Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, en plus d’un tabou persistant sur les questions de santé mentale qui rend difficile la libération de la parole, les praticiens manquent cruellement. On dénombre ainsi seulement 5 psychiatres pour 8 millions d’habitants au Togo et une petite dizaine pour 26 millions d’habitants au Cameroun. Alors dans ces conditions, comment se protège-on soi-même et les autres ? Décryptage d’un accompagnement innovant par Clémentine Buisson.
En 2012, Marie-Alix Putter, franco-camerounaise, perd son mari, Éric de Putter, professeur de théologie assassiné sur un campus universitaire à Yaoundé. Le soir-même, diplomates et personnalités publiques se rendent chez elle pour lui présenter leurs condoléances. Mais une fois tout le monde rentré chez soi, c’est à sa coiffeuse elle aussi venue la soutenir, que Marie-Alix finit par vraiment se confier. Et qu’elle réalise l’ampleur de ce soutien. N’avait-elle pas finalement créé une relation forte au fil de ses rendez-vous dans son salon et des échanges privilégiés qui les accompagnaient ?
C’est dans ce contexte qu’elle décide de s’emparer du sujet de la santé mentale et de s’appuyer sur les salons de coiffure comme lieux de prévention. Elle crée en 2019 la Bluemind Foundation pour faire des coiffeuses et de leurs salons de véritables points de contact, première brique de la chaîne de soin. L’objectif est de former ces coiffeuses à travers un mini parcours coconstruit avec des psychiatres. En 2022, l’ONG s’était fixée comme objectif de former 8000 coiffeuses grâce au rôle d’ambassadrices du programme Heal by Hair.
Et si on transposait cette initiative à tous les métiers en contact avec du public, notamment les lieux où les gens reviennent régulièrement ? Si les métiers du soin sont exercés en grande majorité par des femmes, ils ne sont pas les seuls concernés. Elles représentent ainsi 91 % des aides-soignants, 74% des personnels de l’éducation nationale, 90 % du personnel des Ehpad, 90 % des caissiers et 97 % des aides à domicile. (Dares 2013, DEPP 2023)
Bien sûr, pour beaucoup de ces situations, les usagers et clients ne sont que de passage, un rendez-vous chez le coiffeur étant plus long et plus propice à l’intimité. Mais ce type d’action témoigne de l’importance du principe de co-vigilance qui dépasse largement les frontières de l’entreprise. Il s’agit ici de repenser le lien social en tant que véritable facteur de protection pour nous toutes et tous.
On peut donc se poser la question d’une réelle prise en compte de la valeur sociale et de la reconnaissance de ce rôle que certains professionnels exercent de fait, qu’ils soient outillés ou non. Car nous avons chacun et chacune un rôle à jouer en termes de co-vigilance, que ce soit en tant que collaborateur, ou même plus simplement en tant que citoyen.
On craint souvent mal faire, mal comprendre, être intrusif… Mais même sans avoir bénéficié d’une formation particulière, nous sommes toutes et tous légitimes à demander à une personne que l’on sent fragilisée comment elle se sent, si elle a besoin de parler ou simplement d’être écoutée.
Un rappel finalement essentiel : il est crucial de cultiver le lien social au-delà des cercles de proches (qui plus est dans le cas où ces mêmes lieux sont source de violences et de souffrances). Alors pourquoi ne pas aller davantage encore vers une culture globale de la prévention des RPS qui pourrait s’infuser dans la société tout entière ?
Clémentine Buisson