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Relations familiales : une source d’inspiration au travail

Dialoguer avec ses parties prenantes internes et externes est devenu pour les organisations un prérequis essentiel à l’élaboration et à la mise en œuvre de leurs stratégies. Et pour cause, un changement des attentes sociétales qui appellent ces acteurs économiques majeurs à participer activement à « l’économie du bien commun », selon l’expression de Jean Tirole, prix Nobel d’Économie. Facile à dire. Alors comment faire ? Lorsqu’on évoque le terme de « relation », on pense immédiatement aux relations familiales ou amicales. Alors pourquoi pas nous interroger sur le rapport que nous avons à la famille et aux amis et si de cette relation si particulière nous pouvons tirer des enseignements pour entretenir les relations qui lient l’entreprise à ses parties prenantes.

Il n’est à ce titre pas anodin d’utiliser le mot « relation » et non « rapport », car il revêt de facto un caractère plus intime. Or, il y a encore quelques dizaines d’années, l’entreprise n’avait pas vocation à tisser autres choses que des liens de travail parfois tendus et au mieux distants avec son écosystème. Pourtant, les politiques RSE mises en œuvre ces dernières décennies tendent à redéfinir les contours des responsabilités de l’entreprise, ainsi que sa posture vis-à-vis de tous les acteurs avec lesquels elle interagit : salariés, fournisseurs, sous-traitants, clients, partenaires sociaux, actionnaires et autres partenaires financiers, mais également, médias, pouvoirs publics et citoyens de manière plus large. En bref, l’entreprise a affaire à une diversité d’interlocuteurs, exerçant une influence sur son environnement et aux attentes parfois contraires, auxquelles il lui faut répondre, tout en tenant compte de ses propres objectifs de développement… Pas si simple ! Alors comment faire pour que cela fonctionne ? 

Observer, cartographier et écouter

Si analyser sa propre famille est un chemin ardu, voire épineux et nécessitant parfois l’aide de spécialistes, intégrer une famille de cœur comme sa belle-famille par exemple permet de se rendre compte rapidement que l’on s’immisce dans un nouvel écosystème, dont il va falloir comprendre les codes, les modes de fonctionnement, les règles implicites, les non-dits, les messages sous-jacents, les rancœurs, bref tout un héritage à fois génétique et historique extrêmement complexe et savant où il sera nécessaire de cartographier les acteurs, de « décortiquer les schémas » inconscients pour tenter d’y prendre part et de s’y intégrer. Au même titre que l’on pourra passer des heures à écouter les anecdotes familiales, à échanger avec ces nouvelles personnalités pour mieux les connaître, à comprendre les stratégies d’influence qui se jouent malgré elles, pour appréhender l’écosystème dans lequel une entreprise gravite, cette phase d’observation et d’écoute est essentielle car elle offre une lecture intelligible du positionnement de chaque acteur et surtout, de ses attentes. Intégrer les enjeux de l’autre dans sa propre équation, c’est trouver des intérêts communs.

Pour autant, cela nécessite en amont de questionner et de faire preuve de curiosité pour apprendre à mieux connaître son interlocuteur, à travers ses motivations, ses limites ou ce qui pourrait être pour lui rédhibitoire. Une jeune start-up qui souhaite financer sa croissance n’avancera pas les mêmes arguments auprès d’un partenaire bancaire qui va chercher la rentabilité des fonds propres, la capacité de remboursement ou un cashburn contenu et a contrario, auprès d’un capital-risqueur qui s’intéressera davantage à la valeur des actifs ou au potentiel de revente. Connaître les attentes de son écosystème, c’est en maîtriser les contours et donc être en capacité d’adapter sa stratégie en fonction.

Faire confiance et créer un espace de parole libérée

Que ce soit en famille ou dans notre cercle amical proche, nous sommes a priori pleinement et authentiquement nous-même, parce que nous sommes en confiance. Savoir que nous ne serons pas ou peu jugés pour nos comportements ou nos actes, qu’on nous accordera le droit à l’erreur et que nous pourrons aller chercher le réconfort nécessaire dans des situations de fragilité, nous donne le cadre et l’élan nécessaires pour oser être nous. Et parce qu’on nous offre cette confiance, nous acceptons davantage de la part de nos proches leur franchise parfois un peu dure ou la critique constructive qui invite aux remises en question. Il y a dans le mot « relation » un lien de dépendance réciproque qui oblige les deux parties à s’ouvrir à l’autre, à créer un espace commun de dialogue qui ne peut exister que parce que chacune accepte de faire confiance.

La qualité de relation que construit l’entreprise avec ses parties prenantes repose également sur ce contrat de confiance qui crée des obligations réciproques telles que la transparence, la sincérité, la loyauté, l’engagement ou encore le dialogue, pour pérenniser la relation. La confiance permet à un manager de faire grandir ses équipes, à un client de recourir davantage aux produits ou services de l’entreprise, à un fournisseur de s’engager sur des volumes de production, à un actionnaire de suivre la vision stratégique du dirigeant, etc. Il ne peut y avoir de relation sans confiance et celle-ci doit ouvrir un espace d’échanges et de communication où chaque partie peut s’exprimer librement, sans avoir peur de contrarier l’autre. Plutôt que de tomber sur votre fournisseur parce qu’il ose vous dire qu’il ne sera pas en mesure de livrer à temps compte tenu des circonstances sanitaires, pourquoi ne pas voir avec lui la possibilité de fractionner les envois, de livrer une autre ligne de production prête à temps, ou de changer de type de transport afin de gagner quelques jours ? En d’autres termes, dialoguer pour créer de la valeur ensemble ? 

Donner du sens à la relation

Qu’il est bon, ce sentiment d’appartenir à une tribu ! Des pairs qui nous ressemblent, nous comprennent, avec lesquels nous partageons des valeurs et une culture communes. La famille comme les amis participent à la construction de notre récit à la fois individuel et collectif dans la mesure où ils viennent habiller de nouvelles couches le noyau de notre identité et les cheminements de notre parcours par des moments de vie partagés et par un effet miroir qui se joue à travers leur regard. Le mot « relation » vient du latin « relatio« , c’est-à-dire le récit, la narration. Créer une relation, c’est donc se construire un récit mutuel auquel chaque partie adhère et participe à l’élaboration. Ce récit, parce qu’il permet d’engager les individus dans un projet collectif et donc de fédérer, donne du sens à la relation : à la fois un cap, une direction mais également une signification particulière. Il y a autant de récits à construire pour une organisation que d’acteurs dans son écosystème.

L’entreprise doit cependant être garante que cette multitude de récits soit en congruence avec la vision globale vers laquelle elle tend afin d’être toujours dans son alignement et que le sens de ses actions soit compris de tous. En d’autres termes, il lui faut être authentique, c’est-à-dire agir en accord avec sa raison d’être, ses valeurs, ses engagements. C’est à ce titre que la loi Pacte a instauré en 2019 le statut d’entreprise à mission afin que les entreprises qui le souhaitent puissent questionner leurs relations avec leur écosystème dans une démarche responsable, intégrant toutes leurs parties prenantes, à travers la définition d’objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux, conférant à ces mêmes entreprises un rôle très influent sur leur environnement.

Faire de ses parties prenantes des alliés 

Il y a dans « relation » un rapport d’influence dont les effets viennent impacter les différentes parties. Dans tous schémas familiaux ou amicaux, des connivences existent et animent des jeux d’alliance entre les individus. Ce maillage est nécessaire à notre équilibre puisqu’il fait de nos parents, de nos amis des alliés a priori indéfectibles, sur lesquels nous pourrons toujours compter. Grâce à la complicité, la confiance et le respect mutuels que nous entretenons, notre relation repose entre autres sur une logique de don / contre-don qui s’articule autour de 4 temps : 

1- On ose demander et se mettre en situation de dépendance parce que nous sommes en confiance et savons que nos parents/amis ne profiteront pas de notre situation.

2- Normalement, dans une relation familiale ou amicale saine, ils vont répondre à notre demande et lui donner satisfaction.

3- Nous allons recevoir cela comme un cadeau et serons redevables d’une « dette » envers eux.

4- En retour de ce cadeau, dès que l’occasion se présentera, nous aurons la volonté de rendre ce que nous aurons reçu.

Cette démarche inconsciente de réciprocité engage la relation selon un principe de loyauté très fort. Ce qui est vrai pour nos relations familiales, s’applique également pour l’entreprise et ses parties prenantes. Interroger ses partenaires sociaux, ses collaborateurs ou ses clients, c’est prendre le risque d’une réponse qui ne sera peut-être pas celle escomptée mais qui de par son caractère inattendu, ouvrira le champ des possibles et permettra à ces différents acteurs d’avoir pris part au récit collectif de l’organisation. Et s’ils se savent écouter, ils se sentiront investis d’une mission envers elle. 

Ancrer la relation dans la durée et le temps

Nos amis les plus fidèles sont souvent ceux que nous connaissons depuis longtemps parce qu’une relation s’inscrit pas à pas, dans la durée. Même si l’amitié peut se vivre dans l’immédiateté de l’instant, le temps enrichit les relations par le vécu, les expériences, les difficultés surmontées ou les petits et grands bonheurs partagés qui alimentent notre récit collectif. L’amitié est un accompagnement, au sens défini par le dictionnaire Le Robert : « action de jouer une partie musicale de soutien à la partie principale ». Toutes les variations, les nuances, les silences, les petites notes de-ci de-là qui donnent du génie à une partition sont le fait de touches amicales. Prendre le temps de tisser des liens durables, c’est accepter de s’engager dans une relation de laquelle aucune des parties ne sortira indemne mais bien enrichie l’une de l’autre. Pressurer ses fournisseurs, les pousser à bout dans une optique court-termiste sera peut-être une stratégie payante dans un premier temps mais elle finira, à long terme, par porter préjudice à l’entreprise qui la pratiquera. 

Nos relations familiales et amicales sont donc riches d’enseignements dont il faut pouvoir s’inspirer pour créer et développer des relations saines et responsables entre les organisations et leurs parties prenantes. Nous avons délibérément omis d’évoquer que famille et amis peuvent être parfois irritants, étouffants, frustrants, voire même toxiques comme dans toutes relations humaines que l’on retrouve également dans le monde du travail. Interagir avec ses parties prenantes, c’est aussi gérer parfois des conflits. Mais plus la relation créée reposera sur des bases solides, plus elle s’inscrira dans des méthodes de travail coopératives et dans un dialogue constructif, moins il y aura de tensions à gérer. Ça donne envie, non ?  

Julie Delaissé

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