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Le congé menstruel : une fausse bonne idée ?

Le congé menstruel désigne une période pendant laquelle une personne qui souffre de désagréments associés aux menstruations peut prendre un ou plusieurs jours de congés, indemnisés ou non. Aujourd’hui le congé menstruel est inscrit dans la loi dans plusieurs pays. Il peut aussi être proposé par l’employeur, dans les pays qui n’en font pas un droit. Mais cette pratique reste très minoritaire, notamment en France où seules quelques entreprises le proposent.  

Petit tour du monde du congé menstruel

  • Au Japon, le droit au congé menstruel existe depuis 1947. Selon la loi, l’employeur ne peut pas forcer une salariée à travailler si elle demande à être en « congé menstruel » Il n’y a pas de limite de jours mais ils ne sont pas payés. Selon une enquête réalisée en 2020 par le ministère du Travail Japonais, seul 0,9% des employées éligibles déclaraient avoir eu recours à ce droit.  
  • En Corée du Sud, les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, non payé. Les entreprises qui ne respectent pas la loi sont passibles d’une amende de 5 millions de won, soit environ 3.750 euros. Selon un sondage effectué en 2018, 19% des employées déclarent recourir au droit au congé menstruel. 
  • À Taiwan, le congé menstruel peut être pris à hauteur d’un jour par mois, et jusqu’à 3 jours par an. Comme les congés maladie, les congés menstruels sont indemnisés à hauteur de demi-journée travaillées. 
  • En Indonésie, une loi promulguée en 2003 prévoit 1 ou 2 jours de congés payés pendant les règles, les employées doivent notifier les dates. 
  • En Zambie, le congé menstruel (surnommé « la fête des mères ») peut aller jusqu’à 1 jour par mois, payé, sans préavis ni certificat médical.  
  • Fin 2022, c’est l’Espagne qui a adopté en première lecture un texte de loi créant un congé menstruel dont les contours restent à définir si toutefois il est adopté par le Sénat. Cette mesure vise, selon le gouvernement de gauche qui en est à l’origine, à lever le tabou des règles au travail, mais les opposants à la loi mettent en avant les risques de stigmatisation qu’une telle mesure comportent.  

En France, une opinion publique plutôt favorable, mais des interrogations quant aux effets de stigmatisation

Si les Françaises semblent favorables à la mise en place d’une telle mesure, (68% des femmes âgées de 15 à 49 ans), certaines organisations féministes, plus frileuses, mettent en avant un risque de stigmatisation et un manque de prise en charge de la question dans sa globalité. 

Pour Aline Bœuf, doctorante et assistante de recherche à l’université de Genève, autrice d’un mémoire sur les menstruations en contexte professionnel, l’une des conditions préalables à la mise en place d’une telle mesure serait de travailler sur le tabou des règles.  
Si parler des règles, comme on mentionnerait le fait d’avoir un rhume ne semble pas envisageable dans une entreprise donnée, on peut émettre l’hypothèse que, comme certains pays cités plus haut, le taux de recours sera faible et que les employées qui y auront recours seront d’une façon ou d’une autre stigmatisées.  

De manière générale il est important de considérer avec beaucoup de précaution toutes les mesures qui visent à « renvoyer les femmes chez elles » même avec de bonnes intentions. 

Selon une récente étude OpinionWay intitulée « Règlophobie » :  

  • Un tiers des répondants ne parlent jamais des règles dans leur quotidien.  
  • 55% des répondants estiment que parler des menstruations en public est « inapproprié ».  
  • Au contraire, 70% des 18-24 estiment que parler des menstruations en public est « approprié ». 

Le congé menstruel : une façon réductrice d’envisager les potentielles difficultés liées au cycle menstruel ?

Le congé menstruel est donc abordé comme une façon d’apporter une solution aux femmes qui souffrent de règles douloureuses. Cependant cette façon d’aborder les choses réduit la compréhension des implications liées aux cycles menstruels.
En effet, les difficultés vécues par certaines femmes ne se cantonnent pas à la seule période des règles. Un bon exemple de cette diversité de moments, d’intensité et de types de symptômes est le syndrome prémenstruel qui touche 25 à 40% des femmes selon les estimations de l’INSERM et 5 à 10% d’entre-elles connaissent un syndrome prémenstruel sévère.  

Il peut s’étaler de quelques jours avant les règles à quasiment la moitié du cycle dans les cas les plus compliqués.  

Le syndrome prémenstruel implique de nombreux symptômes :

  • Physiques : ballonnements, douleurs abdominales, tensions dans les seins, migraines, troubles du sommeil… 
  • Psychiques : irritabilité, état dépressif, sauts d’humeur….  

Les niveaux d’intensité varient bien évidemment, mais peuvent être très handicapants ; 

Alors non, une femme en colère n’a pas forcément ses règles, mais oui les cycles menstruels peuvent avoir des implications sur le niveau de bien-être des femmes et donc a fortiori sur leur qualité de vie au travail. Néanmoins, dire cela ne signifie pas insinuer que les femmes sont par essence prisonnières de leurs cycles, en proie à des émotions qui les dépassent.  

Sans avoir attendu le congé menstruel, beaucoup d’entre-elles mettent d’ailleurs en place des stratégies pour limiter l’impact de ces symptômes lorsqu’elles le peuvent et si leur profession le permet : ne pas prendre de rendez-vous important, se mettre en télétravail…  

Évidemment, ce n’est possible pour tous les types de métiers et c’est d’ailleurs entre autres ce qui a motivé la startup LOUIS de création de mobilier au sein de laquelle une partie de l’équipe dans les ateliers de fabrication reste debout une bonne partie de la journée, l’alternative du télétravail n’existant alors pas.  

Ouvrir le débat vers la gestion des troubles chroniques en entreprise.

Parler du congé menstruel peut être l’occasion de poser plus globalement la question de la prise en charge des maladies et syndromes invalidants et chroniques  

Il existe de nombreux autres syndromes pouvant être handicapants et ne relevant pas forcément de troubles du cycle comme les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI).  

Quel type de prise en charge pour l’employeur ?

On l’a vu deux problèmes peuvent se poser avec la mise en place d’un droit au congé menstruel :  

  • La dimension réductrice dans la prise en compte des problèmes liés au cycle menstruel.  
  • Le risque de stigmatisation dans des entreprises où le tabou autour des règles et le soupçon de « non-travail » des femmes restent importants. Appliquer une loi à des entreprises qui n’auraient pas le même niveau de maturité sur le sujet pourrait être problématique.  

On peut néanmoins supposer que le risque de stigmatisation est moindre lorsqu’une telle mesure est à l’initiative de l’entreprise elle-même, comme c’est le cas en France.  

La question à poser n’est donc peut-être pas celle de la prise en charge mais de l’accompagnement : la nuance se situant dans le fait de proposer une solution toute faite ou un cadre permettant aux collaborateurs de se prendre en charge eux-mêmes.  

  • Pour le cas des maladies chroniques et invalidantes : communiquer autour de la déclaration RQTH qui est par exemple possible pour les personnes atteintes d’endométriose ou de certaines MICI par exemple.  
  • Mettre en place un congé « bien-être » plus libre et payé dont chacun pourrait se saisir en cas de difficultés ponctuelles à travailler : douleurs de règles, migraines intenses, forte fatigue… 
  • Sans forcément passer par un jour de congé, offrir à l’ensemble des collaborateurs un cadre plus souple qu’ils pourront utiliser si besoin et de manière ponctuelle : banaliser l’usage des salles de pause ou de sieste, le télétravail ponctuel, les horaires plus souples…  
  • Si l’entreprise opte pour la mise en place d’un congé menstruel, garantir un moment de sensibilisation en amont, et le paiement des journées non travaillées.  

L’ensemble de ces mesures nécessite un cadre de confiance au niveau du management et de l’organisation elle-même. 

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