au bout. Accordez la confiance à ces personnes capables autrement et vous allez être surpris. Ainsi, vous allez montrer à votre entreprise, à vos collaborateurs, à vos clients, à vos fournisseurs, que votre entreprise s’adapte au monde d’aujourd’hui et qu’elle est capable d’avancer sans laisser personne de côté.

Propos recueillis par Elise Assibat  

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