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Radicalisation : La djihadiste, femme de pouvoir ?

Quand cessera-t-on de sous-estimer la gent féminine ? Même dans le traitement de la radicalisation, les femmes sont souvent écartées d’office d’un rôle actif, parfois moteur. Considérées systématiquement comme des victimes, sous l’emprise de leur mari ou de toute autre figure masculine, nombre d’entre elles ont en effet été disculpées arbitrairement du système judiciaire français, alors qu’elles étaient pourtant actrices de leurs choix.

De la victime à l’actrice

Anne Kostomaroff, en poste à la section antiterroriste du parquet de Paris entre 2005 et 2010, rapporte toute la « difficulté (…) à faire comprendre aux juges la place prépondérante, voire déterminante, qu’occupent parfois ces femmes, dont certaines instruites et charismatiques, auprès de nombre de jihadistes ».

Et pourtant … en 2017, sur les 13 000 signalements de radicalisation en France, 27,5% sont des femmes. Une proportion qui augmente d’ailleurs chez les mineures : elles passeraient à 49%. Sur le théâtre syrio-irakien, elles ne seraient pas moins de 290 femmes, soit près de la moitié du contingent français !

Alors comment expliquer ce biais de genre, forme de traitement préférentiel qui les prive de leur libre arbitre ? Notre prisme est tellement éloigné de celui de l’État islamique que l’incompréhension nous empêche de percevoir les intérêts que ces femmes peuvent trouver dans une telle idéologie radicale. C’est en partie ce qui alimente un jugement sexiste, nous poussant à les appréhender en tant que victimes plutôt qu’en tant qu’actrices décisionnaires, et tout aussi responsables qu’un homme. À l’instar de Safya, une « revenante » interviewée par le journaliste David Thomson, il nous faut saisir que « C’est elles qui sont parties en Syrie, c’est elles qui l’ont voulu ».

Le voile et le mari combattant : symboles d’oppression ou de pouvoir ?

Qu’est-ce qui peut pousser une femme à rejoindre une société tristement terroriste ? Que peut bien lui apporter cet environnement qui l’enjoint de se couvrir entièrement et d’épouser un homme dont l’ultime ambition est de se suicider ? Si l’on ne peut pas établir de généralités sur les parcours de radicalisation de chacune, force est de constater que le modèle sociétal de Daesh fait miroiter aux femmes une forme de pouvoir statutaire ainsi qu’un certain confort matériel.

La chercheuse Fatima Lahnait explique que le départ en Syrie de nombreuses adolescentes est motivé par une quête d’amour, liée à un tabou du sexe dans leurs familles qu’elles n’osent pas transgresser. Ceci les rend donc sensibles aux discours propagandistes du type « Vous pouvez épouser un musulman, c’est légitime et licite. Si en plus c’est un combattant de Daesh, c’est encore mieux car s’il meurt, il devient martyr. Vous seriez alors l’épouse d’un martyr, auréolées d’un statut très attractif[4] ». N’étant elles-mêmes pas autorisées à mourir en martyr, le jihad de leur mari devient par extension leur voie d’accès au paradis.

Le voile fait l’objet d’innombrables controverses en France, notamment à cause des divergences culturelles que son port sous-tend. Alors que penser du niqab, sa version intégrale qui ne laisse transparaître que le regard de sa propriétaire ?

S’il est ici perçu comme l’instrument d’un asservissement de la femme et de son corps, les nombreux témoignages rapportés permettent de comprendre que certaines choisissent de le porter pour accéder à un pouvoir symbolique. En effet, c’est une façon pour elles d’asseoir une respectabilité dans la communauté doublée d’une légitimité morale qui les rapproche de leur conception de Dieu. Pour d’autres, c’est un moyen de pallier aux discriminations physiques, maux d’une société occidentale superficielle obnubilée par le paraître, comme le ferait un simple uniforme scolaire. Le témoignage de Safya corrobore tout à fait avec cet angle de vue :

Ça (le niqab) casse les barrières du jugement.

En France, on va toujours vous juger selon votre apparence physique.

Je me suis dit dans un Etat islamique où on est toutes voilées de la tête aux pieds, où on ne regarde pas comment la personne est foutue, quels vêtements de marque elle porte, on est tous égaux par rapport à ce vêtement-là.

Quand les pénuries, les conditions d’accouchement et les dommages de guerre ne les exposent pas à des complications sanitaires graves, les femmes jouissent d’un certain confort de vie en terre de « Sham ». Rémunérées sans avoir à travailler, ces dernières semblent en effet coupées de la réalité syrienne. Ce que confirme les dires de Safya :

Franchement, ouais j’étais bien chez l’Etat islamique.

J’étais avec mon mari, on avait notre propre appartement, on manquait de rien.

En tant que femme, j’avais tout ce qui est vêtements, parfums, donc c’était parfait.

Ledit appartement, très spacieux, appartenait en fait à un professeur en sciences islamiques qui n’adhérait pas à l’idéologie terroriste. Ce dernier, dénoncé comme un apostat, exproprié d’urgence, a dans son exode été forcé de laisser derrière lui ses photos et tous ses autres biens personnels.

Un rôle très actif au sein de la société terroriste

Comme tout être humain, les femmes occidentales radicalisées sont en quête d’un sentiment d’appartenance et cherchent à répondre à un besoin de participer à la co-construction du monde. On peut alors s’interroger sur les rôles que leur offre l’état autoproclamé, caractérisé par son machisme. Bien que loin de la conception égalitaire des combattantes peshmergas, les femmes qui rejoignent l’Irak et la Syrie pour grossir les rangs de Daesh ne se sentent pas moins utiles à l’organisation qu’elles partent servir.

Une fabrique de futurs combattants

Pour Daesh, la fonction première des femmes est d’enfanter les « lionceaux du califat », ou plus exactement sa chair à canon. Dès l’âge de 7 ou 8 ans en effet, ces derniers sont en mesure de porter une kalachnikov et peuvent par conséquent participer au muaskar, c’est-à-dire l’entraînement militaire. C’est ainsi que pour ces mères, le jihad peut s’apparenter au peuplement du califat et à la production des futurs combattants. Selon les chiffres des autorités françaises, sur les 420 enfants français actuellement sur zone, un tiers d’entre eux seraient nés là-bas, ce qui amène l’auteur des « Revenants » à établir l’inquiétant constat que « c’est la première fois dans l’histoire du jihadisme contemporain que des enfants naissent et sont socialisés dans cette idéologie ».

Une police des mœurs zélée

Certaines femmes de Daesh sont, comme leurs maris, le visage d’une répression brutale. Étant donné que les hommes n’ont pas le droit de fouiller les femmes, des brigades féminines, rémunérées et armées, se sont constituées au sein de la police des mœurs de l’EI. Leurs missions ? Patrouiller la ville, contrôler le respect de la charia et persécuter leurs « sœurs ». D’une réputation extrêmement sévère, ces femmes sont redoutées et haïes par la population locale. Comme le rapporte Haya Al Hali, opposante au régime de Bachal Al-Assad et à Daesh, réfugiée politique en France :

« Les femmes de Daesh se comportent exactement comme les hommes, elles fouettent les autres femmes, leur mettent des contraventions pour n’importe quelles infractions. Si une femme commet un délit, la brigade des femmes la traîne de force dans une voiture et l’emmène en prison, où elle sera fouettée. »

Une influence déterminante

De fait, de nombreuses figures féminines radicalisées ont déjà fait couler quantité d’encre dans nos faits divers, autant de cas illustrant le pouvoir de mobilisation et de nuisance de ces femmes influentes. Citons notamment :

  • Saliha Lebik, première femme interpellée en 2002 pour sa participation présumée dans les filières tchétchène d’acheminement de combattants. Elle comparaît devant le Tribunal Correctionnel de Paris en 2006 : alors que son mari, Mérouane Benhamed, est condamné à 10 ans d’emprisonnement, elle, est relaxée. Bien que selon l’arrêt de la cour d’appel de Paris, Saliha Lebik revendiquait une « très bonne connaissance de l’islam, supérieure » à celle de son mari, à qui elle donnait « une éducation religieuse », tout en « prenant soin d’adapter sa prédication à la personnalité de la personne qui se trouve en face d’elle », l’injuste clémence accordée à l’innocente présumée illustre à merveille la cécité de l’appareil judiciaire français d’alors.
  • Malika el-Aroud, la première femme occidentale jihadiste à se faire une légende. La « Veuve noire du jihad », femme de l’assassin du commandant Massoud et auteure des non moins célèbres Soldats de Lumière est en prison depuis 2010 pour diffusion de l’idéologie terroriste.
  • Hayat Boumeddiene, compagne et complice du terroriste Amedy Coulibaly. Celle qui serait perçue dans les rangs de l’EI comme un modèle pour les femmes de djihadistes aurait eu selon un proche de Coulibaly « un ascendant sur lui. Il était fou amoureux d’elle, il jouait son rôle pour elle». Le témoignage d’une de ses anciennes éducatrices souligne également toute la responsabilité d’Hayat Boumediene : « C’était une dominatrice et, si elle avait choisi Amedy Coulibaly comme époux, c’était qu’elle savait pouvoir obtenir ce qu’elle voulait de lui ».

Vers un statut de combattante ?

Si les femmes ne sont aujourd’hui pas autorisées à s’engager dans la lutte armée, car cela ferait d’elles l’égale des hommes, elles y aspirent néanmoins. Et la donne pourrait bientôt changer. Lena, une autre « revenante », explique que des camps d’entraînement pour femmes étaient mis en place au moment de son départ de l’EI, fin 2015 :

« Les femmes sont entraînées. (…) C’est sûr qu’elles vont avoir l’autorisation. Il va manquer de plus en plus d’hommes, les frontières commencent à être bien fermées (…) Il faut pouvoir les remplacer, ces hommes. »

Même au sein de cette société profondément clivée, le rôle des femmes évolue. Elles aussi peuvent maintenant rêver d’attentats funestes. Le démantèlement en septembre 2016 d’un commando terroriste exclusivement composé de femmes dans l’Essonne a d’ailleurs défrayé la chronique, amenant le procureur de Paris à conscientiser que « la vision de femmes confinées à des tâches familiales et domestiques au sein de l’EI est largement dépassée ».

Réattribuer une responsabilité pleine et entière aux femmes radicalisées

Comme le souligne le journaliste David Thomson :  « jusqu’au printemps 2016, les femmes jihadistes n’étaient pas perçues comme une menace pour la sécurité nationale ». Cette prise de conscience tardive met en lumière le besoin de s’affranchir d’un biais de perception issu des luttes féministes des années 1950. Cette grille de lecture en partie obsolète a en effet participé à transposer la vision d’une condition féminine victime du patriarcat à une époque où les enjeux ont changé. Si l’émancipation s’opérait nécessairement par le biais du travail, comme c’est toujours le cas pour certaines, pour d’autres il s’agit d’y échapper. La maternité, comme le voile et le mariage, ne sont en outre pas à considérer systématiquement comme l’instrument d’une soumission.

Il est ainsi crucial de repenser l’analyse du phénomène pour comprendre que les radicalisées sont tout autant en capacité de s’approprier un discours et de s’endoctriner que leurs homologues masculins. C’est en effet un prérequis indispensable afin d’adapter les actions de prévention et de répression, qui relèvent certes de la responsabilité de l’état, mais qui mobilise aussi tous les acteurs de la société civile.

Valentine Poisson & Parwa Mounoussamy

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