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Pourquoi les métiers du “CARE”
sont-ils moins rémunérateurs ?

À travail égal…”

Nous avons tous déjà entendu cette phrase qui sonne aujourd’hui comme un adage “à travail égal, salaire égal”. Pourtant on oublie régulièrement que la phrase complète est : “À travail de valeur égale, salaire égal.”  

Et là, ça se complique : comment mesurer la valeur d’un travail ? En termes de création de valeur économique ? D’utilité pour le collectif ? En prenant en compte le nombre d’années d’étude et le type de diplôme ?  

Selon le code du travail et la loi Roudy de 1983, les travaux de valeur égale “sont ceux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.”

Cela reste sujet à interprétation donc, et une chose est sûre, là où il y a des zones grises, les stéréotypes et les biais ont tendance à s’immiscer… 

Les métiers du CARE, c’est quoi ?  

Les métiers du “CARE” (to care en anglais, faire attention à) représentent l’ensemble des activités de soin à autrui : prodiguer les premiers soins aux nourrissons, faire la toilette d’une personne âgée, aider une personne en situation de handicap à se nourrir… 

Les femmes y sont globalement sur-représentées :  

· 97,6% des aides à domicile, aides ménagères, assistantes maternelles sont des femmes,

· 87,7% pour les Infirmières et les sage-femmes,

· 90,4% pour les aides-soignantes,

Quand on parle de “sous-valorisation” du travail, de quoi parle-t-on exactement ?

Prenons par exemple les sage-femmes. Leurs revendications sont nombreuses, et ce rapport de l’Inspection des Affaires Sociales appuie la plupart d’entre-elles. Toutes, tournent autour du manque de reconnaissance de leurs compétences et de leur savoir-faire, et de l’impact en termes de salaire, à travers les enjeux suivants :

  • Des possibilités d’évolution moindres : seulement 2 grades pour les sages femmes contre 4 pour les ingénieurs hospitaliers, (même niveau d’étude, et de responsabilité). 
  • Une moindre valorisation des évolutions de responsabilités : le statut de “coordinatrice en maïeutique” est un emploi fonctionnel et ne constitue donc pas un grade d’avancement. Les missions concernées sont pourtant stratégiques : organisation des soins et actes obstétricaux, responsabilité d’unités physiologiques ou direction de structures de formation en maïeutique.
  • Pas d’accès aux primes de technicité contrairement aux ingénieurs hospitaliers dont la prime peut aller jusqu’à 45% de leur rémunération brute.  

Autre exemple, celui de la classification des infirmières, expliqué par Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférence à l’Université Paris – Nanterre et chercheuse, dans son livre “Un quart en moins” publié en 2014.  

En 2010 le corps des infir­miers de caté­go­rie B a été mis “en voie d’extinction” ce qui signifie qu’aucun recrutement en cette catégorie n’a eu lieu après cette date. 

Les infirmiers et infirmières ont donc à ce moment bénéficié d’un “droit d’option” :  elles et ils pouvaient soit rester en catégorie B « revalorisée » soit passer en catégorie A avec une augmentation de salaire plus importante. (Environ 200 euros de différence sur le salaire brut d’entrée par exemple). Cependant la deuxième option venait avec une contrepartie : le départ à la retraite à 60 ans et plus à 57 ans. Le changement de catégorie s’accompagnait donc de la perte du critère de pénibilité qui leur valait ce départ plus tôt. 

Dans un article dédié à cette question, Rachel Silvera ajoute “ comment comprendre qu’en fin de carrière, une infirmière hospitalière (en catégorie A seulement depuis 2010) gagne moins qu’un technicien hospitalier (en catégorie B), du fait notamment de primes de « technicité »  » ? 

Comment en est-on arrivé là ?

La réponse n’est ni simple, ni catégorique mais plusieurs facteurs explicatifs peuvent être évoqués :  

· Les qualités associées au féminin sont souvent moins valorisées que celles associées au masculin…

Françoise Héritier (1933-2017), anthropologue et ethnologue apporte une clé d’analyse à travers le prisme de la valence différentielle des sexes. Dans Masculin/féminin : La pensée de la différence (1996), elle écrit : « L’observation ethnologique nous montre que le positif est toujours du côté du masculin, et le négatif du côté du féminin. Cela ne dépend pas de la catégorie elle-même : les mêmes qualités ne sont pas valorisées de la même manière sous toutes les latitudes. Non, cela dépend de son affectation au sexe masculin ou au sexe féminin. (…) Par exemple, chez nous, en Occident, « actif » (…) est valorisé, et donc associé au masculin, alors que « passif », moins apprécié, est associé au féminin. En Inde, c’est le contraire : la passivité est le signe de la sérénité (…). La passivité ici est masculine et elle est valorisée, l’activité – vue comme toujours un peu désordonnée – est féminine et elle est dévalorisée. » 

Cette dépréciation des qualités associées au féminin peut s’accompagner d’une moindre valorisation économique sur le marché du travail. En effet, beaucoup des compétences nécessaires à l’exercice des métiers à prédominance féminine ne sont que partiellement prises en compte dans la construction des systèmes de classification des entreprises. 

Le Conseil Supérieur de l’Egalité Professionnelle préconise d’ailleurs que ce “travail invisible et ces savoir-faire discrets” soient mieux pris en compte dans les systèmes de classification des entreprises.

L’enjeu économique est fort puisque ces systèmes reflètent la contribution réelle des salariés à l’activité de l’entreprise et permettent notamment de déterminer le montant du salaire minimum conventionnel de chacun d’entre eux. C’est donc un classement des emplois, non pas des individus. 

· …et sont plus souvent considérées comme étant naturellement présentes chez les femmes

Une autre explication, dérivée cette fois de la sociologie, montre que les compétences dites “féminines” ont plus ou moins toujours été considérées comme relevant de l’inné, là où les compétences “masculines” sont considérées comme plus techniques, relevant de l’acquis et font donc plus volontiers l’objet de valorisation statutaire et économique.  C’est une des composantes de la division sexuelle du travail

A travers l’exemple de l’Industrie, Danièle Kergoat démontrait dès 1978 le caractère sexué des qualifications ouvrières.

“[Les] qualités recherchées par le patronat sont ou non rétribuées selon que cette main-d’œuvre est masculine ou féminine ; c’est ainsi que la force physique est rétribuée ; mais pas la finesse des mains, qualité pourtant précieuse en filature ; l’effort violent mérite une prime, mais pas la dextérité manuelle, la minutie ou la résistance nerveuse, tout cela sous prétexte que ces qualités ne seraient pas acquises par une formation, mais inhérentes au sexe féminin.”[1]

Ces modes de pensées ont donc structuré le marché du travail tel que nous le connaissons aujourd’hui avec les conséquences économiques mentionnées plus tôt.

Mais d’autres schéma sont possibles…

La France est encore aujourd’hui classée 22e sur 33 pays de l’OCDE concernant les salaires des infirmiers, infirmières. 

Il existe donc, à deux pas de chez nous, d’autres modèles.  

Par ailleurs, la mobilisation des métiers concernés (plus récemment des sage-femmes) est forte et ne désemplie pas.  

La crise pandémique a également été l’occasion (malheureuse) de mettre en valeur ces métiers, dont on reconnaît volontiers leur importance pour le collectif.  Les revalorisations salariales qui ont fait suite au dernier Ségur de la Santé vont sans doute dans le bon sens. Reste à savoir si à l’avenir, ces mesures iront au-delà de la compensation et si d’autres permettront véritablement de repenser la valeur que l’on accorde collectivement à ces métiers, et tout ce que cela implique en termes de reconnaissance économique. 


[1] Danièle Kergoat, “Ouvriers = ouvrières : Propositions pour une articulation théorique de deux variables : sexe et classe sociale, Mai 1978”

Clémentine Buisson

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