Pour lever les tabous relatifs aux handicaps en entreprise (et déconstruire quelques stéréotypes au passage), nous n’avons encore rien inventé de mieux que d’en parler. Seulement voilà, quand on n’est pas concerné ou tout simplement pas familier du sujet, la peur d’être maladroit nous invite parfois l’autocensure.
C’est d’autant plus regrettable lorsque l’envie d’échanger et de manifester une forme de soutien est bien là. Mais on le sait, il y a parfois un décalage entre notre intention (louable) et son impact, qui peut finir par faire plus de mal que de bien à notre collègue en situation de handicap. Le fait d’appartenir à un groupe stigmatisé (ici celui des gens handicapés) renforce le risque de posture défensive car nous internalisons l’image négative que la société porte sur nous, ce qui peut expliquer parfois l’existence d’un décalage entre un propos et la façon dont celui-ci sera reçu.
Alors, comment être soutenant sans donner le sentiment d’être condescendant ? Quelles sont les phrases à éviter avec un collègue en situation de handicap ?
« Ça ne se voit pas du tout ! / Tu n’as pas l’air malade ! »
L’intention de cette phrase est de valoriser la personne pour lui signifier que, malgré son handicap, elle s’en sort très bien… D’autant plus dans la mesure où elle est confrontée à des difficultés que la majorité ne vit pas !
L’impact potentiel pour la personne qui reçoit ce message est une forme de minimisation de sa situation (« si ça ne transparaît pas, c’est que ce n’est pas si lourd pour toi »), jusqu’à une forme de déni (« ça ne se voit pas. Ressens-tu vraiment ces difficultés ? Es-tu certain de cocher la case « handicap »? »).
Le bon réflexe : quand une personne porte un handicap à votre connaissance, rappelez-vous que la majorité des handicaps sont invisibles et que nous ne sommes pas dans le corps ou dans la tête de l’autre. Nous ne sommes pas non plus son médecin et n’avons donc pas de légitimité à émettre un avis sur sa condition médicale. Par exemple, gardez en tête que ce n’est pas parce qu’une personne marche sur ses deux pieds qu’elle n’est pas légitime à se garer sur une place handicapée !
« Au moins… »
L’intention est d’apporter un peu d’optimisme dans une conversation où la réalité de l’autre nous attriste. On a de la peine pour lui, alors on cherche à lui remonter le moral en relativisant : « regarde du bon côté » ou « au moins ce n’est pas si pire »…
L’impact une nouvelle fois, est de faire déni de la souffrance de l’autre, qui risque de traduire ce « au moins » par « ton handicap n’est pas si grave ».
Le bon réflexe : Restez optimiste, mais partez du principe que la personne qui vous parle de son handicap cherche surtout à être prise en compte, et non pas à être consolée (à moins qu’elle vous le demande explicitement). Essayez donc de ne pas répondre à une conversation « rationnelle » (« j’éprouve tels type de difficultés ») par une conversation « émotionnelle » (« restons optimistes ! »)
« Est-ce que tu as essayé… »
L’intention est de traduire une volonté d’aider, par une recherche de solutions qui permettrait de limiter les conséquences du handicap : « est-ce que tu as essayé le yoga – les plantes – un régime sans gluten ? »
L’impact potentiel de cette question est une forme de jugement, ou de culpabilisation, comme si la personne concernée ne gérait pas son handicap comme il fallait ou qu’elle ne s’en occupait pas, par manque de volonté à « aller mieux ».
Le bon réflexe : Oubliez votre orientation solution pour vous concentrer sur la qualité de votre écoute, c’est la meilleure chose que vous avez à lui offrir (de son côté, votre collègue sait ce qu’il a à faire, et il est probablement suivi par des professionnels de santé qui connaissent leur métier). Dans une démarche un peu plus introspective, demandez-vous ce qui vous met si mal à l’aise dans l’exposé de sa situation et qui vous précipite parfois à vouloir enfiler une cape de « sauveur ». Si vous voulez vraiment aider, réfléchissez plutôt à ce que vous pouvez faire à votre niveau pour faciliter le quotidien de votre collègue, plutôt qu’à ce qu’il devrait faire ou ne pas faire.
« Je comprends ce que tu vis »
L’intention est de montrer à son collègue que l’on connecte avec lui et que l’on entrevoit un peu mieux les contraintes auxquelles il doit faire face. On cherche à lui dire que ses explications ont été claires, ou bien que notre tante Raymonde est atteinte d’exactement le même pathologie et qu’on a été témoin de son calvaire.
L’impact est à l’inverse de donner à votre collègue le sentiment de ne pas être compris ! A moins de connaître exactement les mêmes maux, vous ne pouvez pas comprendre. Avoir fait l’expérience d’un restaurant dans le noir ne vous rend pas légitime à connaître la réalité d’une personne aveugle, tout comme ce n’est pas parce que vous vous êtes déjà retourné le dos une fois que vous pouvez comprendre la situation de quelqu’un qui a des problèmes chroniques.
Le bon réflexe : faites preuve d’humilité pour accepter l’idée que vous n’êtes pas dans les chaussures de votre collègue et que vous n’êtes pas légitime à comprendre ce qu’il vit. Évitez de trop transposer une réalité vécue par un de vos proches à celle de votre collègue parce qu’ils ont la même « étiquette ». Une même maladie peut par exemple renvoyer à des réalités très différentes en fonction de son stade d’intensité (il existe par exemple plusieurs types de bipolarité), de la nature des symptômes qu’elle va engendrer ou de la manière dont elle sera accueillie par les personnes concernées. Soyez encore plus vigilants avec ce « biais d’étiquette » sur les sujets qui s’inscrivent dans un spectre, comme l’autisme. Partez donc du principe que la connexion que vous faites entre votre collègue et votre beau-frère n’est pas forcément pertinente.
« Tu es tellement courageux ! »
L’intention est de manifester une forme d’admiration face à la résilience dont a dû faire preuve votre collègue pour surmonter les difficultés inhérentes à son handicap.
L’impact est de renvoyer le sentiment d’une posture surempathique, frisant une forme de pitié bien intentionnée mais non moins déplacée. Les personnes en situation de handicap ne demandent généralement pas à être encensées, d’autant que le fait de devoir faire face au handicap n’est pas un choix pour eux (et qu’ils s’en seraient probablement bien passé !).
Le bon réflexe : plutôt que de considérer votre collègue comme le super-héros qu’il n’est pas, voyez-le comme un humain ordinaire ! Essayez de repositionner le curseur de votre bienveillance au bon endroit : plutôt que par les mots, développez une vigilance active pour vous soucier de son bien-être, quand (et si) il en aura besoin.
Il semblerait qu’on ne puisse plus rien dire !
Si à la lecture de cet article vous n’avez pas l’impression d’y voir plus clair sur les éventuelles maladresses à éviter, plutôt que de vous concentrer sur ce qu’il ne faut pas dire, gardez plutôt en tête ce qui reste généralement utile et apprécié :
- Écouter activement : offrez à votre collègue l’opportunité d’aborder le sujet s’il le souhaite (« Je suis là si tu as besoin d’en parler »), pour accueillir sa parole dans un cadre non-jugeant et en garantissant la confidentialité de ce qu’il pourrait avoir envie de vous déposer.
- Être soutenant : « ça doit être dur. Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? Est-ce que ça t’arrangerait qu’on s’organise autrement ? ». Face à une situation que vous sentez compliquée pour votre collègue, proposez votre aide (par exemple : « Est-ce tu veux que je porte ce carton ? ») mais ne préjugez pas de son besoin (en portant le carton) sans lui avoir posé la question au préalable.
En résumé, la bonne posture à avoir face à un collègue handicapé relève essentiellement du bon sens : restez naturel, simple et ouvert au dialogue. Et si jamais vous réalisez que vous venez de commettre une maladresse, pas de panique ! Des excuses exprimées simplement et avec sincérité seront toujours moins gênantes (pour tout le monde !) qu’une flagellation sur la place publique. Et l’intégration de votre maladresse dans l’évolution de votre comportement toujours plus précieuse que mille déclarations d’intention.
Loin de se limiter au sujet « handicap », il n’est pas inintéressant d’appliquer ces principes de bon sens à l’ensemble de nos relations professionnelles (et accessoirement personnelles !) pour participer au bien-être du plus grand nombre. Peu importe nos « étiquettes » de diversité, l’écoute, l’empathie bien dosée et l’humilité sont toujours des qualités appréciées !
Valentine Poisson