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Chroniques d’une mission D&I en Amérique Trumpiste
épisode 2

Plongez dans le journal de bord d’une consultante D&I en mission aux Etats-Unis sous l’ère Donald Trump !

Jour 6 – Quand le blanc s’écrit noir sur blanc   

Dear journal, aujourd’hui j’ai délivré mes deux premières formations D&I aux Etats-Unis, et ça s’est plutôt très bien passé ! Je crois que ce succès tient au fait que l’intervention n’était pas dédiée à un critère de diversité comme le sexisme ou le racisme, mais s’inscrivait dans une démarche transversale sur les biais inconscients. De fait, le contenu de nos stéréotypes varie en fonction des cultures, mais notre cerveau fonctionne bien de la même manière partout. Tous biaisés, voilà un propos relativement facile à accepter ! 

PS. J’ai quand même été très surprise au moment de récolter les feuilles d’une mise en situation que je leur ai fait jouer, mettant en scène une simulation de jury d’assises (destinée à faire émerger nos biais). Au bas de la page, je leur demande des informations anonymes sur leur âge, leur genre, leur statut managérial et leur nationalité, en vue de mes analyses croisées. Alors que j’ai animé ce jeu des dizaines (voire des centaines) de fois en France, c’est bien la toute première fois que je vois des participants répondre « white » dans l’encart destiné à renseigner la nationalité ! 

Plus tard, une collègue m’a éclairé sur la raison de ces réponses étonnantes. De fait, les salariés aux Etats-Unis ont l’habitude de remplir des questionnaires à des fins de statistiques ethniques, aux antipodes de la culture (et de la législation) française. Il s’agissait donc juste là d’une petite déformation professionnelle… Ouf !  

Cela dit, j’ai eu beau expliquer sur les sessions suivantes que je questionnais ici leur « citizenship » et non pas leur « ethnicity », cela ne m’a pas empêché de récolter d’autres copies ce type par la suite… Voilà une belle illustration des antagonismes dans la façon d’aborder la diversité entre le modèle anglo-saxon, qui fait ressortir de manière saillante les différentes appartenances identitaires, à l’inverse de notre modèle universaliste à la française, qui aurait plutôt tendance à s’en insurger !  

Jour 7 – Be-Pope-A-Lula ! 

Dear journal, aujourd’hui les cardinaux ont élu Robert Francis Prevost à la tête de l’Église catholique. Le 276e pape, mais le tout premier de l’histoire à être originaire des Etats-Unis, déchaîne les passions sur les plateaux TV. Depuis ma chambre d’hôtel, je reste scotchée devant CNN et les autres chaînes d’information américaines.  

Les journalistes s’attardent longuement sur ce qu’ils appellent le « MAGA Backlash », en introduisant le mécontentement des partisans du président qui qualifient Léon XIV de « pape marxiste woke » et le décrivent comme un « pantin marxiste », « anti-Trump », « woke libéral », « globaliste », « pro-gun control » ou encore comme un « anchor baby », un terme péjoratif utilisé ici pour désigner un enfant né dans le pays de parents étrangers, dans l’idée que la citoyenneté de l’enfant (par le droit du sol) servirait à « ancrer » la famille dans le pays et faciliter leur régularisation… En cause : des tweets publiés par le nouveau pape sur son compte Twitter critiquant la politique migratoire de Donald Trump et de JD Vance (le vice-président). Ce que les MAGA (partisans de Donald Trump) ne comprennent pas, c’est que le pape n’a pas critiqué ces derniers pour qui ils sont ou pour ce qu’ils représentent, mais pour ce qu’ils font !  

PS. Heureusement, d’autres personnalités ont tenté d’élever un peu les échanges sur les plateaux TV, en rappelant que le débat «  le nouveau pape est-il pro ou anti Trump ? » pêchait par ethnocentrisme, là où cette élection papale dépasse largement les guerres de chapelles politiques états-uniennes pour consacrer un enjeu religieux mondial. Il aurait suffi d’allumer la télévision au Pérou pour s’en convaincre : à Lima on ne célèbre pas le premier pape américain, mais bien le premier pape péruvien ! 

Jour 8 – Feuillette-moi si tu peux ! 

Dear journal, après avoir animé mes sessions en périphérie de New York et de Buffalo (tout au Nord, près de la frontière canadienne), me voilà à l’aéroport pour descendre en Louisiane, tout au Sud. Ayant quelques heures à tuer, je décide de regarder l’offre de magazines, dans l’espoir d’y trouver une revue intéressante sur la politique ou sur la société, susceptible de me donner accès aux points de vue américain. Mais… en vain !  

Oh, il y a bien des magazines ! Mais ceux-ci sont consacrés :  

  • À la religion – National Géographique fait sa une sur feu le pape François, tandis que le magazine « Miracles of Jesus » propose un reportage sur « ces lieux d’aujourd’hui où résonnent les miracles d’autrefois » ; 
  • Aux genres  – le titre Men’s Health qui propose un programme ultime en 8 semaines pour des abdos en béton, ou encore le titre Woman’s world qui suggère de brûler sa graisse du ventre 600% plus vite grâce à la nouvelle soupe hyperprotéinée ; 
  • Aux célébrités – le fanbook non officiel de Taylor Swift qui explique de A à Z tout ce que nous avons besoin de savoir sur la popstar, ou l’édition spéciale du magazine People dédié à Beyoncé qui présente 125 photos « flawless » (sans défaut) de la Queen B ;  
  • À la survie – comme le magazine Prepper qui nous apprend à préparer son sac, à planifier la meilleure route d’évasion et à garder sa famille en sécurité en vue du prochain désastre, ou le magazine Backwoods Survival Guide qui donne 200 conseils pour bien vivre en autonomie avec les ressources de la nature ; 

On y trouve aussi un autre magazine dédié intégralement à La Petite Maison dans la Prairie, d’autres dédiés aux sports ou à la cuisine (mention spéciale pour ce numéro de recettes 100% healthy qui propose une salade « steak-frites »)… Mais rien, toujours rien, sur l’actualité et la politique ! 

PS. Ce constat étonnant m’interroge : est-ce qu’on ne trouve rien sur l’actualité, la société et le monde parce que les américains ne s’y intéressent pas, ou ne s’y intéressent-ils pas parce qu’on ne leur propose jamais de s’y ouvrir ? Le serpent s’en mord la queue et la sempiternelle question de l’œuf et de la poule reste en suspens.    

Jour 9 – Ça jase dans les bars à jazz 

Dear journal, me voilà arrivée dans le Sud, à la Nouvelle-Orléans : le berceau du jazz ! Je profite du week-end pour me reposer et délecter mes oreilles. Dans un bar, entre deux cuillérées d’un délicieux gumbo, je profite de la pause du jazzband pour scruter les alentours… Et découvrir une pancarte souhaitant la bienvenue à toutes les races, tous les genres, toutes les capacités (y voir ici une mention sur l’inclusion des handicaps), toutes les ethnies, tous les âges et toutes les orientations sexuelles !  

Une fois repue, j’arpente les rues du Faubourg Marigny en quête d’un autre concert de jazz. Quelle ne fut pas ma surprise en tombant sur ce bar intitulé Bamboula’s ! C’est moi, ou ce pays est complètement bipolaire ?! 

PS. J’ai cherché à comprendre, ce nom de bar paraissant trop « énorme » pour signifier ce qu’il semble impliquer dans la langue de Molière. J’ai alors compris que loin du terme péjoratif que l’on connaît, dans le contexte de la Nouvelle-Orléans, « bamboula » fait référence à une danse folklorique afro-caribéenne qui a influencé la musique et la culture locale. Le mot évoque donc ici davantage la musique, la fête et la résilience culturelle des communautés afro-américaines et créoles qu’une injure raciste… Et pourtant, ces deux acceptions ont la même origine : c’est en effet à la base, le simple nom d’un tambour traditionnel !    

Jour 10 – Mississippi : creuset de cultures, foyer de fractures 

Dear journal, c’est mon dernier jour de repos avant de reprendre mes formations. Après m’être lassée du quartier touristique, je bifurque dans les zones résidentielles de la Nouvelle-Orléans. Je suis alors tombée sur un grand hangar servant de débarras (another one !), où j’y ai rencontré Arieh, qui s’est présenté à moi comme un juif iranien, en pariant que c’était surement la première fois que j’en rencontrais un !  

Ce dernier a fui son pays après la chute du Shah, au moment de la révolution islamique de 1979, pour ne jamais y revenir. Me demandant ce que je fais là, je lui dis que je devais prendre la route le lendemain pour me rendre dans l’état du Mississippi dans le but d’y animer des formations diversités et inclusion. « HOLY SHIT ! » s’est-il alors écrié, avant de m’expliquer qu’il a dû cesser ses activités là-bas à force de problématiques discriminatoires et d’inaction de la police locale. Il n’est malheureusement pas le premier à m’alerter sur la culture pour ainsi dire très « conservatrice » de cet état de la « Bible belt ». Mon amie américaine m’avait effectivement déjà bien mise en garde à propos de cette région, point d’entrée historique de l’esclavage aux Etats-Unis, où je serais susceptible d’y trouver de fortes énergies de ségrégation et des Américains blancs convaincus que le pays leur appartient et que les autochtones d’Amérique n’ont jamais existé…   

PS. Finalement mes participants du Mississippi ne m’ont pas mangé, et leurs évaluations ont été même plus positives que certaines sessions avec leurs homologues français ! Cela dit, j’ai senti une « vibe » un peu particulière qui m’a poussé à écarter tous mes exemples en lien avec les origines, la religion et les questions LGBT+. Je pratique la politique des petits pas : s’ils ont pu ressortir de là en acceptant l’idée qu’on a tous des stéréotypes, je considère que c’est déjà « ça de gagné » ! 

Jour 11 – Joe le taxi, c’est ces vies ! 

Dear journal, je suis bien arrivée à Atlanta dans l’état de Géorgie, ma destination finale avant de rentrer à Paris. Aujourd’hui mon chauffeur Uber est un Afro-américain, mais je dois te dire que sur l’ensemble de mon périple, tomber sur des chauffeurs américains relevait plus de l’exception que de la norme. J’ai en effet rencontré par ce biais une myriade de nationalités issues des quatre coins du monde : Sénégalais, Libanais, Jamaïcains, Émiratis ou encore Argentins… C’est qu’on appelle ici le melting pot américain !  

PS. Le terme melting pot, que l’on traduit par creuset, signifie littéralement « pot de fusion ». Et pourtant, je dois dire que cela ne me semble pas correspondre à la réalité. Loin d’une « fusion », la diversité des cultures que l’on retrouve aux Etats-Unis semble davantage relever d’une « co-existence » que d’un mélange à proprement parler. Par exemple, le chauffeur Argentin que j’ai rencontré à Buffalo s’est excusé dès le départ de la course qu’il ne parlait pas anglais. Mes bases d’espagnol m’ont donc été bien utiles (comme à d’autres moments de ce périple) pour converser. Mon interlocuteur m’a alors appris que cela faisait 23 ans qu’il vivait aux Etats-Unis ! Vivre 23 ans dans un pays anglophone sans être dans la nécessité d’apprendre la langue, voilà qui illustre bien l’approche dite communautaire à l’américaine : on vit ensemble, ou plutôt les uns à côté des autres, mais on ne se mélange pas.  

Last day – Mais quel est le lien entre Atlanta, le SIDA et Donald Trump ?!  

Dear journal, ça y est, c’est la fin de mon périple. Je suis dans l’avion et cette fois, mon voisin est plus sympa que ceux de mon précédent vol interne (un couple de retraités américains qui ont cessé net de me parler dès lors que je les ai informés de l’objet de mes formations !). Dave m’apporte de nombreux éclairages sur la ville d’Atlanta, un peu particulière. C’est une grande ville du Sud, mais on n’y retrouve pas tout à fait la culture Southern dans la mesure où il s’agit d’un important hub économique, rassemblant des travailleurs issus d’horizons extrêmement variés des Etats-Unis et d’ailleurs. Je lui fais alors part de ma surprise lorsque j’avais constaté plus de drapeaux LGBTQIA+ dans la banlieue d’Atlanta que les traditionnels drapeaux américains. Dave m’apprend alors qu’Atlanta est considérée comme « the place to be » pour la communauté Queer afro-américaine… Si ça ce n’est pas de l’intersectionnalité ! 

PS. C’est long, 9 heures d’avion ! Ce fut du coup aussi l’occasion pour Dave de me faire part de ses inquiétudes sur la fuite des cerveaux (sa femme travaille dans la recherche contre le SIDA mais son contrat n’a pas été renouvelé, ils cherchent donc à s’expatrier), les rafles de migrants (il est devenu presque impossible de lancer des travaux dans son patelin, étant donné que ceux-ci sont généralement gérés par des migrants mais que ces derniers n’ont pas le temps d’arriver aux maisons de leurs clients car ils se font tous arrêter et embarquer sur le chemin)… Mais aussi heureusement, quelques anecdotes qui prêtent plus à rire, comme celle de son voisin qui plante toutes les semaines dans son frontyard une pancarte taille humaine de Donald Trump, les mains sur les hanches, le regard  fier et victorieux… Au moins, on sait avec qui partager (ou pas !) ses barbecues dominicaux ! 

Back to France 

« Dear journal, il est malheureusement temps de te clôturer. Cette mission outre-Atlantique fut une véritable aventure : j’ai beaucoup couru (ça me fait penser que j’ai oublié de te raconter la fois où j’ai dû dévaler la 7ème avenue, on aurait dit Carrie Bradshaw dans Sex and the City, le tutu en moins!), j’ai été traversée d’une multitude d’émotions, j’ai pris quelques kilos mais j’ai aussi gagné en confiance dans ma capacité à intervenir en anglais et dans un autre environnement que le mien. Force est de constater qu’en traversant la frontière la bienveillance est de mise et que mon accent frenchy ne dérange que moi !  

Surtout, j’ai énormément appris. La culture américaine est bien plus complexe et multifaceted qu’elle n’y paraît, et si je pense pouvoir en tirer quelques enseignements sur ce qui est à éviter pour bâtir les fondations d’un vrai vivre-ensemble, cela me donne aussi à comprendre les carences de notre approche française. Car c’est bien dans la rencontre de l’autre que notre propre culture, habituellement impalpable, se révèle à nous !  Après un peu de répit, je suis plus motivée que jamais pour signer un prochain chapitre et repartir sur de nouvelles aventures. Je te dis donc au revoir, cher journal, et j’espère, à bientôt !  

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