Depuis la fin du XXème siècle, l’évolution des marchés économiques pousse les entreprises à se transformer. Et de cette nécessité de performance économique a émergé celle de faire de l’intelligence individuelle et collective des facteurs de la performance sociale. Petit à petit, diverses démarches viennent encadrer le monde du travail pour favoriser la santé mentale des salariés… Jusqu’à promouvoir aujourd’hui son articulation avec la qualité de vie et les conditions de travail. Mais quel a été le cheminement pour intégrer la santé mentale au cœur du fonctionnement des entreprises ? Retour sur les grandes mutations des dernières décennies.
De la santé physique à la santé mentale
Le droit du travail s’est construit sur la protection physique des ouvriers. En effet, au début du siècle dernier les ouvriers étaient exposés à des conditions de travail dangereuses sous la subordination de leur employeur. Les accidents étaient nombreux et ont conduit à une évolution des textes réglementaires en rendant responsable l’employeur. L’obligation générale de sécurité est née ; la notion de protection physique prend forme. Elle s’est renforcée par la suite au cours du XXème siècle, et au fur et à mesure de la règlementation du travail et de la politique hygiéniste voulue par la société.
Bien plus tard au début des années 2000, la question de la prévention prend un nouveau tournant. On constate alors qu’on ne peut plus considérer que le risque physique est à lui seul le résultat des maux des travailleurs. La loi de la modernisation sociale va d’ailleurs le préciser dès janvier 2002 : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
La monté des risques psychosociaux en entreprise
Les événements tragiques survenus en 2009 chez France Télécom, sont venus mettre en lumière la transposition nouvelle des textes européens dans le droit Français, via des ANI, sur le stress, le harcèlement et la violence au travail. La notion de risques psychosociaux – RPS – apparait alors. Concept flou pour les uns et nécessité urgente d’en faire un élément de prévention pour les autres, les RPS font débat dans les organisations.
La difficulté devient alors pour les entreprises de garantir, au même titre que la santé physique et par la contrainte du droit, son obligation générale de sécurité (L4121-1) et la démarche globale de prévention (L4121-2) qui liste les 9 principes de prévention que tout employeur doit mettre en œuvre. Rappelons qu’à cette époque nous sommes sous le couperet de la jurisprudence dite « amiante » qui rend responsable pour « faute inexcusable », selon le code de la sécurité sociale, les employeurs manquant à leur « obligation de sécurité de résultat » : « qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat».
La prise charge de la « qualité de vie au travail » par l’entreprise
L’ébauche de la Qualité de Vie au Travail – QVT – par l’ANI de 2013 n’était pas de se substituer aux droits fondamentaux existants sur ces sujets, mais de les prolonger par une valorisation et une promotion. De cet accord apparait des éléments descriptifs qui contribuent à la nécessité des entreprises de s’emparer des sujets estampillés « qualité » comme la qualité de l’engagement de tous et à tous les niveaux de l’entreprise ; la qualité de l’information partagée au sein de l’entreprise ; la qualité des relations sociales construites sur un dialogue social actif ; le respect de l’égalité professionnelle ; etc.
Au-delà de l’obligation de l’employeur d’ouvrir des négociations avec les organisations syndicales sur certains thèmes, d’autres peuvent être saisis par la propre initiative de l’entreprise. Ainsi, la jurisprudence « Air France » de novembre 2015 sonne le glas de l’obligation générale de sécurité de l’employeur qui de « résultat » se porte désormais sur les « moyens ». C’est dans ce contexte que la loi Rebsamen vient encadrer la QVT de manière juridique en inscrivant la notion dans le Code du travail.
Dans ce schéma, le sujet de la QVT devient parfois un sujet mal appréhendé, avec des initiatives originales chez certains comme la création d’espace de bien-être ou de cours de yoga. Ces démarches peuvent être tout à fait louables, mais s’avèrent insuffisantes. Dans une publication de l’ANACT en 2015, Yves Clot, professeur en psychologie du travail, constatait le glissement lexical qui affecte certains mots de la santé au travail, et évoquait déjà l’obsolescence programmée de l’acronyme QVT. En effet, il préfère regarder ces sujets par le prisme de la qualité au travail en lieu et place de la qualité de vie au travail. Les mots ont leur importance sur des sujets aussi sensibles.
L’ouverture d’un nouveau débat sur les conditions de vie au travail
Depuis la crise pandémique et les bouleversements subis en matière d’organisation du travail et des conditions liées, les organisations patronales et syndicales ont redéfini la QVT. La Qualité de Vie et des Conditions de Travail remplace donc la QVT et se transpose dans le code du travail depuis le 31 mars 2022. Dans la continuité de la prévention primaire, ce nouvel acronyme a pour ambition de fixer un nouveau cap en matière de négociation avec les organisations syndicales. Le retour d’expérience depuis 2015 qui rend obligatoire la négociation de la QVT, est donc à prendre en considération avec cette approche plus mature par le prisme des conditions de travail.
La périodicité de la négociation de l’accord QVCT associé aux questions de l’égalité professionnelle, est au minimum de 4 ans. À défaut d’accord, les thèmes seront des dispositions supplétives imposées par le législateur. Bien que ce rappel de droit soit nécessaire, trop souvent les négociations obligatoires dans les entreprises sont dénuées de sens car les thèmes y sont imposés. Les négociations sociales obligatoires se transforment alors en une formalité en lieu et place d’une nécessité, mettant de côté toute créativité propre à la négociation collective.
Pour rendre au dialogue social son rôle primaire, il est donc de la responsabilité des entreprises et des partenaires sociaux d’interroger la QVCT de manière systémique dans un processus continue avec le corps social. Et de répondre ainsi aux attentes de tous par un engagement volontaire et partagé.