tendance & société

Chic, j’ai perdu mon job
Épisode 3
50 ans et une minute 

Chronique d’une recherche d’emploi

C’est l’histoire d’un anti-héros des temps modernes balloté par la houle du monde du travail. Va-t-il s’en sortir ? C’est l’histoire de nous tous, quand il s’agit de trouver un travail qui nous plaise vraiment. A nous  

Jour 40 

Voilà 5 longs jours que j’ai vu Émilie, la chasseuse de tête, 5 jours que je n’arrive tout simplement pas à appeler le contact qu’elle m’a donné la dernière fois. Elle s’appelle Asma et réalise des bilans de compétences « un peu différents ». Moi, faire un bilan, mais un bilan de quoi ? J’ai toujours été commercial et je ne vois pas pourquoi cela changerait. Je n’ai d’ailleurs jamais eu l’occasion de me poser la question. Tout s’est déroulé sur la route 66 des States, bien droite, sans surprise, un tantinet morne mais tellement rassurante.  Commercial même au berceau me disait ma mère. Toujours le premier, toujours le même esprit de compétition fort, toujours des challenges relevés. Toujours, toujours, toujours… Oui, mais alors pourquoi le jamais résonne en moi depuis des semaines ?  

Jour 42 

Je me lance après la pause-café : j’appelle un membre de l’équipe pédagogique d’Asma pour savoir ce qu’il en est. Premier effet de surprise, je sens que je ne vais pas avoir de réponses directes mais plutôt une invitation à me poser des questions. Contre toute attente, je décide de m’inscrire car, à vrai dire, un guide, quelqu’un qui tiendrait une lampe allumée et m’ouvrirait la marche ça m’irait bien. Je n’attends pas Moïse pour qu’il ouvre la mer en deux, mais bon, pourquoi ne pas s’appuyer sur une personne bien intentionnée, et puis le parcours a l’air bien pensé. Au programme : des ateliers en groupe -comment diable faire tomber le masque dans un collectif ! -, des séances individuelles aussi, le tout avec une approche créative pour que « tête/cœur/corps soient le plus alignés possible ». Ça promet, mais j’ai envie d’essayer. 

Jour 50 

(J’ai 50 ans aujourd’hui… Je me rends compte que c’est le premier jour du reste de ma vie, c’est bon signe.) 

Jour 56 à 70 

Le grand démarrage au « campus du sens au travail » a eu lieu il y a quelques semaines déjà. Au début, il faut être honnête, j’ai été totalement dérouté. Puis, il y a quelque chose en moi qui s’est ouvert, cette porte que j’avais bien cadenassée toutes ces années. À coups d’exercice qui convoquent tour à tour la réflexion, l’imagination, le jeu, la scène, l’improvisation, j’apprends à découvrir une part de moi que je ne connaissais pas. C’est comme si la petite voix que tu entends parfois et que tu rabroues immédiatement se soulevait, qu’elle chantonnait d’abord en moderato puis de plus en plus forte. Je vous jure, je n’avais jamais soupçonné à quel point l’art pouvait ouvrir autant d’aspect de moi-même. Au fil des séances, le temps s’est invité, j’ai eu de nouvelles infos sur mes préferences, et le collectif m’en a apporté beaucoup aussi. Ce que je vis intensément dans ce groupe me donne envie d’avancer.  

Jour 80 

Bon bon ça bouge mais ce n’est pas si rapide que cela. Quelque part, je rêve d’une voyante qui aurait vu ma nouvelle profession dans sa boule de cristal et, tant qu’à faire, aurait négocié pour moi mon embauche. Cela aurait été plus simple ! Enfin, la magie, merci, j’en ai déjà fait les frais, et finalement, ce parcours atypique me porte vraiment. Alors je continue. J’en parle même à ma femme et mes enfants qui m’ont dit hier soir que j’étais un homme différent. Ma fille a même parlé de ma nouvelle capacité à l’écouter. Ça m’a mis la chair de poule.  

Jour 90  

Depuis que je fais ce bilan de compétences, je me lève avec un entrain que je ne m’étais jamais connu. Le ciel est plus bleu, la ville moins grise, je souris aux gens dans le métro, dans la rue, je m’habille en Friday wear tous les jours, plus de pression, juste savourer. J’ai l’impression d’avoir 7 ans, de jouer à se lancer des boules de neiges avec mes copains, tous les jours, même en été.  

Jour 100 

La piste de l’importance de la transmission pour moi s’est faite jour… c’est arrivé comme ça, comme un coup de canon, sans crier gare, je crois que je veux être prof. Avec mon master, je peux travailler dans une école privée.  

J’en trouve trois, je les contacte. Il y a une place pour moi à la rentrée. « Bonjour Émilie, c’est décidé, je vais être professeur d’économie ! ».  

Suite au prochain épisode…  

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