Pour assurer la continuité de l’activité économique et sociale en cette période de confinement, le gouvernement a pris diverses mesures « d’urgence », dont une série d’adaptation temporaires du Code du Travail concernant les conditions du dialogue social, permettant en particulier la tenue de réunions des instances représentatives en distanciel. Pierre-Yves Goarant, manager senior chez AlterNego décrypte les effets à court et moyen-long terme de cette mutation (pour l’heure provisoire) des formes du dialogue social en entreprise.
La crise sanitaire que nous traversons est exceptionnelle. Les entreprises ont dû s’adapter afin de garantir leur pérennité. Elles ont, pour ce faire, recours à l’arsenal des diverses dispositions déjà prévues dans le Code du Travail. Pour compléter celles-ci, le gouvernement a élargi certaines d’entre-elles via des ordonnances venant modifier temporairement le Code du Travail. Lors de la première quinzaine du mois d’avril, le dialogue social a, lui aussi, été modifié par une ordonnance et un décret.
On ne le dira jamais assez, la performance sociale est facteur de performance économique pour les entreprises. Bien que la loi organise le dialogue social formel avec les élu·e·s du personnel via les instances représentatives, rien ne définit en substance sa réussite. Trop souvent, les rendez-vous avec les acteurs du dialogue social sont vécus comme une contrainte, une obligation légale. Pourtant les instances de type CSE/ CSSCT peuvent être un formidable régulateur social de l’entreprise.
Dans le contexte actuel, les entreprises dépourvues d’un dialogue social constructif rencontrent des difficultés de communication avec les salarié·e·s puisque les tensions existantes avant le 17 mars se sont exacerbées depuis. En effet, si le rapport entretenu est par habitude basé sur la défiance, il sera alors difficile de convaincre du bien-fondé des demandes respectives. D’un autre côté, cette période peut être propice à l’adaptation des postures des managers, des président·e·s d’instances représentatives du personnel, et des représentant·e·s du personnel.
L’ordonnance n°2020-389 du 1er avril 2020 portant mesures d’urgence relatives aux instances représentatives du personnel bouleverse l’approche du dialogue social. En effet, ce texte autorise par dérogation le recours à la visioconférence pour l’ensemble des réunions du CSE/CSSCT et autres réunions des instances représentatives du personnel. L’utilisation de la conférence téléphonique ainsi que des messageries instantanées (Whatsapp, messenger, etc.) sont également autorisées. Le décret n°2020-419 du 10 avril 2020 relatif aux modalités de consultation des instances représentatives du personnel pendant la période de l’état d’urgence sanitaire précise quant à lui, des recommandations pour la bonne application de ses outils.
Avec cette digitalisation (temporaire) du dialogue social, les réunions entre l’employeur et les représentant·e·s du personnel seront plus factuelles, et le temps de préparation en amont sera accru. Par ailleurs, et afin de lever tous les lièvres qui pourraient entraver le bon déroulé de ces réunions, un temps de formation aux nouveaux outils est à prévoir avec les différents acteurs. Il est également souhaitable de modifier en conséquence le règlement intérieur du CSE/CSSCT ainsi que l’accord d’exercice de droit syndical.
Ce changement de méthode peut rebattre les cartes et faire émerger de nouvelles postures plus constructives. En effet, dans les échanges « numérisés », on a naturellement plus tendance à débattre sur le fond plutôt que sur la forme du sujet. Si son efficacité peut être séduisante d’un premier abord, elle peut s’avérer néfaste à long terme. Car le formatage des réunions en visioconférence peut être un frein à la libération « naturelle » de la parole des élu·e·s, élément indispensable du dialogue social dans les organisations.
Les réunions classiques des instances représentatives du personnel ont encore de l’avenir, mais la digitalisation temporaire du dialogue social est un véritable challenge pour toutes les entreprises qui souhaitent maintenir à son meilleur niveau la pérennité d’une relation sociale optimum.
Pierre-Yves GOARANT