L’intelligence humaine à l’épreuve de l’IA : comment préserver notre esprit critique ?

L’intelligence artificielle est désormais intégrée à notre quotidien professionnel. Outil de travail ou usage personnel, elle modifie en profondeur notre rapport à la connaissance et au travail. Mais au-delà des gains de productivité, une question essentielle émerge : quel impact l’IA a-t-elle sur notre esprit critique, et comment pouvons-nous continuer à le développer ?

Entretien avec Chantal Joie-La Marle, directrice du Lab SNCF Impact et responsable Innovation de la Direction RSE du Groupe SNCF.

Quel impact l’IA générative a-t-elle sur l’esprit critique ?

Chantal Joie-La Marle : L’IA générative n’est pas codée pour développer notre esprit critique, mais pour répondre instantanément à n’importe quelle question. D’autre part, elle est conçue pour prolonger nos interactions avec elle en exploitant notre tendance naturelle à rechercher le confort de la validation. Ayant appris les mécanismes du cerveau humain, elle sait comment nous flatter et peut renforcer nos biais de confirmation en faisant ce qu’on appelle du « renforcement positif ».

Sur tout ce qui est l’impact cognitif de l’IA, les études sont de plus en plus nombreuses. La conclusion est que cela dépend du public et de l’usage qui en est fait. L’IA générative nous a été livrée comme une solution quasiment magique, accessible à tous et ce, sans instruction. C’est là tout l’enjeu : il faut prendre conscience de la nécessité d’un mode d’emploi pour l’utiliser, afin d’optimiser cette technologie pour qu’elle serve au développement de nos compétences et de notre capacité à penser.

Comment l’entreprise peut-elle alors accompagner son usage ?

Chantal Joie-La Marle : Les entreprises ont une responsabilité pédagogique à jouer auprès de leurs salariés et ce à plusieurs niveaux. Tout d’abord pour accompagner un usage responsable et éthique de l’intelligence artificielle, mais aussi pour nourrir l’esprit critique afin de savoir quand l’utiliser, comment l’utiliser, quel niveau de confiance il faut donner aux solutions issues de l’IA, quand reprendre ou garder la main, quand challenger les contenus… Et ces apprentissages passent par la sensibilisation à un usage pertinent et à une vigilance qui garantisse à la fois le sens du travail et le maintien des expertises, via la formation ou la mise en place d’ateliers pour débattre de ces enjeux. Les entreprises se saisissent de ces questions et elles se regroupent même sous forme de think tank, organisent des évènements, des recherches, pour mettre en commun leurs expériences et leurs cas d’usages.

Comment préserver l’esprit critique face à cet outil ?

Chantal Joie-La Marle : Le premier niveau de lecture critique consiste à comprendre que non seulement un outil d’Intelligence Artificielle Générative ne sait pas tout, mais que la fiabilité de ses réponses n’est pas garantie. Nous devons nous questionner en permanence sur ce qu’elle nous livre. Or la confiance en l’IA est d’autant plus tentante qu’elle s’inscrit dans la culture de l’immédiateté : on écrit une question et une réponse est déjà là. Et l’assertivité de l’IA est telle que nous pouvons prendre cette réponse pour LA réponse, ce qu’elle n’est pas.

Pour se prémunir de cela, les individus doivent avoir une juste conscience de leurs propres compétences. C’est cette confiance qui leur permettra d’avoir un esprit critique fort vis-à-vis de l’IA et de ne pas s’effacer devant ses suggestions. Et ce n’est pas parce que vous n’arrivez pas à faire mieux seul qu’il faut accepter un résultat potentiellement médiocre. Si vous êtes bloqué, il y a des experts humains à solliciter. C’est là tout l’enjeu de nos organisations de demain en matière d’esprit critique : comment vont-elles combiner au mieux l’IA et l’expertise humaine pour continuer à développer les compétences collectivement et former de très bons experts humains ?

Propos recueillis par Elise Assibat

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