Télétravail, équilibre des temps de vie, bien être… La crise du Covid-19 a bouleversé notre perception et rapport travail, créant des effets d’aubaines pour certains… Mais pas pour tous !
Post confinement, un nouveau rapport au travail émerge pour une certaine catégorie de personnes. Le spécialiste de la question du travail et auteur de “Indispensables mais invisibles”, Denis Maillard observe que « plus une partie de la société peut choisir de vivre et travailler quand ou et comme elle le désire, alors plus ce mode de vie fait peser sur le back office une somme accrue de contraintes en termes de disponibilité, de transport et d’efforts ». Autrement dit, que le hors travail des uns structure le travail des autres… Et c’est précisément à partir de ce point de bascule qu’il a souhaité donner une voix aux chapitres à ces « travailleurs du back-office ».
Qui sont les travailleurs du back-office ?
Sur 27,8 millions de personnes emploi, l’étude réalisée par Denis Maillard décompte presque 11 millions d’invisibles œuvrant pour la société « back office ».. On retrouve ces travailleurs dans les mondes de la manutention, de la logistique, du comptoir et du guichet, de la maintenance, du care, de l’espace domestique ainsi que des « premières lignes de la République ». Et bien souvent, ces métiers ne sont remarqués que lorsqu’ils font défaut (une rue sale, un train annulé, une panne de réseau…).
Cette qualification est née du constat qu’après une cinquantaine d’année de globalisation, de délocalisation, de numérisation, apparaît une nouvelle division du travail, celle du « back office » de la société de service, indissociable de nos modes de consommation. Cette catégorie de travailleurs présente des caractéristiques similaires à celles des travailleurs « essentiels » à l’exception que bien que sa main-d’œuvre soit indispensable à notre économie, celle-ci est socialement reléguée en arrière-plan, opérant dans l’ombre d’une société de services.
Que cela révèle-t-il du monde du travail ?
La qualification de cette catégorie de travailleur met en lumière une inflexion de la vision marxiste du capital versus travail. Comme l’illustre Denis Maillard, l’organisation contemporaine du travail d’aujourd’hui se matérialise davantage à travers une alliance du capital et du consommateur sur le « le dos du travail ». Autrement dit, nous avons une population de travailleur coordonnée et organisée pour permettre à la société de service, orientée client, de se servir dans le temps. Et donc plus une partie de la société peut bénéficier de flexibilité dans l’organisation de son travail et de jouir d’un parfait équilibre entre le temps de travail et le temps « hors travail » plus la société du back office, jouissant de peu de flexibilité dans leur organisation est confrontée à une somme accrue de contraintes.
Car dans la continuité de cette étude, les résultats démontrent que ces travailleurs partagent un bon nombre de dénominateurs communs caractérisés par « des situations de vie et de travail bridés par une myriade de verrous » :
- La précarité : des arbitrages financiers constants, souvent au centime près
- La pénibilité : des conditions de travail éprouvantes rendant difficile l’exercice de l’activité jusqu’à la retraite
- Temporalité : des horaires morcelés et atypiques, empêchant toute maîtrise du temps personnel
- Parentalité : un isolement social et des difficultés accrues pour concilier vie professionnelle et familiale
- Territorialité : une mobilité entravée par des coûts de transport élevés et des infrastructures limitées
- Sentiment d’utilité : un travail perçu comme indispensable, mais dépourvu de reconnaissance sociale
Ces contraintes enferment les travailleurs du back-office dans une vie « empêchée », où la précarité économique, la pénibilité physique et le manque de valorisation se renforcent mutuellement. Cette situation crée un fossé de plus en plus large entre eux et le reste de la population active.
Quelles pistes pour tendre vers une reconnaissance effective de ces travailleurs du back-office ?
- Une revalorisation économique et symbolique : au-delà des augmentations salariales, il est crucial d’améliorer les conditions de travail et d’accroître la visibilité de ces métiers dans l’espace public.
- Une régulation des plateformes numériques : imposer plus de transparence sur les conditions de travail et limiter la dépendance aux algorithmes pour éviter l’invisibilisation accrue des travailleurs.
- Une représentation des travailleurs du back-office : encourager des formes d’organisation du travail plus équilibrées et leur permettre d’avoir une influence sur le fonctionnement des entreprises et des services.
Autant de réponses qui supposent tout d’abord d’appréhender la valeur du travail dans le sens du bien commun plus que par sa valeur instrumentale et économique.