Dans notre monde hyper concurrentiel, empreint d’incertitude sur les plans géopolitique, climatique… les aléas qui frappent nos économies ont des répercussions de plus en plus importantes. Et plus l’intensité de l’aléa augmente, plus les dégâts économiques sont importants. Alors pourquoi cette apparente fragilité du système ? Et comment les organisations peuvent-elles y faire face ? Décryptage d’un concept puissant avec Arnaud Florentin, économiste et directeur associé chez Utopies.
Pourquoi les crises semblent-elles de plus en plus rapprochées ?
Arnaud Florentin : C’est paradoxal. L’économie mondiale n’a jamais été autant optimisée. En termes de data, d’analyse, de contrôle de nos stocks, de nos flux… Pour autant, cette économie est également plus fragile que jamais. Il suffit de peu pour que crise advienne. Un port dans le monde se retrouve bloqué et c’est l’économie mondiale tout entière qui en subit les frais.
Mais ce qui fait la fragilité de l’économie mondiale, ce sont surtout les entreprises qui la composent. Et aujourd’hui, nous manquons cruellement d’agilité. Nos territoires sont tous hyper spécialisés, et nos économies, notre architecture, les démographies, les individus le sont aussi. À limiter ainsi notre diversité, nous avons perdu la possibilité de se réinventer face aux différents aléas.
Face à ce constat, vous préconisez l’antifragilité. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
AF : Si on regarde dans le dictionnaire, il n’existe pas de mots qui désigne le contraire de la fragilité. C’est l’auteur libano américain Nassim Nicholas Taleb qui dans son livre Antifragilité : les bienfaits du désordre a développé ce concept. L’antifragilité, c’est la capacité pour des organisations ou des individus à résister face aux crises. Contrairement à la résilience, dans laquelle le système revient à l’état initial après avoir été perturbé, le système anti fragile sort du choc en étant augmenté. Et nombreuses sont les entreprises robustes qui vont pouvoir résister un temps aux crises, mais qui ne sauront pas se transformer, qui n’auront pas cette agilité pour tirer profit des aléas une fois la crise passée.
Aussi, dans l’antifragilité, non seulement les organisations et individus améliorent leur capacité à faire face à l’incertitude. Mais les idées se révèlent d’autant plus innovantes qu’elles transforment les perturbations en opportunités, permettant ainsi d’aligner le business modèle à l’imprévisibilité du monde extérieur.
Sur quels piliers reposent l’antifragilité pour les organisations ?
AF : À mon sens, l’un des principaux piliers de l’antifragilité est la diversité. Une notion essentielle, que j’ai développé sur les territoires, mais que nous pourrions aussi bien appliquer aux entreprises. La nature par exemple, est complétement anti fragile, car son ADN, c’est la diversité biologique ! Et celle-ci lui permet de faire face à n’importe quelle crise en ayant des solutions de secours. De la même manière, les territoires les plus diversifiés ont tellement de combinaisons et partenariats possibles qu’ils peuvent faire face à n’importe quelle situation. Pour une entreprise ça va passer par le fait de diversifier ses sources d’approvisionnement, ses produits, ses profils au sein de la boîte… Aussi en adoptant une logique d’optionalité par l’investissement. Tout ce qui va lui permettre de se « déverrouiller » en somme.
Vous avez aussi une notion qui est connectée à la diversité : la redondance. Je vous le disais plus haut, désormais tout est optimisé au détriment des options et donc des solutions. Or nous avons besoin d’avoir plus de ressources pour faire face aux évènements imprévus. De redondances énergétiques, de redondances dans les stocks… Typiquement, avoir un fournisseur local qui représente peut-être 5% de vos achats et qui est moins compétitif qu’un fournisseur asiatique, mais qui redouble d’intérêt quand l’échelle de valeur mondiale saute.
Enfin, l’antifragilité nécessite le goût de la volatilité. Ce n’est pas quelque chose qu’on cultive beaucoup dans les organes… Et pourtant, pour embrasser les aléas, il faut embrasser la volatilité ! Ne pas craindre les erreurs mais plutôt les encourager au sein des entreprises. Rappelons-nous que les organisations qui ne sont jamais soumises au stress sont celles qui explosent en premier lorsqu’une crise survient.
Propos recueillis par Elise Assibat