En 2024, 24 % des Français déclaraient faire partie d’une association. Et si les 24% d’entre eux regroupent en majorité des bénévoles qui s’engagent « librement pour mener une action non salariée (…) en dehors de leur temps professionnel et familial », le secteur associatif est un écosystème bien particulier. Il se distingue notamment par son fonctionnement unique qui réunit des acteurs aux statuts variés : des adhérents, militants, bénévoles, volontaires… Aussi bien que des salariés. De quoi redoubler d’attention pour parvenir à tous les mobiliser. Alors comment articuler le management des salariés et des bénévoles au sein d’une association ?
Une différence de statut non négligeable
Si les associations ont la particularité de mobiliser le travail de principalement deux catégories d’acteurs —bénévoles et salariés — les différences entre ces deux groupes au sein du marché du travail associatif sont significatives :
- Un cadre juridique
Une distinction majeure entre salariés et bénévoles réside dans leur encadrement juridique. Les salariés sont soumis au Code du travail, qui définit précisément leurs droits et obligations à travers un contrat de travail. Ce contrat structure leur relation à l’employeur, avec une rémunération, une subordination hiérarchique et l’obligation pour l’employeur de leur fournir du travail. À l’inverse, le bénévolat ne bénéficie d’aucune définition juridique stricte. Il repose sur une logique de don, perçue comme un engagement sans contrepartie.
Bien que dans les faits, le bénévolat constitue une ressource essentielle pour les associations, ce don de temps souvent présenté comme désintéressé représente une contribution productive indispensable. Ainsi, l’absence de cadre contractuel marque une différence fondamentale entre les deux statuts, renforçant l’idée que le bénévolat échappe à une logique de rétribution ou de subordination formelle.
- La comptabilisation dans le PIB
Le Produit Intérieur Brut (PIB), principal outil de mesure de la richesse d’un pays, ne prend pas en compte le bénévolat. Comme le travail domestique, ce dernier est exclu des calculs car il n’implique pas de transaction monétaire, bien qu’il contribue à la production de biens et services essentiels. Il s’agit là d’une approche qui limite la reconnaissance du bénévolat comme une véritable activité génératrice de richesse, reléguant ce travail à l’invisibilité économique.
Cependant, de plus en plus d’études démontrent que le travail bénévole constitue une ressource productive majeure pour les associations, dont le poids économique commence à être mieux mesuré. Également, des sociologues tels que Dominique Méda, soulignent que cette invisibilisation reflète une vision réductrice de la richesse, centrée uniquement sur la sphère marchande, au détriment d’activités non rémunérées mais indispensables.
- Le choix
Le bénévolat se distingue du salariat par la liberté intrinsèque qu’il confère : il s’agit d’une activité choisie, où l’individu est libre de s’engager ou non, mais également de définir les modalités de son action. Cela inclut le choix du lieu, du moment, de l’objet et de la manière d’intervenir, une autonomie quasi totale que le cadre salarié, souvent contraint par des normes et des hiérarchies, ne permet pas. Cette caractéristique est essentielle et marque profondément la nature du bénévolat.
Il n’en reste pas moins que cette liberté d’action conduit souvent à une perception erronée des bénévoles comme des « amateurs », par opposition aux salariés considérés comme des « professionnels ». Si cette distinction semble dévalorisante aux premiers abords, il parait pertinent de rappeler que dans son sens premier, le terme « amateur » renvoie à « celui qui aime ». L’amateur agit par passion et non par obligation, une dimension qui confère au bénévolat une richesse et un sens parfois absents du travail rémunéré. Cette passion ne signifie donc pas pour autant une absence de compétence ou de qualification, mais souligne une autre forme de rapport au travail, fondé sur le plaisir et l’engagement volontaire plutôt que sur une obligation contractuelle.
Par ailleurs, il arrive que cette distinction perçue entre bénévoles et salariés, notamment dans des associations où les tâches des bénévoles sont plus laborieuses que celles des salariés, nourrisse des tensions. Cela illustre l’importance de travailler la reconnaissance mutuelle et l’articulation entre les rôles pour éviter ce type de frustrations.
Alors quelle réponse adopter face à ces différences de statut ?
Ces trois aspects influencent directement la manière dont salariés et bénévoles perçoivent et vivent leur activité. Le salariat, encadré par des règles formelles et un contrat de travail, impose une relation au travail structurée par des obligations et des droits précis. À l’opposé, le bénévolat repose sur une liberté d’engagement qui permet une relation plus autonome, souvent guidée par des motivations personnelles ou des objectifs collectifs. Il offre ainsi une pluralité de significations et d’usages, selon les aspirations de ceux qui s’y engagent : un levier d’insertion professionnelle favorisant l’employabilité pour certains, une pratique militante porteuse de changements sociétaux pour d’autres… Pour autant, leurs attentes sont-elles si éloignées ?
La réponse est non ! Car si une pluralité de conditions les sépare, de nombreuses les réunissent. Qu’ils soient bénévoles ou salariés, ces acteurs font face à des enjeux similaires, tant opérationnels, relationnels ou liés au sens qu’ils donnent à leur action. Rémunérés ou non, ce sont deux types d’acteurs qui participent à une activité productive et transformatrice qui relève pleinement de ce que l’on peut qualifier de « travail ». De fait, un certain nombre de besoins ne peuvent que converger.
Face aux besoins des individus confondus, des attentes partagées
Les études, qu’il s’agisse de celles menées à travers l’European Values Study, de l’International Social Survey Programme (ISSP) ou les enquêtes nationales comme celles synthétisées dans La France bénévole 2024, témoignent de similitudes importantes entre les attentes des salariés et des bénévoles vis-à-vis de leur activité. Et chacune d’entre elles met en lumière des dimensions communes dites intrinsèques ou post-matérialistes du travail et de l’engagement bénévole. Le besoin de se réaliser, d’apprendre, de réussir des projets, et de contribuer à une utilité sociale… Autant de motivations qui vont bien au-delà de la seule rémunération pour les salariés, ou de l’altruisme pour les bénévoles.
Pour comprendre ce que les individus recherchent dans leur activité, indépendamment de leur statut, les travaux de Marie Jahoda offrent des clés essentielles ! Au-delà de la rémunération, la psychologue sociale identifie cinq fonctions latentes du travail : structurer le temps, créer du lien social, développer des compétences, construire une identité et favoriser la flexibilité psychique. Ces dimensions, qui touchent autant les salariés que les bénévoles, sont fondamentales pour donner du sens à leur engagement. Ainsi, la distinction entre bénévolat et salariat ne fait pas obstacle à l’existence de besoins et de motivations communes, enracinées dans la nature humaine et dans notre rapport collectif au travail. Alors, quelles stratégies de management adopter pour répondre à ces besoins fondamentaux ?
5 conseils pour répondre aux enjeux de management
Ainsi, lorsqu’il s’agit de réfléchir au management de ces acteurs, il paraît essentiel de revenir à ces besoins fondamentaux et transversaux. Satisfaire ces attentes communes — en termes de reconnaissance, d’acquisition de compétences ou d’épanouissement — est une clé pour fédérer ces publics et pour renforcer leur engagement dans un projet commun.
Voici quelques pistes pour accompagner et renforcer l’engagement des bénévoles comme celui des salariés :
- Améliorer les relations entre collègues, entre bénévoles mais également entre salariés et bénévoles : Favoriser des moments d’échange collectif, que ce soit sous forme de réunions régulières, d’ateliers collaboratifs ou d’événements sociaux. Ces actions renforcent la dynamique de groupe, favorisent l’entraide et permettent de créer un environnement de travail ou d’engagement plus harmonieux, quel que soit son statut.
- Concevoir un parcours d’intégration et de montée en compétences adapté dès le départ : Créer des parcours d’intégration adaptés à chaque type d’acteur. Pour les salariés, cela peut inclure des formations métier et des présentations de l’organisation. Pour les bénévoles, un kit d’accueil comprenant une introduction à l’association, ses valeurs, et ses attentes peut être proposé.
- Clarifier les rôles et responsabilités : Rédiger des fiches de poste claires pour tous les membres de l’organisation, salariés comme bénévoles. Celles-ci doivent inclure les objectifs attendus, les moyens mis à disposition et les interactions avec les autres membres. Une charte ou un contrat moral peut être utilisé pour formaliser l’engagement, sans rigidifier la liberté des bénévoles.
- Suivre et accompagner les membres de manière continue : Instaurer un suivi individuel ou collectif par le biais de retours réguliers. Les entretiens annuels ou semestriels pour les salariés peuvent être adaptés pour les bénévoles avec des moments de bilan ou des discussions informelles. Cela permet d’adresser les attentes, de résoudre les éventuelles difficultés et de maintenir leur motivation.
En complément, dans certains contextes spécifiques, un accompagnement sous forme de supervision peut être indispensable. Par exemple, dans des associations d’aide aux victimes ou aux malades, la supervision offre aux bénévoles, souvent exposés à des situations sensibles, un espace d’échange et d’écoute animé par un professionnel. Ce dispositif contribue à prévenir les risques d’épuisement, tout en soutenant leur engagement et leur bien-être.
- Donner la parole aux acteurs concernés : Proposer des espaces d’expression et de contribution pour les bénévoles comme pour les salariés. Des enquêtes de satisfaction, des groupes de travail participatifs ou des réunions ouvertes permettent à chacun de se sentir reconnu et valorisé, renforçant ainsi leur sentiment d’appartenance.
Finalement, il est possible de contribuer activement au développement d’environnements de travail inclusifs et motivants pour tous… Tout en respectant les spécificités de chaque statut. Car c’est en adoptant des actions s’adressant aussi bien aux salariés qu’aux bénévoles qu’une association pourra favoriser la création d’une culture commune portée par l’engagement et la reconnaissance. Maintenant, à vous de jouer.
Amivi-Sika Dogbolo