Et si les salariés étaient les mieux placés pour parler de leur travail au travail ? Des États-Unis aux entreprises françaises les plus innovantes, l’expression directe des collaborateurs se redessine aujourd’hui sous des formes participatives inédites. Un mouvement qui pourrait redonner tout son sens au dialogue social et à la qualité de vie au travail. Décryptage.
De nouveaux formats pour parler du travail
Avez-vous déjà entendu parler des “Hackathons” et “Innovation jams” ? Ces marathons collaboratifs venus tout droit des États-Unis permettent de coconstruire des solutions concrètes en mobilisant l’intelligence collective. Les salariés deviennent force de proposition sur des sujets clés : nouveaux outils internes, aménagement des espaces, transition écologique… Le travail devient un terrain d’expérimentation, nourri par ceux qui le vivent au quotidien.
Difficile également de passer à côté de la Californie, où les “All-Hands” (réunions plénières régulières de toute l’entreprise) et les sessions de Q&A anonymes chez Google, Meta ou Airbnb sont devenues des rendez-vous incontournables. Ici, pas de langue de bois : dirigeants et salariés se retrouvent en direct (même si souvent en visio) pour partager les décisions stratégiques, entendre les interrogations, et répondre en transparence. Un moment rare de respiration collective dans des organisations où l’information circule parfois en silos.
En France, un droit à réinventer
Ce mouvement outre-Atlantique trouve un écho particulier en France, où le droit à l’expression des salariés a une histoire singulière. Institué par les lois Auroux en 1982, cette avancée a permis de reconnaître la capacité des salariés à s’exprimer collectivement sur leurs conditions et leur organisation de travail, sans passer par les canaux syndicaux habituels.
Quarante ans plus tard, le bilan est mitigé. La crainte de voir émerger des revendications incontrôlables, ou de concurrencer les représentants du personnel, a souvent freiné son application. Pourtant, les enjeux actuels (télétravail, transition écologique, quête de sens) rendent ce droit plus pertinent que jamais.
Vers une nouvelle dynamique
Des initiatives récentes montrent toutefois qu’un vent nouveau souffle sur ces pratiques. DIALOG’ACTIF, le projet gagnant du premier Hackathon du dialogue social, organisé par l’association Réalités du Dialogue Social, en est un parfait exemple. En réunissant étudiants, professionnels, syndicats et DRH, cet événement a permis d’imaginer des formats hybrides pour dynamiser le dialogue social à l’horizon 2030. Le projet lauréat propose notamment des parcours en trois temps (information, expression, engagement) pour faciliter l’expression directe des salariés.
Certaines entreprises pionnières réinventent aussi le modèle. À La Poste, le dispositif “ParlonZen”, initié dès 2016 et encore en cours, crée des espaces de discussion animés par les managers, mais dont les thématiques sont définies par les équipes elles-mêmes. L’idée : favoriser l’écoute active et la co-construction de solutions par ceux qui font le travail au quotidien.
Une clé pour le futur du travail
Ce regain d’intérêt pour l’expression directe ne relève pas seulement d’un effet de mode. Car plus une entreprise donne la parole à ses salariés, meilleures sont ses conditions de travail et ses performances au global.
Mais pour y parvenir, la réussite de ces dispositifs repose avant tout sur un cadre sécurisant, un réel suivi des propositions, et une articulation claire entre expression directe et dialogue social structuré. Soit autant de conditions pour préparer les modèles de gouvernance de demain, plus participatifs. Et ainsi tenter de répondre à la crise de sens qui traverse actuellement le monde du travail.
Thibaut Deville