Depuis 1945, la codétermination (Mitbestimmung) constitue l’un des piliers du modèle social allemand. Ce système basé sur la coopération a pour vocation de combiner une participation institutionnalisée des salariés aux décisions stratégiques à une recherche permanente de compromis entre capital et travail. Il s’articule à deux niveaux :
- La cogestion au niveau des établissements (Betriebsrat) permet une meilleure prise en compte des intérêts des salariés lorsqu’il s’agit de décisions ayant un impact direct ou indirect sur leurs conditions de travail ;
- La cogestion au niveau des conseils de surveillance (Aufsichtsrat) exerce un contrôle sur la gestion d’une entreprise orchestrée par la Direction.
Alors comment ce modèle unique a-t-il permis à l’Allemagne de traverser plusieurs crises économiques tout en maintenant sa compétitivité industrielle ? Et comment s’en inspirer ?
Un principe ancré dans l’histoire sociale allemande
Son succès repose sur une culture du dialogue social ancrée dans l’histoire politique allemande, des mécanismes légaux contraignants établis progressivement depuis la loi sur la constitution des entreprises en 1952, et une articulation efficace entre négociations collectives et stratégies d’entreprise. Comparé au système français symbolisé par une conflictualité plus marquée et une participation des salariés limitée aux consultations ponctuelles, le modèle allemand offre des pistes de réflexion pour concilier performance économique et performance sociale.
Un levier de coopération pour les transformations
Loin d’être un simple contre-pouvoir, le modèle de cogestion au niveau des établissements institue un « collectif d’entreprise » au sein duquel actionnaires et salariés évaluent solidairement les dirigeants chargés du destin commun de l’organisation. Le modèle de cogestion au niveau des établissements permet quant à lui une meilleure anticipation des changements, une meilleure gestion des restructurations ainsi qu’une meilleure association des travailleurs aux grandes orientations stratégiques. Et malgré les idées reçues, plusieurs études démontrent que le modèle allemand ne paralyse pas les organisations. Au contraire, il favorise l’implication des salariés, renforce la cohésion sociale et la stabilité organisationnelle, source d’efficacité générale.
Et en France ? Une perspective à explorer
En France, bien que le dialogue social soit institutionnalisé (comités sociaux et économiques, négociations obligatoires), les salariés jouent un rôle moins influant dans la gouvernance des entreprises. Les instances représentatives et leurs élus existent, mais ils restent souvent cantonnés à un rôle consultatif, tandis qu’en Allemagne, les salariés eux-mêmes exercent un droit de contrôle et de participation à la gestion ainsi qu’à l’organisation de l’entreprise.
Alors que les transformations du travail s’accélèrent et que la question de la démocratie en entreprise prend de l’ampleur, le modèle allemand interroge. La cogestion semble être un levier puissant pour associer les travailleurs aux décisions et garantir une meilleure acceptation des transformations. Si une transposition pure et paraît semble difficile, une inspiration pourrait être trouvée pour repenser la participation des salariés à la gouvernance, notamment dans les grandes entreprises. Et ainsi renforcer la coopération sociale et la résilience des entreprises face aux défis de demain.
Justine Kieffer