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« Il faut absolument que les aidants se déculpabilisent ! Ils ne sont pas des surhommes et des surfemmes »

Interview de Christine Lamidel
Fondatrice de Tilia

Pourquoi pour s’engager et aider les autres, les aidants doivent-ils avant tout se sentir bien eux-mêmes ? C’est pour répondre à l’enjeu de taille qu’est l’accompagnement que l’initiative Tilia a vu le jour en 2018, en tant que filiale de BNP Paribas Personal Finance.

L’objectif de cette « plateforme d’accompagnement digitale couplée à des assistants personnels humains » est de soutenir les aidants dans le bien-vivre et bien-vieillir à domicile de leurs proches, quelle que soit leur fragilité… et sans pour autant se perdre dans le sur-engagement. 

Pour comprendre en quoi pour aider les autres, il faut d’abord pouvoir s’aider soi-même, quoi de mieux qu’un échange avec Christine Lamidel, fondatrice et Directrice Générale de Tilia ? Décryptage d’une course vers l’engagement raisonné avec celle qui a réussi à faire de son expérience d’aidante une vraie force. 

Avant tout, que vous inspire cette question : « pour s’engager et aider les autres, les aidant.e.s doivent-ils·elles avant tout se sentir bien eux.elles-mêmes » ?

C’est un très très bon angle ! Je n’ai de cesse, en webinar de sensibilisation, de demander à mon auditoire : « Si vous ne vous aidez pas vous-même et que vous n’êtes plus là, qui prendra soin de votre proche ? » Cette question peut faire l’effet d’un électrochoc… surtout parce qu’elle est alignée sur les statistiques actuelles. Par exemple, concernant l’accompagnement des proches fragilisés – plutôt sur le grand âge -, un aidant sur trois ne survit pas à son proche.

Comment expliquez-vous cette donnée ?

En tant qu’aidant, ce qu’on veut avant tout, c’est le bien-être de son proche fragilisé… mais à quel prix ? Souvent, les aidants négligent leur propre santé physique et psychique. Par exemple, ils ne vont pas forcément aux rendez-vous médicaux pour eux-même. Ils s’oublient.

Selon vous, pourquoi les aidant.e.s sont nombreux.ses à s’engager auprès de leurs proches, au point de se mettre en second plan ?

Pour moi, il y a un déni de la situation d’aidant et une méconnaissance de ce statut. Lorsqu’on est parent d’un enfant en situation de handicap ou malade, cela nous semble tellement naturel de l’accompagner au quotidien, qu’on ne se considère aucunement comme « aidant ». C’est aussi bien le propre d’un parent de prendre soin de ses enfants… que d’un enfant de prendre soin de ses parents lorsqu’ils vieillissent ! À tel point que beaucoup d’aidants ont l’impression de devenir les parents de leurs propres parents.

Comment peut-on ne pas réaliser l’ampleur d’une telle responsabilité en tant qu’aidant.e ?

C’est un peu insidieux : quand on entre dans le rôle d’aidant, c’est suite à une rupture de vie (annonce d’un diagnostic, d’un handicap, d’un accident, etc.). Soit ça dure, soit c’est ponctuel. Souvent, on a le réflexe de se dire : « ça va être un moment difficile et la vie normale reprendra », sauf que les situations peuvent aussi s’aggraver au fur et à mesure, comme dans le cas de la perte d’autonomie d’un parent âgé. L’aide peut s’intégrer dans le quotidien, à tel point qu’on ne se rend plus compte de l’étendue de nos actions. Dans le cas où l’on réalise qu’on est enseveli sous le poids de la responsabilité, on peut aussi culpabiliser à l’idée de demander de l’aide… On devient alors incapable de dire « stop, là, j’ai besoin d’être aidé » !

En quoi reconnaître le statut de « proche aidant.e » peut-il aider les aidant.es ?

Tout d’abord, « proche aidant » est quelqu’un qui prend soin d’une personne fragilisée  à une fréquence récurrente, – voire quasi quotidienne – pour l’aider à vivre normalement (soin physique, médicaments, courses, compagnie, etc.). Cela peut être un membre de sa famille, mais aussi un voisin ou un ami. Le fait de reconnaître le statut des « proches aidants » permet de délimiter leur rôle et l’ampleur de leur responsabilité. 

En identifiant le temps et la charge mentale que nécessitent l’aide, ainsi que ses conséquences sur notre vie personnelle et professionnelle, on peut estimer ses besoins éventuels d’être soutenu en tant qu’aidant. Ainsi, on évite les risques de sur-engagement et on se préserve physiquement (stress physique, fatigue, etc.) et mentalement (stress psychologique, charge mentale, gestion du temps, équilibre vie d’aidant, vie personnelle et vie professionnelle, etc.). 

Quelles conséquences de cette reconnaissance, de ce soutien aux aidant.es sur leurs proches fragilisés ?

A partir du moment où le proche aidant est soutenu, plus disponible et tranquillisé, la personne fragilisée pourra peut-être se sentir moins coupable d’imposer autant de charge mentale et de travail à son proche. De plus, le fait de déléguer certains actes du quotidien à différents auxiliaires de vie et professionnels de santé permet de rééquilibrer la relation : le rôle presque professionnel du service à la personne et du maintien à domicile que le proche aidant endossait seul jusque-là peut progressivement se transformer en rôle d’aimant, dont la mission principale est d’apporter de l’amour à son proche fragilisé. On passe d’une relation principalement liée à la contrainte (organisation minutieuse, voire militaire du quotidien), à une relation davantage basée sur le lien familial, d’amitié, d’amour.

Côté aidants, en quoi leur travail peut-il être impacté par leur rôle d’accompagnant s’ils ne se font pas aider à leur tour ?

C’est souvent difficile pour les aidants d’être sur tous les fronts. Leur activité d’aidant peut vite impacter leur activité professionnelle. Par exemple, s’il leur arrive souvent de devoir prendre un jour de congé du jour au lendemain pour accompagner leur proche malade en rendez-vous médical, le reste de leur équipe peut être un peu chamboulée dans son organisation : sa charge de travail peut être répercutée sur ses collègues, son manager peut avoir du mal à gérer les absences fréquentes ou pas toujours anticipées… 

Le salarié aidant, lui, peut être amené à culpabiliser, en souhaitant à la fois être au chevet de son proche et assurer son travail, notamment vis-à-vis de son équipe. Autrement dit, tout l’écosystème de l’entreprise est impacté par ce genre de situation. De plus, il faut savoir que 53% des aidants sont des cadres, 53% sont dans l’entreprise depuis plus de 10 ans et 50% aident un enfant ou conjoint malade ou en situation de handicap ! Cela signifie que ce n’est pas seulement le sujet des collaborateurs en fin de carrière qui s’occupent d’un parent âgé, mais que ça touche bien tout le monde, à tous les niveaux.

Comment reconnaître le sur-engagement d’un.e salarié.e aidant.e en tant que manager ?

Il y a clairement des signaux faibles du sur-engagement à ne pas ignorer ! Il s’agit souvent d’un changement de comportement au travail : les absences répétées, les départs anticipés de manière récurrente, un manque de concentration, de motivation, un travail de qualité moindre, des signes de fatigue, de contrariété, sont autant de « warnings » à ne pas négliger. Ces derniers peuvent témoigner d’un problème personnel chez un collaborateur, qui peut être notamment être une situation d’aidance trop lourde à gérer. Le fait d’être attentif à ce genre de changements est déjà le réflexe qu’un bon manager devrait avoir dans la gestion humaine de ses équipes. Tout l’enjeu réside dans la relation que le manager a mis en place avec ses collaborateurs, pour qu’ils se sentent libres de partager leur vie personnelle – et donc leur potentiel rôle de proche aidant – à minima avec lui. 

En quoi les entreprises ont-elles un rôle à jouer auprès de leur.e.s salarié.es aidant.es ?

Potentiellement, aujourd’hui, tout le monde peut se retrouver en situation de fragilité, encore plus dans cette période de crise pandémique, où les frontières entre la vie personnelle et professionnelle sont de plus en plus fines. Quand, en temps « normal », 20% des collaborateurs sont aidants, l’entreprise à une vraie responsabilité dans leur accompagnement. Elle doit absolument être capable de reconnaître le statut de ses salariés aidants, et le fait que cela représente un travail, une mission de vie supplémentaire. Cela fait partie de la responsabilité sociale de l’entreprise, qui doit savoir prévenir et faire face aux risques psycho-sociaux liés à un sur-engagement (épuisement, stress accru, accidents du travail, etc.) de ses collaborateurs, d’autant plus fréquents chez les salariés aidants.

Concrètement, comment les entreprises peuvent-elles aider leurs salarié.es aidant.es ?

Les entreprises peuvent à la fois les aider à s’organiser, à les soulager, en leur proposant par exemple de prendre en charge leur abonnement au dispositif digital et humain qu’est Tilia. Mais avant toute chose, leur rôle consiste à non seulement reconnaître, mais aussi à valoriser leur engagement. C’est pour cela que chez Tilia, nous passons beaucoup de temps à sensibiliser les entreprises, pour que leurs dirigeants, ressources humaines, managers et collaborateurs mettent en lumière les aidants, au lieu de les stigmatiser. Ces derniers devraient être fiers, et non pas cacher ce rôle noble qu’ils endossent. Pour autant, nombreux sont ceux qui ont peur d’être discriminés, mis de côté pour une évolution professionnelle, certains projets à responsabilité. Et bien que certains aient à s’absenter régulièrement par exemple, ils développent aussi, à travers leur accompagnement, des soft-skills, tels qu’une meilleure gestion de leur temps et de leur stress, particulièrement attendues en entreprise. Nous faisons ce travail de pédagogie, d’acculturation et de conduite du changement pour éviter que les aidants soient jugés, voire délaissés par leur entreprise ou taisent leur situation, au point de se retrouver à leur tour dans la posture de leurs proches fragilisés !

En quoi soutenir les salariés aidants est-il encore plus actuel en pleine pandémie ?

Dès la première vague du coronavirus, les auxiliaires de vie se sont de moins en moins rendus à domicile. Résultat, les aidants ont presque dû devenir des professionnels du soin et réaliser des actes que seuls ces derniers sont censés réaliser en temps normal (donner des médicaments, faire des injections, s’occuper de la toilette intime de leurs proches, etc.). Dans le même sens, puisqu’il a fallu libérer de nombreux lits pour les malades du Covid-19, nombreux sont ceux qui ont dû accueillir leurs proches fragilisés chez eux, sans forcément y être préparés ! 

Alors, bien qu’aujourd’hui, les ressources humaines aient d’autres priorités que l’accompagnement des salariés aidants (faire en sorte que l’activité de leur entreprise continue, organiser le télétravail des équipes, etc.), ils ne doivent pas oublier que les proches aidants ont d’autant plus besoin de maintenir un lien social, une activité qui les sorte de leur quotidien d’aidant, pour éviter leur propre précarisation et isolement social, accrus avec le télétravail de plus en plus généralisé… Être tenu d’être efficace dans son travail, alors qu’on doit s’occuper de quelqu’un au quotidien chez soi, c’est ingérable ! Si on ajoute à cela l’école à la maison, on ne s’en sort plus. 

Avez-vous un dernier message à transmettre aux aidants ?

Oui, il faut absolument que les aidants se déculpabilisent ! Ils ne sont pas des surhommes et des surfemmes… Malheureusement, ils  ne peuvent pas être partout, tout endosser : ils doivent accepter d’être aidés. Cela ne signifie pas qu’ils deviennent assistés à leur tour, mais qu’on leur donne un petit coup de pouce ! C’est un gain de temps, un peu de tranquillité d’esprit… mais pour ça, il faut savoir  accepter d’être aidé, lever l’idée selon laquelle on est un moins bon aidant à partir du moment où l’on se fait accompagner. Ce n’est pas parce qu’un proche aidant fait appel à un service tiers pour se soulager qu’il tourne le dos à son rôle d’aidant ! Bien au contraire, le tout, c’est de savoir aider tout en pensant à soi, en se préservant, pour le bénéfice de son proche et de soi ! 

Propos recueillis par Anaïs Koopman

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